Pantxika De Paepe, «Le Retable d’Issenheim peut aider en ce moment»

Image de dévotion, le Retable d’Issenheim semble doté d’un pouvoir qui agit encore aujourd’hui. Qu’a t-il à nous révéler en ces temps troublés que nous vivons ? Placé à l’origine dans l’église d’un hôpital où l’on soignait les malades du feu de Saint-Antoine, victimes d’hallucinations ou de gangrènes sur les extrémités de leur corps, ce chef d’oeuvre de Matthias Grünewald est devenu une icône. Pantxika De Paepe, conservatrice en chef du musée Unterlinden, revient sur son histoire troublante et cette confrontation inégalée avec une œuvre qui nous touche et nous parle, qu’elle que soit notre histoire, sensibilité et contexte. Une émotion vibrante qui donne envie de le redécouvrir dès la réouverture du musée.

1. Comment vous organisez-vous au musée Unterlinden pour faire face à cette crise, en termes de programmation (exposition Michel Payant), organisation, ressources humaines.. ?

Nous avons fermé dès le 14 mars au matin, en Alsace le confinement ayant démarré plus tôt. Notre exposition en cours de Michel Paysant n’a pas pu bénéficier de sa programmation associée et est reportée jusqu’à fin août. Mais sans connaître la date de sortie de confinement, il est difficile de se projeter. De même pour la programmation autour de la réouverture de la salle archéologie, ce qui est moins impactant car relevant de la collection permanente. Tout le calendrier est décalé à l’automne finalement et partout ailleurs aussi, ce qui risque d’entraîner une surenchère d’évènements à cette période. Nous essayons donc d’anticiper au maximum au fur et à mesure des annonces officielles.

En termes d’organisation nous sommes en télétravail, exceptées les personnes en relation avec le public. Avec 2 personnes qui assurent la sécurité du musée nous (régisseurs, techniciens, conservateurs) faisons une fois par jour une ronde complète des collections, dans les salles et les réserves. Cela donne une curieuse impression ce musée sans vie et sans public et nous avons dû d’ailleurs remoduler notre climatisation sans la respiration des visiteurs et les ouvertures et fermetures des portes.

Vue de l’entrée vers la salle d’orientation, Musée Unterlinden Photo: Ruedi Walti architecture Herzog&de Meuron

2. Quelles activités digitales avez-vous mis en place depuis le confinement et à quelles fins ?

Il y a une sorte de surabondance de propositions même si cela reste stimulant pour voir autrement le musée et c’est pourquoi nous y participons avec l’opération #le musée chez vous (et non à domicile qui était la première idée). En plus avec le Retable d’Issenheim, une œuvre avec un pouvoir de guérison, j’ai vouloir réfléchir à son aura en cette période de pandémie et mis en place une série de Podcasts sur son histoire et contexte de réalisation, la présentation de chacun des panneaux et une lecture des grands textes littéraires et philosophiques associés. J’ai d’ailleurs trouvé cela très difficile comme exercice de description dématérialisé. En effet le choc face à l’oeuvre reste inégalé, pouvoir ressentir physiquement le froid de l’hiver dans la chapelle ou la fraîcheur l’été et selon votre état d’esprit du moment, joyeux ou en souffrance, le bienfait n’est pas le même. C’est ce dont témoigne la plupart de nos visiteurs. Pour moi ces opérations digitales restent des clins d’oeil afin de maintenir l’intérêt de nos visiteurs habituels et et susciter l’envie à d’autres de venir le découvrir. Rien ne remplacera l’oeuvre d’art et certains visiteurs m’ont confié que le Retable leur manquait actuellement.

Vue de la chapelle, Grünewald et Nicolas de Haguenau, Retable d’Issenheim, 1512-1516, Musée Unterlinden Photo : Ruedi Walti

3. Cette crise peut-elle selon vous avoir un impact sur la vaste campagne de restauration du Retable d’Issenheim ?

Pas encore pour l’instant et la prochaine campagne est prévue mi-juin. La restauration devrait finir au printemps 2021, ce qui peut être décalé sans incidence à l’automne 2021. Si le calendrier risque d’être un peu modifié, nous prendrons le temps qu’il faut. Mais il convient de souligner que la période est très délicate pour les restaurateurs, privés de leur activité, avec sans doute des problèmes d’organisation si toutes leurs commandes se décalent en fin d’année.

4. Plusieurs musées américains sont menacés de fermeture, comment réagissez-vous face à cela ?

En France nous avons la chance d’être beaucoup aidés. En ce qui concerne les subventions sur des opérations destinées au public, restaurations et acquisitions, octroyées par le Ministère de la culture et de DRAC, ils nous garantissent une avance dans ce sens. De la même manière la Région nous propose une avance sur subventions pour les travaux en cours, la Mairie de Colmar nous soutient en rémunérant une partie de nos agents et le Département du Haut Rhin joue également un rôle financier important pour nous aider à franchir ce cap. Les musées américains ne peuvent s’appuyer sur tout ce système.

Le musée Unterlinden est géré par une association, la société Schongauer qui vit grâce aux entrées des visiteurs. Depuis la fermeture du Musée le 14 mars, l’association se mobilise pour rechercher des subventions et du mécénat pour faire face à cette crise.

5. Pensez-vous qu’en matière de conscience écologique cette crise soit une alerte et entrainera des changements durables dans nos habitudes et comportements pour concevoir et montrer de l’art, le partager et le vivre ?

Au début du déconfinement les prévisions touristiques vont vers des destinations proches, ce qui nous donne une carte à jouer car, en ce qui concerne notre public local, c’est à dire l’Est, l’Allemagne et la Suisse, car nous n’avons que 3 % de visiteurs Suisse, pays pourtant limitrophe. De même certains Colmariens connaissent le musée mais n’y sont encore jamais allés. Notre autre atout est d’être un musée de territoires au-delà d’un musée des Beaux Arts et international.

Plus largement la culture doit se transformer et nous avions déjà réfléchi au musée du XXIème siècle à la demande de Mme Azoulay alors Ministre de la Culture mais sans prédire cette pandémie. Il est à prévoir que les futures attentes des visiteurs évoluent, ce qui devrait transformer à terme certaines de nos démarches. Nous avions mis en place une rencontre mensuelle depuis septembre intitulée «Devenez acteur de votre musée » à l’attention de nos publics autour de grandes questions liées au musée, suivie d’ateliers, dont l’analyse aura sans doute un impact positif et prospectif sur notre vision. Une journée d’étude était également prévue dans ce sens avec le musées alsacien de Strasbourg et plusieurs institutions québecoises que nous allons décaler à juin l’année prochain. Cela nous donnera le temps d’assimiler quelles seraient les nouvelles démarches culturelles à entreprendre et ce que les visiteurs attendent de nous.

Nous allons probablement aussi nous recentrer autour de nos collections permanentes qui ont été négligées souvent au profit de grandes expositions évènements. Si les français ont tous été voir l’exposition Léonard de Vinci, beaucoup ne connaissent pas Le Louvre en profondeur. C’est à nous de montrer que nos collections permanentes peuvent aussi surprendre et stimuler notre rapport au présent et au futur. Une autre piste serait aussi de travailler plus en réseau et plus systématiquement, avec les centres d’art dramatique ou de danse notamment. On peut faire passer de nombreux messages face à une œuvre d’art. Cela fonctionne toujours.

Découvrir #Lemuseedepuischezvous

Le Retable décrypté à écouter en ligne

Pantxika De Paepe, conservatrice en chef et directrice du musée, vous présente sous forme de podcast, le Retable d’Issenheim en 6 épisodes.

À écouter chaque semaine à partir du 5 avril 2020 sur Deezer et Spotify et sur cette page. Regardez l’œuvre en ligne ici

www.musee-unterlinden.com