Actuellement doté de près de 1000 œuvres autour des questions relatives à l’image, le Frac Auvergne qui a accueilli en 2019, 138 000 visiteurs dans ses expositions en région Auvergne et ailleurs en France, a su lancer un signal de solidarité fort pendant cette période à travers un dispositif d’urgence exceptionnel en faveur des artistes et de leurs galeries. Jean-Charles Vergne, directeur du Frac, revient sur cette décision et les différentes problématiques auxquelles l’ensemble de la communauté artistique se trouve confrontée de façon inédite, tandis que se profile le futur déménagement du Frac dans l’historique Halle aux blés, suite à une réhabilitation de 10M€.
Jean-Charles Vergne est Directeur du FRAC Auvergne, critique d’art membre de l’AICA (Association Internationale des Critiques d’Art), commissaire d’expositions et éditeur/auteur de livres. Il a consacré des expositions personnelles et des livres à Agnès Geoffray, Luc Tuymans, Albert Oehlen, Richard Tuttle, Raoul de Keyser, David Lynch, Gregory Crewdson, Katharina Grosse, Abdelkader Benchamma, Denis Laget, Marc Bauer, Dove Allouche, Shirley Jaffe, Philippe Cognée, Michel Gouéry, Gilgian Gelzer, Bruno Perramant, Gert&Uwe Tobias, Darren Almond, David Claerbout, Ilse D’Hollander, Mireille Blanc, Cristof Yvoré…
Comment avez-vous réagi face à la crise en termes d’organisation et de programmation ?
Comme pour tout le monde cette période a été complexe avec la mise en télétravail de l’ensemble de l’équipe. Nous avons dû reporter un certain nombre d’expositions de quelques mois, d’une année ou plus. Nous devions lancer au mois de mai au Frac Auvergne une exposition qui s’intitule « Le Mauvais Œil » dont la thématique centrale concerne les grands récits archaïques et les grands mythes apocalyptiques de différentes cultures et époques à partir du film de Clément Cogitore « The Evil Eye » avec lequel il a remporté le Prix Marcel Duchamp (et dont j’ai eu le privilège d’être le rapporteur auprès du jury), entré depuis dans nos collections. L’exposition était prête et avec la pandémie nous nous sommes trouvés face à une question assez épineuse en raison de sa résonnance avec de nombreux thèmes de l’actualité. Nous nous sommes posé la question de son maintien et après réflexion avons réalisé que c’était sans doute le moment d’aborder ces questions. On ne pourra pas nous accuser d’opportunisme puisque cette exposition était de toute façon conçue et prévue avant la crise. Nous n’y avons ajouté 4 œuvres supplémentaires de 2 artistes dont nous venons tout juste d’acquérir les œuvres via notre dispositif spécial d’urgence, sur lequel je reviendrai.
Quels questionnements ont surgi pendant cette période ?
Ce ralentissement a été l’occasion pour les acteurs économiques et culturels de pouvoir prendre le temps de réfléchir à un certain nombre de sujets et en ce qui nous concerne aux modalités futures d’organisation de nos expositions. Doit-on continuer à la fois d’être dans une sorte de course effrénée aux expositions et dans une absence totale de prise en compte de la notion environnementale ? Est-il encore raisonnable d’envoyer des œuvres à des milliers de kilomètres ou d’emprunter des œuvres qui viennent de très loin ? un débat qui a été abordé par plusieurs acteurs de l’art récemment dans les médias. Si l’on veut véritablement avoir un discours de « l’après » expression assez récurrente, cela commence ici je crois et il en va de notre responsabilité. On va sans doute revoir certains projets futurs ou les annuler, même si je crains que beaucoup de ces bonnes intentions ne soient pas toujours suivies de réelles décisions.
L’exposition Agnès Geoffray
Nous avons prolongé l’exposition d’Agnès Geoffray jusqu’au 17 septembre et j’ai proposé à l’artiste de renouveler complètement l’accrochage de l’une des salles de l’exposition, ce qu’elle a généreusement accepté. De nouvelles œuvres viennent d’arriver depuis son atelier pour renouveler l’approche sans dévoyer le propos général de notre commissariat. Nous sommes heureux de pouvoir montrer les toutes premières photographies qu’elle a réalisées sur la résistance et la victimisation, impulsion déterminante dans son travail et également ses œuvres récentes, des impressions réalisées sur soie à l’occasion de sa résidence dans le cadre du fonds de dotation « Accélérations » du Centre Pompidou.
Quelle est la fréquentation depuis le déconfinement ?
Nous avons rouvert immédiatement après les annonces d’Edouard Philippe sur les petits musées le 12 mai et avons été les premiers en Auvergne Rhône Alpes et au niveau des Frac, ayant déjà mis en place les dispositifs sanitaires nécessaires. Les premiers temps de la réouverture ont été évidemment très calmes étant donné une certaine frilosité du public à revenir dans des lieux publics. La fréquentation est revenue peu à peu même si nous sommes encore loin de nos fréquentations habituelles. Les visiteurs sont très heureux en tous cas de la réouverture et de pouvoir visiter l’exposition dans des conditions très sereines. Nous recommençons à accueillir progressivement des groupes et des classes.
Vous avez lancé un dispositif spécial d’aide et de soutien d’urgence
Notre premier objectif face aux grandes difficultés auxquelles étaient confrontés les créateurs a été d’agir très rapidement par la mise en place d’un dispositif de soutien aux artistes et aux galeries pour répondre à l’urgence et de manière collégiale, aussi bien en interne au sein de l’équipe du Frac qu’avec un certain nombre d’interlocuteurs, que ce soit au niveau des membres de notre commission d’acquisition et également de nos tutelles (Conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes, Drac Auvergne Rhône Alpes, ville de Clermont-Ferrand), les membres de notre conseil d’administration et le président du Frac, Henri Chibret, qui se sont tous montrés très favorables à notre proposition qui consistait à avancer la date de notre comité d’acquisition et à débloquer un budget exceptionnel pour pouvoir augmenter de 50% le montant d’acquisitions prévu pour l’année 2020, à partir d’une partie de nos subventions et de notre trésorerie.
Le 2ème axe de ce dispositif a été la décision de régler les acquisitions de ces œuvres à hauteur de 50% (voir 100%) immédiatement après la prise de décision, alors que normalement on ne paie les oeuvres qu’à leur livraison, ce qui entraine parfois des décalages. Il était important pour nous de rétribuer immédiatement les artistes et leurs galeries, notamment celles implantées dans la région. De plus ce dispositif a été fortement orienté vers les artistes et galeries françaises puisque sur les 35 œuvres acquises de 17 artistes cela correspond à 90% de galeries françaises et 94% d’artistes français avec une quasi parité hommes-femmes. Nous avons considéré que c’était notre mission institutionnelle de contribuer à la mesure de nos possibilités à ces actions de soutien.
Nous avons initié ce processus d’acquisition 2 jours après le confinement avec une concomitance tout à fait louable entre la Fondation Antoine de Galbert, le Frac Méca et nous, dans ce laps de temps très rapide. Nous avons eu beaucoup de remerciements et de retours positifs de la part des artistes et des galeries.
Place de l’image et de la photographie au sein de la collection
Cette collection au moment de sa création en 1985 par décision politique se voulait être exclusivement orientée vers la peinture. Quand je suis arrivé au Frac le conseil d’administration se concentrait uniquement sur la peinture ce qui a forgé une identité assez forte même si assez restrictive dans la mesure où l’histoire de la peinture est très connectée à celle de la photographie et du cinéma avec beaucoup de photographes qui regardent la peinture et vice et versa. Donc à partir de 2004-05 nous avons décidé d’ouvrir et d’élargir le spectre de la collection tout en maintenant cette question très importante de la peinture en regard du statut de l’image. Nous avons de plus à Clermont Ferrand ce que l’on appelle un pôle image avec un certain nombre d’opérateurs culturels impliqués comme le centre photographique et le plus grand festival au monde de court métrage, ce qui encourage des échanges et des manifestations communes, ce dont devait être le reflet la collection du Frac. Nous avons bénéficié notamment en 2014 d’un important dépôt du CNAP à la suite de l’exposition que nous avions organisée, « L’œil photographique » avec 120 œuvres du CNAP et Richard Lagrange, à l’époque directeur du CNAP, et Pascal Beausse responsable des collections photos, nous ont généreusement proposé alors de garder la moitié de l’exposition. Cela a été une impulsion très forte pour le développement de notre axe photographique. Depuis Pascal Beausse est entré dans notre comité d’acquisition.
Votre programmation en 2021 : Jean-Charles Eustache, en partenariat avec la galerie Claire Gastaud
Nous avions déjà acquis 7 peintures dans notre collection et récemment il a souhaité faire une donation de 15 autres oeuvres. Pour le remercier et aider la galerie Claire Gastaud dans ce contexte, nous avons souhaité acquérir 2 peintures supplémentaires et proposer une exposition monographique de Jean-Charles Eustache en février 2021, qui devait avoir lieu normalement à l’automne. Nous publierons et financerons à cette occasion son premier catalogue en guise de soutien également à la galerie. Il y aura une double exposition, d’une part de Jean-Charles Eustache au rez-de-chaussée du Frac et à la galerie Gastaud et au 1er étage du Frac nous proposerons une autre exposition, consacrée à l’artiste suisse Marc Bauer.
Infos pratiques :
Agnès Geoffray
Jusqu’au 6 septembre
Le Mauvais Œil
du 19 septembre 2020 au 10 janvier 2021