Alain Arnaudet, Friche la Belle de Mai – Marseille : «on ne pourra pas se réveiller dans un désert culturel !»

A la tête depuis 2011 d’une véritable fabrique culturelle, la Friche la Belle de Mai qui essaime sur tout un quartier et la ville de Marseille, Alain Arnaudet maintient avec rigueur cette difficile équation entre lieu de création et espace de vie et de mixité sociale. Pour lui la pandémie est une alerte dont l’impact appelle à une prise de conscience collective et à un sursaut de l’offre culturelle au sortir de la crise.

  1. Comment réagissez-vous à la Belle de Mai pour faire face à cette crise sans précédent, sachant que vous regroupez un espace multiple avec des espaces d’expositions mais aussi 5 salles de spectacles et de concert, un restaurant, une librairie, des jardins partagés..?

En ce qui concerne le bâtiment, nous avons décidé de fermer étant donné le nombre de personnes qui traversent le lieu (500 000 visiteurs par an), qui y travaillent (500 personnes, tous les jours) et ce dès les premières mesures de confinement prises. Nous assurons cependant une veille sécurité pour préserver le bâtiment et éviter les
intrusions, problèmes d’incendie ou autres et une veille technique avec notamment une personne à la conciergerie présente aux heures d’ouverture traditionnelles. Cette mise en sommeil relative nous permettra d’être très réactifs et opérationnels afin de réinvestir le lieu rapidement et l’ouvrir aux habitants.
En ce qui concerne l’activité beaucoup d’expositions ou de projets sont reportés et certains annulés. S’agissant des projets à compter du mois de mai nous faisons comme s’ils auront lieu pour avancer dans leur organisation tout en essayant d’anticiper les décisions qui devraient être prises selon la date de fin du confinement et les limitations de
jauges. On essaie de conserver nos idées, nos projets, de ne pas abandonner les artistes, les techniciens, ces hommes et ces femmes directement concernés.

Vues de l’exposition Signal Cc. Jean Christophe Lett

2.   Quel impact peut avoir selon vous un tel séisme sur le secteur de l’art à Marseille et au-delà ?

Nous sommes très impliqués dans Manifesta / Marseille et Africa 2020, deux évènements internationaux dont les ouvertures prévues concomitamment en juin seront reportées.
Nous n’avons pour l’instant aucune information sur les dates de reports car personne ne maitrise hélas le calendrier de la pandémie, notamment son évolution sur le continent africain.
En ce qui concerne l’impact sur le quartier de la Friche, l’on peut difficilement imaginer ce que peut être la vie des habitants du quartier Belle de Mai, le plus pauvre de France, ceux-ci vivant trop souvent confinés à plusieurs dans des habitats insalubres. Propagation du virus, difficulté pour avoir la bonne information, problème de sensibilisation
des personnes à risque, relations humaines au sein d’une même fratrie dans un tel contexte… Tous les éléments sont réunis pour générer de la souffrance.

Vues de l’exposition Le Grand Dépotoir C. Dutrey 

3. Les mesures proposées par le gouvernement vous semblent-elles réalistes et vous permettent-elles de rester positif ?

Il faut surtout raison garder et regarder ce qui se passe autour de nous au niveau macroéconomique dans le pays et le monde. Il faut bien évidemment que l’on défende notre territoire d’action car nous agissons pour l’intérêt général. Mais reconnaissons aussi que étant subventionnés nous sommes plus protégés qu’un certain nombre d’acteurs de l’économie culturelle qui n’ont pas de soutien financier des institutions publiques. Enfin, n’oublions pas les artistes, les techniciens du spectacle, les travailleurs indépendants dont la rémunération dépend de notre activité !

Nous vivons certainement un véritable cataclysme économique et social global.

4. Et après ?

Quand les gens sortiront du confinement ils auront besoin de bouger, profiter de la nature et de leur ville, «s’aérer l’esprit» et se nourrir ensemble de belles propositions artistiques. La culture et l’art devront être au rendez-vous face à cette soif de vie et de sens. On ne va pas se réveiller dans un désert ! Marseille, Avignon, Arles, Aix en Provence (etc) sont des territoires où nous devrons maintenir une réponse à la hauteur des attentes. Les partenaires publics (collectivités territoriales et Etat) devront nous soutenir pour ré-équilibrer nos budgets et nous donner des marges de manoeuvre.

Dans le quartier de la Belle de Mai nous reprendrons notre activité avec et pour les habitants. Nous poursuivons notamment l’organisation de ces grandes soirées gratuites de musique, cinéma en plein air et visites d’expositions que nous proposons chaque l’été sur le toit terrasse de la Friche (espace de 10000 M2 duquel on profite d’un magnifique coucher de soleil sur l’Estaque…).

5. Pensez-vous qu’en matière de conscience écologique cette crise soit une alerte et entraine des changements durables dans nos habitudes et comportements ?

Je l’espère. Il est évident qu’en ayant un comportement différent, notre monde respire mieux. Nous le constatons en ce moment.

Et même notre situation aujourd’hui ne peut pas devenir notre prochain quotidien, elle doit nous conduire (obliger ?) à le repenser. Elle est une alerte. Cela nécessite un vaste mouvement collectif. Mondial. Hélas je ne suis pas certain que dans tous les pays – comme aux Etats Unis, où Trump est plus que jamais inconscient, inconséquent, et plus encore – cette crise ait des vertus pédagogiques.

Espérons que l’Europe en tire TRÈS rapidement les bons enseignements…

INFOS :

Actuellement fermée
Friche Belle de Mai
41 Rue Jobin, Marseille
http://www.lafriche.org/fr/


– Le Grand Dépotoir : Julien Blaine- Bon débarras/ Fin d’un artiste
– SIGNAL -Espace(s) réciproque(s)
– Street Trash
– Südwall, la photographe Margret Hoppe documente des lieux de Marseille,
témoins de la Seconde Guerre mondiale