Manifesta 13, 2ème week-end : les Parallèles du Sud et le PAC à la rescousse !

Peter Fend, la mer et Marseille, la Consigne Sanitaire, Manifesta 13 Photo Jc Lett

Malgré une période anxiogène et troublée, je décide de descendre à Marseille pour voir si les ambitions portées par Hedwig Fijen sont en prise avec le réel (relire son interview confiné). Le bilan est contrasté et ces « Traits d’union.s » exposition centrale de Manifesta, entre participation civique, activisme politique et propositions artistiques dans les musées de la Ville (relire interview de Xavier Rey, directeur des musées) peinent parfois à convaincre par un manque d’assise théorique et formelle et de médiation sur place.

Manifesta, Traits d’Union.s

Si l’on commence par « La Maison : loyers, expériences, lieux » qui a inauguré la Biennale au musée Grobet-Labadié, la greffe ne prend pas entre les artistes convoqués et cet hôtel particulier ayant appartenu à ce couple de grands bourgeois mécènes et leurs collections éclectiques. On sait combien la question du logement est cruciale pour Marseille et les artistes en sont de vibrants porte-paroles comme Samia Henni, Martine Derain (qui s’inscrit aussi dans Archives Invisibles) ou Arseny Zhilyaev (également à l’hôtel Intercontinental) mais leur portée se dilue dans ces salles déjà très chargées.

Ali Cherri Tigre nourri par le corbeau d’après le tableau Elie nourri par le corbeau de Giovanni Lanfranco (1624 – 1625) Manifesta 13

Le chapitre « Le Parc : devenir un corps liquide » est plus convaincant autour des flux de l’eau, des liens entre nature et culture et d’une écologie décoloniale avec au Musée des Beaux Arts et Museum d’histoire naturelle les artistes Ali Cherri, Minia Biabiany et Mathieu Kleyebe Abonnenc (vidéo à ne pas manquer). On est loin de la vibration qu’avait produite Mark Dion dans ces mêmes lieux à l’occasion d’Art-O-Rama. De plus si le collectif d’artiste et personnage de fiction satirique Reena Spaulings propose une relecture de la « Chasse aux lions » de Delacroix sur fond de Gilets jaunes et sert de fil rouge à l’ensemble des propositions c’est un tour de passe à passe assez ambigu comme le fait remarquer notre confrère Oriane Durand (Frieze magazine). A la Consigne Sanitaire, la proposition de Peter Fend : La mer et Marseille autour de la cartographie des systèmes hydrauliques impactés par Interxion MRS3, 3ème data center qui relie Marseille à 43 pays d’Europe, d’Afrique, du Moyen-Orient et de d’Asie par ces 14 câbles sous-marins, est un travail de recherche à la fois global et local en adéquation au lieu et qui ouvre des passerelles avec la proposition de Nicolas Floc’h au Frac sur laquelle je reviendrai.

Anna Boghiguian, Vieille Charité, visite presse Manifesta photo Marie de la Fresnaye

Au Musée d’histoire de Marseille dont le patrimoine est fascinant, le chapitre « Le port : à la croisée des histoires » est subtilement investi par l’artiste Samia Henni qui avec Pharmacologie du Logement propose de nombreuses narrations et enregistrements passés et présents à partir de l’essai de Jacques Derrida dans une installation qui trouve ici sa place. De même avec Sara Ouhaddou qui interroge la notion de vestiges et de transmission de savoir dans des hybridations de formes dont le Four à céramique islamique, dérive lointaine du four arabo-andalou du XIIIème siècle.

« L’hospice : l’étrange, le poétique et le possible » à la Vieille Charité est le volet de Manifesta le plus réussi à la fois pour sa réponse à l’histoire du lieu, la Vieille Charité ayant servi d’hospice, d’asile et d’hôpital et les artistes rassemblés autour d’une réflexion intellectuelle nourrie et sensible. A partir de figures tutélaires telles que Walter Benjamin, Antonin Artaud, Rimbaud, Leonora Carrington, certains ayant transité par Marseille, les voix dissidentes et intranquilles de Pauline Curnier Jardin, Judith Scott ou Anna Boghiguian prennent un écho vibrant aux confins de l’art brut et du langage. Petit bémol pour l’installation de cette dernière dans la chapelle relativement à contre-emploi face à la verticalité que suggère cet espace. Elle était plus convaincante aux Beaux Arts de Paris. On y apprend de plus que ces Traits d’Union.s qui construisent Manifesta, empruntent au titre du journal de l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban qui a accueilli pendant la guerre les surréalistes Paul Eluard et Tristan Tzara.

L’artiste Abraham Poincheval avec l’exposition Ruche-Hive présente de nombreuses performances déjà réalisées : Palais de Tokyo, musée de la chasse.. et son prochain défi de séjourner au sein d’une ruche. Je retrouve Jean de Loisy l’un des ses adeptes qui a également fait le déplacement. Abraham Poincheval fait de plus le lien avec les Parallèles du Sud, volet où l’ancrage local de Manifesta prend tout son sens avec 85 projets entre Marseille, Nice, Aix-en-Provence, Arles, Avignon et Monaco impliquant de nombreux artistes basés dans la région.

Les Parallèles du Sud

Il serait impossible de citer l’ensemble des projets qui investissent des lieux assez insolites comme le chantier naval Borg sur le vieux port avec Olivier Millagou (galerie Double V et voyons voir) un échangeur périphérique avec Jean-Baptiste Sauvage ou les cryptes de l’Abbaye Saint Victor avec Emmanuelle Luciani. Anima Mundi par Emmanuelle Luciani fondatrice de Southway Studio est l’une des propositions très cohérente esthétiquement et conceptuellement en écho avec la charge symbolique du lieu et l’imaginaire lié à la mort et au patrimoine lapidaire.

Sur Pierres Brûlantes, Triangles-Astérides, Friche Belle de Mai, visite presse Manifesta photo Marie de la Fresnaye

« Sur Pierres Brûlantes » l’exposition collective de Triangle-Astérides à la Friche est l’autre belle surprise ! S’appuyant sur l’accompagnement auprès des artistes par le biais des résidences et ateliers de la Ville de Marseille cette 3ème édition du prix se voulait une réponse aux enjeux de Manifesta comme le souligne Céline Kopp co-commissaire. Le panorama s’envisage comme une traversée où le politique surgit en filigrane. L’on y retrouve notamment Nicolas Daubannes et Victoire Barbot (Paréidolie) ou Adrien Vescovi (PAC). Autre projet Triangle-France qui devait ouvrir en même temps «  Regard sur l’art en Algérie et dans sa diaspora » décalé à février 2021. Sujet encore sensible qui sera traité par Natasha Marie Llorens.

A ne pas manquer également Nicolas Floc’h au Frac, manifeste photographique et écologique à partir de ses explorations sous-marines au long cours entre les calanques de Marseille, la Bretagne ou le Japon qui fédèrent de nombreux scientifiques. Interview à suivre.

Autres temps forts : « Images liées » château Servières à partir de la collection Josée et Marc Gensollen et Loop Barcelona, « Liminal » à la galerie Art-cade avec les artistes Kevin Cardesa et Aurélie Meimaris, Flore Saunois et Tzu Chun Zu. Egalement à la Collection Lambert à Avignon le festival Viva Viva ! avec la Casa de Velaquez, villa Médicis et villa Kujoyama, à Vallauris Mounira Al Sohl au musée Picasso, à Nice Slavs & Tatars à la Villa Arson (cf mon interview Sylvain Lizon) et les projets de Francisca Viudes fondatrice de « the (H)art of (H)art program (également à Marseille) que j’avais déjà rencontrée ou à Monaco la proposition de furiosa avec Mélanie Matranga.

Adrien Vescovi, Fotokino visite presse Manifesta, PAC photo Marie de la Fresnaye

Le PAC/Provence Art Contemporain

Le Printemps de l’art contemporain, PAC, décalé cette année, couvre exceptionnellement 8 semaines (jusqu’au 17 octobre). « Les artistes, les commissaires et le public ont envie et besoin de ces moments précieux en ces temps troublés » souligne Jean-Christophe Arcos, coordinateur du PAC. Il fédère 80 projets dont des lieux parfois inattendus comme le résume Clara Sfadji responsable communication (et à l’origine du City guide Les Marseillaises), tels les îles du Frioul (Jean-Baptiste Janisset), l’Etang de Berre, la Ferme de Beaurecueil au Thoronet (Jean Marc Lefèvre) ou l’Eglise de Tour Sainte (Mégane Brauer).

Paréidolie-Salon du dessin contemporain

De belles surprise au Salon Paréidolie maintenu sous la houlette de Martine Robin et Françoise Aubert qui ouvrent la Saison du dessin avec une programmation associée au Frac autour des artistes Michel Sylvander et Maïté Alvarez. L’on y remarque l’éditeur Thikebe avec Jeanne Susplugas, Jean-Luc Moulène ou Myriam Mechita. Egalement Wilfrid Almendra (en écho avec son exposition très aboutie pour Atlantis) chez 7 Clouds, le nouveau jeu de Marseille par American gallery et l’Artprend l’Air ou encore Geoffrey Pauchard par Marseille Design Méditerranée. On en profite pour voir à l’étage du château Servières l’atelier de Nicolas Daubannes qui a invité à ses côtés les artistes Rebecca Brueder et Paul Chochois.

Jean-Luc Moulène, Tchikebe, Paréidolie 2020 visite presse PAC/Manifesta photo Marie de la Fresnaye

Nicolas Daubannes, représenté par la galerie Maubert, qui a récemment bénéficié d’une exposition au Palais de Tokyo me dévoile ses nouvelles œuvres en céramique.

Adrien Vescovi chez Fotokino est aussi une réussite et cet artiste qui est intervenu dans différents lieux de Marseille génère toujours une même fascination avec ces tentures exposées aux aléas du mistral, de la lumière et de la pollution qui deviennent des paysages fluctuants dans des couleurs qui rejouent l’abstraction et renvoient aux ocres du sud collectées. Fotokino à l’occasion de cette exposition dévoile une publication dont les fragments aléatoires se recomposent à l’infini.

gethan&myles, Lazare / The Space Between How Things Are And How We Want Them To Be  Double V galerie

Le solo show de gethan&myles  à la Double V galerie que j’avais rencontrés à l’occasion de l’exposition OR au Mucem est également un incontournable avec : L’édition d’un catalogue et d’un coffret de sérigraphies qui prolonge le projet « Lazare / The Space Between How Things Are And How We Want Them To Be », « In the middle of no time », une expérience de confinement racontée par les deux artistes et l’invitation par gethan&myles des artistes Côme Clérino, Manoela Medeiros, Benjamin Ottoz et Ugo Schiavi pour un accrochage en dialogue.

Pour conclure si l’exposition centrale de Manifesta ne tient pas toutes ses promesses dans un contexte qui n’a pas aidé, il est certain que la Biennale a servi de catalyseur a toute une scène qui a su se fédérer pour mettre en avant les artistes de la ville et du territoire et offrir le meilleur de ce laboratoire de pratiques et d’initiatives qu’est devenu la cité phocéenne et au-delà comme à Nice avec Botox lors d’un prochain week-end d’ouverture.

Interviews à suivre : Jean-Christophe Arcos/ PAC, Céline Kopp/ Triangle-Astérides, Nicolas Floc’h.

Infos pratiques :

Manifesta 13, l’exposition centrale en 6 chapitres

Jusqu’au 29 novembre 2020

https://manifesta13.org/fr/

Le Printemps de l’art contemporain

Parcours, programme, navettes en bus le week-end

https://p-a-c.fr/

Paréidolie

Château de Servières

Les 26 et 27 septembre

Saison du dessin dans les galeries à Marseille et aux alentours

https://pareidolie.net/

Organiser votre séjour :

http://lesmarseillaises.fr/