Portrait de Morgane Porcheron réalisé à son atelier par Mailys Celeux-Lanval
Poursuite des croisements fertiles entre art contemporain et permaculture ! C’est à l’invitation de Morgane Porcheron que je découvre la ferme urbaine de Saint-Denis et le projet Zone Sensible du collectif Parti Poétique fondé par l’apiculteur artiste Olivier Darné (la Banque du miel). Morgane Porcheron a été en résidence en 2019 (bourse [N.A!] Project – le fonds d’art contemporain créé par Bertrand Jacoberger) et présente sur la parcelle artistique 365, ses dernières sculptures Angles Vivants et l’installation Construction Structurée. Pendant le confinement elle a transformé sa terrasse du 12è arrondissement de Paris en atelier poursuivant ses expérimentations sur le vivant. Traquant les jeunes pousses rebelles de nos univers bétonnés, elle collecte les herbes folles de ces interstices invisibles au premier regard ou quand la nature reprend ses droits. Glaner ces signes sauvages et subtils pour les mettre en confrontation avec des matériaux manufacturés tels le béton, le plâtre, l’acier donne libre cours à des fertilisations multiples comme cela se traduit avec Construction Structurée où le terreau et les graines de fèves se mélangent au sol dans une greffe réussie. Les formes architecturales qui reprennent l’architecture des serres de Zone Sensible finissent par dessiner une ruine en puissance sur fond de barres d’immeubles et au beau milieu des marguerites et coquelicots.
Genèse de cette résidence Zone Sensible et œuvres présentées
Suite à l’appel à projet entre Zone Sensible et [N.A!] Project dont j’ai été lauréate en même temps que Raphaël Dallaporta en juin 2019, cela m’a permis de bénéficier d’une résidence d’un mois ½ sur place l’été dernier. Je me suis inspirée de ce lieu qui s’articule autour de 3 constituants : art – culture – nourriture et ai voulu proposer une installation avec deux grandes sculptures qui part sa forme rappelle l’ossature des serres, par la matière les végétaux et aussi l’évolution, le temps. Le côté nourriture se retrouve par les fèves, plantes nourricières qui poussent assez vite et que je mets à mal dans des structures aux formes assez improbables. J’avais commencé à dessiner certaines formes qui se sont confirmées sur place en grand format : une arche tronquée et un L qui totalisent plus de deux mètres de haut et de large. Il y a ce rapport à l’architecture, au corps et à l’espace dans des possibilités nouvelles pour moi : le grand format et l’in situ. J’ai travaillé de l’argile crue, du terreau et des plantes. Je devais aller assez vite et lors de la mise en situation les pièces ont commencé à craqueler, à évoluer suivant les intempéries et les saisons. Je les découvre aujourd’hui (un an plus tard), de façon totalement différente avec une base recouverte de plantes diverses et l’arche plus en ruines comme dans les architectures délaissées. La nature finit toujours par l’emporter avec une partie de magie et de laisser aller qui font parti de mon processus de travail. Ce qui a été intéressant également au moment de l’activation étaient ces jeux de pollinisation et d’aléatoire.
Je présente aussi à Zone Sensible sur une invitation de Julien Duc-Maugé de Synesthésie Mmaintenant, une série plus récente de quatre sculptures en terre cuite « Angles Vivants ». Commencé avant le confinement, cette série constituée de ce que l’on appelle communément des mauvaises herbes en fragments d’angles de rue. C’est un mélange de modelage et d’empreinte, dans un jeu d’échelles, de matières et de temporalités. Cette série évoque l’anodin, l’invisible, avec une disposition qui dessine un mur imaginaire ou au contraire des formes plus dispersée dans l’espace. Poser un regard sur de petites choses qui se révèlent essentielles et qui dévoilent toute une flore souterraine oubliée est ce qui motive l’ensemble de ma pratique.
Comment avez-vous vécu cette période de confinement ?
Je me suis confinée dans mon appartement à Paris, ne pouvant rejoindre mon atelier à
Montreuil. J’avais pris de la matière pour travailler et bizarrement j’ai vraiment apprécié cette bulle temporelle, sans planning, ni obligations.
En tant que jeune artiste nous avons souvent une double ou une triple casquette car nous ne vivons pas totalement de ce que l’on fait. Donc nous devons concilier en même temps qu’une pratique artistique, d’autres boulots, ce qui multiplie les temps de trajets dans les transports, les rendez-vous, etc. J’ai aimé de ne pas avoir à regarder mon agenda (papier façon old school). J’ai bien travaillé pendant cette période, sans me fixer d’objectifs ni culpabiliser si je ne produisais pas, alors que l’on a tendance à le faire en permanence.
Economiquement cela n’a pas été simple bien sûr mais il y a eu plusieurs initiatives solidaires auxquelles j’ai été invitée comme celle de Marty de Montereau (Smarty’s Arty), plateforme à travers laquelle j’ai eu la chance de vendre plusieurs œuvres et les Amis des Artistes. Certains collectionneurs qui suivaient déjà mon travail m’ont acheté des œuvres ce qui m’a beaucoup aidé et a permis d’accélérer les choses. S’ajoutent aussi les aides de l’Etat auxquelles je pouvais prétendre ayant travaillé à l’espace d’art Arondit l’année dernière en tant qu’auto-entrepreneuse. Tout cela a été important car les deux nouveaux boulots que je devais commencer pendant le confinement ont été annulés et pendant ce temps je dois continuer à régler mes loyers d’appartement et d’atelier ! La solidarité a beaucoup joué je trouve entre nous artistes pendant cette période selon nos connexions et affinités, dans la mesure où l’on sait bien s’entourer évidemment.
Quel a été l’impact de cette crise sur vos projets ?
Au-delà de cette exposition à Zone Sensible qui devait ouvrir le 20 mars et qui est
heureusement maintenue (reportée une saison après le 20 juin), je devais participer à un
workshop grand format de céramique dans l’Oise dans un atelier qui s’appelle la Menuiserie 2 organisé par et avec plusieurs artistes, qui va être aussi reporté. C’est une décision importante aussi pour moi car je compte explorer le grand format en bénéficiant de leur soutien technique, la céramique étant un médium que je continue à découvrir même si la terre cuite est considérée par beaucoup comme de la céramique en tant que telle. Je reste donc malgré tout positive et j’espère que d’autres projets vont se développer prochainement.
Morgane Porcheron née en 1990 à Lyon, vit à Paris et partage son atelier avec d’autres artistes à Montreuil.Elle débute son cursus artistique par la classe préparatoire des Beaux-Arts de Lyon puis se forme à l’Institut Supérieur des Arts de Toulouse où elle obtient son DNAP en 2013. Passant ensuite par un échange à Shanghai dans l’école Offshore de Paul Devautour en 2014, elle décide de terminer son parcours aux Beaux-Arts de Paris où elle obtient son DNSAP en juin 2016.Morgane Porcheron développe ses recherches dans le cadre de résidences artistiques : «Du soir au matin» dans le Loiret (France) en 2015, la «Casa Lool» dans le Yucatan (Mexique) en 2016, puis Zone Sensible en 2019 grâce au soutien de la bourse [N.A !] Project.Son travail a été exposé en France, notamment au musée du Louvre en 2017, à La Villette pour l’exposition « 100% Beaux-arts », à la galerie du CROUS, à la galerie Un-spaced et dans le jardin de Diane du château de Fontainebleau durant le Festival d’Histoire de l’Art en 2018, dans l’abbaye Saint-Martin à Laon durant l’exposition «De briques bis», à Arondit en 2019, ainsi qu’à la galerie du Chevalet à Noyon et au 24Beaubourg en 2020.
Infos pratiques :
Zone Sensible – Parti poétique
Ouverture tous les samedis entre mars et octobre
112 avenue de Stalingrad, Saint Denis
Entrée libre
Le Parti Poétique est un regroupement d’artistes, de penseurs et de faiseurs réunis autour de questions et d’abeilles qu’ils posent dans l’espace public. Comme son nom ne l’indique pas, ce collectif, interroge le quotidien et essaye d’aller voir ailleurs si il y est, et ce notamment par l’intermédiaire de l’art et des ressources des territoires.
Site de l’artiste :
http://www.morganeporcheron.com/
Instagram de l’artiste :
morgane_porcheron