Vue de l’exposition Risquons-Tout, WIELS 2020 photo Philippe de Gobert
Dirk Snauwaert nous l’avait annoncé lors de son interview post confinement (relire) et cette exposition « Risquons Tout » est un véritable manifeste autour du risque comme vecteur de transgression et d’imprévisible selon son sous-titre. L’ensemble du WIELS est envahi par 38 artistes internationaux aux origines proches ou lointaines, partageant un lien commun avec la Belgique et ses pays voisins selon un principe de rhizome agissant autour des questions de métissage et d’infiltrations culturelles. L’origine du mot Risquons Tout remonte en effet à un hameau à la frontière franco-belge, ancien repère de contrebandiers et autres individus marginaux. Un territoire alternatif inconnu et non exploré à l’image de cette exposition qui entend lutter contre la conformité d’une société dictée par l’emprise grandissante des algorithmes et ouvrir des dynamiques nouvelles de mixité et d’hybridation, loin de toutes nos zones de confort.
L’œuvre qui nous accueille dès la salle de brassage et c’est assez inhabituel, de l’artiste Kati Heck est emblématique de la démarche : ces deux rideaux de théâtre dont l’iconographie emprunte aussi bien au registre populaire de la fable et de la frise conçue par Zadkine pour le Cinéma Métropole de Bruxelles en 1932. Un syncrétisme culturel rétif à toute forme d’enfermement et de catégorisation qui donne le ton à ce qui va suivre.
Si l’on commence au 1ème étage mais il aussi possible d’aller directement au 3ème, l’œuvre de Niel Beloufa, clin d’œil qui semble familier pour les français, l’installation « L’ennemi de mon ennemi » ayant été présentée au Palais de Tokyo, sauf que dans cette version, le robot est à l’arrêt, en panne ou en grève et l’histoire, au lieu de se dérouler sous nos yeux en continu est comme brusquement stoppée net. A ses côtés Panamarenko, artiste belge décédé en 2019, traduit une sorte de dystopie dans cette course technologique et spatiale des années 1960 avec un grand dessin « The Magnetic Spaceship ». La salle suivante est dédiée à l’une des œuvres les plus fortes du parcours, celle d’Irene Kanga, membre du cercle d’art des travailleurs de plantation congolaise. Ses sculptures font allusion au viol de Kafutchi, l’une des épouses du chef Matema Kelenge par un agent colonial belge en 1931 lors d’une rafle destinée à recruter des coupeurs de palmiers sur la plantation des frères Lever à Lusanga. Un évènement historique dont elle traduit la prédation sexuelle par des moulages en chocolat, matériau colonial par excellence. Chez Evelyn Taocheng Wang il s’agit de combiner différentes influences, à la fois chinoises (son pays d’origine) et dérivées de la culture pop et des réseaux sociaux. Nous l’avions vu au Frac Champagne Ardenne en 2019. Manuel Graf, autre proposition emblématique qui a été reprise pour l’affiche de l’exposition à partir des dessins érotique du cinéaste soviétique Sergei Eisenstein en a réalisé une série de sculptures à l’impression 3D dans des postures sexuellement suggestives. Monica Stricker revisite l’histoire de l’art sous l’angle du genre masculin et en particulier des organes génitaux et non sans humour. Deux artistes suivants entretiennent une conversation avec John Cage sous l’angle de l’aléatoire et du hasard : Philippe Van Snick et ses subtiles compositions en fil de fer et Esther Ferrer et ses exercices de combinaisons de nombres premiers comme un jeu infini de possibles.
Au 2ème étage dans la première salle l’installation de Tarek Lakhrissi au titre évocateur « Sick Sad World » combine des récits futuristes alternatifs, queer et minoritaires à l’imaginaire de la boite de nuit et de la chambre d’adolescent. Elle sera activée lors d’une performance en collaboration avec le Kunstenfestivaldesarts de Bruxelles. Nora Turato se saisit de l’obsolescence programmée de la culture visuelle en ligne dans des peintures murales comme cette dernière qui se penche sur le phénomène de harcèlement systématique sur Twitter sous le hahstag womgate2020. Chez Sophie Nys il est question de normes sociologiques et architecturales excluant toutes personnes déviantes ou immigrées en Allemagne. Lubaina Himid et Magda Stawarska-Beavan entremêlent leurs voix dans une installation polyphonique très réussie. Nous avions découvert Lubaina Himid au MRAC Occitanie sur l’invitation de Sandra Patron en 2018 autour de son théâtre de figures et du postulat de « rendre les histoires visibles » son axe de recherche. Ici elle reprend 64 motifs dans différentes tonalités de bleu aux multiples occurrences et significations. Chez Melike Kara il est question de l’effacement de la mémoire des kurdes dans les récits de l’histoire par un collage de papier peint à partir de photos délavées à l’eau de javel de ses albums et archives personnelles et des tableaux de motifs de tapis traditionnels. Après le road trip de Lydia Ourahmane et Alex Ayed réduit suite à la pandémie en une sorte de dérive entre la Croatie, le Montenegro et l’Italie et le renard mort de la fin de leur errance, nous découvrons le projet de Heide Hinrichs qui vise à réfuter l’invisibilité des publications d’artistes non-binaires, féminines, queer et de couleur en s’appropriant leurs œuvres sur papier. On l’aura compris cette notion d’invisibilisation innerve de nombreuses œuvres de ce panorama à la fois engagé politiquement et formellement sensible et poétique.
Cela se poursuit au 3ème avec des artistes comme Isaac Julien et son magnifique film hommage à la designeuse visionnaire Lina Bo Bardi, les symboles de résistances des femmes face au pouvoir patriarcal arabe par Mounira Al Soth (tente centrale, borderies et tableaux) ou les récits fragmentaires de la mémoire fantôme coloniale de Julien Creuzet (également exposé au Palais de Tokyo en 2019) et le pastiche improvisé de L’abécédaire de Gilles Deleuze par Sturtevant. Ne pas oublier le 4ème étage avec la nouvelle création sonore d’Anne-Mie Van Kerckhoven (exposée au Frac Pays de la Loire en 2010) artiste difficilement classifiable aux confins de l’art féministe et de la science entre technologies numériques et imaginaire non domestiqué.
A chacun.e de nous de poursuivre cette ouverture du regard vers les territoires de l’informe, de l’indéterminé, de l’étrange et de l’indomptable dans ce récit inachevé qui prend au seuil de la période que nous venons de vivre une résonnance toute particulière. Il fallait toute la générosité et le talent visionnaire de Dirk Snauwaert et l’équipe curatoriale pour relever un tel défi, dans le prolongement des problématiques engagées par le « Musée Absent » en 2017.
Un cycle de performances accompagne l’exposition,
ainsi que La section Open School autour du care.
Catalogue (indispensable) avec les contributions de : Dirk Snauwaert, Emmanuele Coccia, Marina Vishmidt, Vivian Ziherl, 270 pages, édition trilingue, 39,95 €, éditions par Fonds Mercator.
Infos pratiques :
Risquons-Tout :
Des artistes contemporains explorent le risque, l’imprévisible et la transgression
Jusqu’au 10 janvier 2021
WIELS
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