Edvard Munch,Nuit étoilée,1893, Huile sur toile, 108,5 x 120,5 cm, Wuppertal, Von der HeydtMuseum , © Von der Heydt Museum/Antje Zeis-Lo
C’est sans doute l’exposition la plus emblématique de ce festival –avec la collection François Depeaux à Rouen- et paradoxalement les impressionnistes y sont peu représentés, montrant une certaine réticence face à cette nouvelle lumière qu’ils jugent sans doute vulgaire et crue. Si le Centre Pompidou Metz a traité « Peindre la nuit » la démarche du MuMa est tout autre. Pour Annette Haudiquet, directrice du MuMa cette exposition issue de nombreuses années de recherche, revêt une importance singulière après ces mois de confinement et n’aurait pu se faire sans le concours et l’entraide des nombreux prêteurs comme elle le souligne en introduction. Le parcours chronologique rassemble 15O œuvres et 70 artistes sur une période allant de 1870 (premiers réverbères) jusqu’à 1914, date du début de la Première Guerre.
Elle a tout son sens au Havre, ville qui se dote dès 1863 de l’éclairage électrique à arc, les phares de la Hève étant les premiers à fonctionner à l’électricité. Elle est aussi le cadre de la célèbre et unique représentation impressionniste de la nuit par Claude Monet avec « le port du Havre, effet de nuit » (collection particulière) l’un des fleurons du parcours, uniquement présenté jusqu’à fin août. Nous y reviendrons.
Le parcours ouvre sur une ambiance jour avec l’apparition dans les villes des premiers réverbères grâce à l’introduction du gaz conjointement à la création des trottoirs. Les travaux entrepris par le baron Haussmann vont intensifier le nombre de becs de gaz qui au-delà de leur fonction première contribuent à l’embellissement de l’espace public sous des formes variées qui vont bientôt inspirer les artistes, comme Caillebotte ou Anders Zorn et les photographes comme Charles Marville qui réalise plus de 90 clichés qui donnent leur lettres de noblesse à ces candélabres ou becs à gaz selon leur appellation au XIXè siècle. Le réverbère peut aussi être moins prestigieux selon qu’il s’agisse de quartiers plus reculés et populaires comme en témoigne Albert Marquet avec « Le réverbère à Arcueil ». Une nouvelle génération de luminaires urbains apparait avec ces pylônes électriques à arc voltaïque qui créent un effet presque aveuglant ce dont se saisit Pissarro qui après ses vues de Paris dans les années 1890, dépeint au Havre été 1903 ces hautes silhouettes dans « L’Anse des pilotes et le brise-lame est, Le Havre, après-midi temps ensoleillé ».
Bientôt ces balbutiements se voient dépassés par Paris, ville lumière qui à l’occasion des Expositions Universelles capte toutes les avancées en matière d’éclairage comme en 1900 avec la Tour Eiffel et ses milliers d’ampoules électriques, surmontées d’un phare gyroscopique, ce dont se fait le témoin Maxime Maufra (couverture du catalogue) ou Gabriel Loppé (aristotypes). Le cinématographe est inventé et l’américaine Loïe Fuller fait courir le Tout Paris avec sa danse serpentine qui est la traduction de la lumière en mouvement.
Apparaissent alors avec la généralisation de l’éclairage artificiel ces nouveaux noctambules guidés par des plaisirs inexplorés et interlopes dans les salles de spectacle, au Moulin Rouge (Auguste Elysée Chabaud), aux terrasses de café (Pierre Bonnard) ou sur les grands boulevards. Des effets de contre-jour sont alors possibles pour les artistes qui soulignent la silhouette (Jules Chéret et Félix Vallotton, également sous l’influence japonisante). Mais se dessine bientôt une cartographie lumineuse de la ville selon que l’on se trouve dans les quartiers chics abondamment éclairés ou dans les zones périphériques pauvres sous l’emprise de la noirceur avec Théophile Steinlen (le Bouge) ou Eugène Jansson (Logement prolétaire). Traverser la ville suppose une trouée de halos lumineux selon les quartiers par soucis d’économie. Focus sur la nuit havraise avec Monet déjà cité qui est fasciné par ces lanternes de gaz installées sur l’avant-port pour permettre aux navires d’y entrer en profitant des marées de nuit ou Gabriel Loppé auteur d’une rare photographie nocturne sur le Grand Quai.
Il est important de souligner que la photographie de nuit reste un vrai défi à l’époque, la sensibilité des négatifs étant insuffisante. Des boîtes optiques dites mégalétoscopes et des vues stéréoscopiques rehaussées de figures peintes cherchaient à créer un effet jour/nuit jusqu’à ce que les pionniers de la prise de vue de nuit apparaissent, le peintre français Gabriel Loppé féru de photographie (rare vue nocturne de la Tour Eiffel en construction), l’anglais Paul Martin et Léon Gimpel qui juxtaposera prises de vues nocturnes et l’autochrome. La dernière transformation du paysage nocturne urbain sera l’introduction des colonnes Morris tapissées d’affiches éclairées le soir (sublime Gabriel Biessy). La publicité lumineuse se part alors de couleurs comme le relate Auguste Chabaud.
Les premiers dispositifs illusionnistes et autres trucages des réalisateurs (Méliès) précèdent la naissance du cinématographe en 1895 où le réverbère urbain trouve de nouveau une grande place.
De nouvelles expériences visuelles dont se saisissent également les peintres plutôt néo-impressionnistes (Luce,Seurat, Anquetin) dont les recherches s’appuient sur la théorie chromatique de Chevreul, tandis que Monet ne renouvelle pas son expérience nocturne. Bientôt se dispute à la lumière électrique blafarde, polaire (noceurs de Piet von der Hern), la lumière du gaz considérée plus douce, comme les compare le peintre Dario de Regoyas.
Moment d’épiphanie quand nous traversons dans le sillage de Whistler une variation de nocturnes de bleus avec Munch (Nuit étoilée, Wuppertal, von der Heydt Museum), Charles Lacoste, Walter Greaves (Leeds museum) et surtout Eugène Jansson (Gotenburg museum of art) que l’on peut apprécier dans un espace à part, comme pour se livrer à une méditation.
Puis il faut se réveiller de nouveau et affronter la lumière de pleine face et le progrès de la ville devient tout d’un coup porteur d’une menace sourde entre fascination et répulsion comme chez Kirchner ou Jacob Steinhardt. Sonia Delaunay va jusqu’à dilater le motif coloré dans ses prismes électriques, avant que ne sonne le glas de la guerre la même année et la reprise par les militaires des procédés lumineux à des fins purement stratégiques.
Le dernier chapitre du catalogue aborde le pendant littéraire de ces nuits électriques et c’est un heureux prolongement. Précipitez-vous à l’issue de la visite pour l’acquérir (320 pages, 29€) car il sera certainement sold out bientôt !
Vous l’aurez compris cette exposition est non seulement très innovante en matière scientifique mais également formelle et esthétique, offrant une parenthèse onirique bienvenue après ces longs mois de réclusion.
Reconnue d’intérêt national par le Ministère de la Culture/Direction générale des patrimoines/ Service des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’Etat.
Pour ceux et celles qui souhaitent compléter par une expérience plus contemporaine à ciel ouvert, un été au Havre vous attend « pour regarder la mer » (thématique 2020) avec en plus de la collection permanente d’œuvres en plein air, les œuvres et installations de Claude Lévêque (église Saint Joseph), Fabien Mérelle son éléphant revient au Palais des Régates, après le malheureux incendie de sa statue, Rainer Gross (Hôtel de Ville), Alice Baude (bassin du commerce) ou encore Benedetto Bufalino et sa caravane suspendue (parking de la plage).
Le Portique accueille le duo d’artistes français Mrzyk & Moriceau et Le Tetris lance Exhibit ! autour de la création multimédia et numérique.
Infos pratiques :
Nuits électriques
Jusqu’au 1er novembre 2020
MuMa
du mardi au vendredi, de 10h à 18h
Ouverture exceptionnelle et gratuite le 14 juillet (sur réservation).
Réservation en ligne préalable obligatoire !
Normandie Impressionniste c’est aussi à : Rouen, Caen, Giverny, Honfleur, Dieppe…
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