Chantal Colleu-Dumond, Chaumont-sur-Loire : « un nécessaire retour à une relation différente avec la nature, plus respectueuse du miracle du vivant et de la biodiversité »

Nous poursuivons notre tour des acteurs du monde de l’art brusquement impactés en
Val de Loire à Chaumont-sur-LoireChantal Colleu-Dumond directrice du Domaine et des Jardins, devait ouvrir la Saison d’art 2020. Elle dresse un premier bilan assez
alarmiste d’une lame de fond dénoncée par les artistes depuis longtemps et qui est le
thème du Festival International des Jardins 2020, « un nécessaire retour à une relation
différente avec la nature, plus respectueuse du miracle du vivant et de la biodiversité ».

Philippe Cognée

1. Quelles conséquences cette crise a sur la Saison d’art de Chaumont et la gestion
du domaine, parcs et jardins, et les personnels qui vous accompagnent ?


La Saison d’art était sur le point d’ouvrir ses portes au public le samedi 28 mars.
Nous avons pu mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour que les installations des quatorze artistes qui la composent, éminents ou émergents, soient prêtes dès que nous aurons l’autorisation d’accueillir à nouveau des visiteurs.
Concrètement, nous sommes fermés, conformément à la législation, depuis le dimanche 15 mars. Il est encore difficile, à ce stade, d’évaluer précisément les conséquences de cette crise, en termes de fréquentation. Nous perdons évidemment beaucoup de visiteurs, nombreux le week-end de Pâques et pour les vacances de printemps. Pour un site qui s’autofinance à 75%, cette situation est particulièrement inquiétante, d’un point de vue financier. Mais les artistes de la Saison d’art ont créé de très belles œuvres. L’ensemble est tout à fait enchanteur et il est fort probable que chacun aura hâte de prendre « un bol d’art pur » dès que cette pandémie se sera éloignée.
Nos personnels sont majoritairement en télétravail, au chômage partiel ou en arrêt de travail, pour ceux qui doivent assurer la garde de leurs enfants. Nous assurons cependant un service minimum, en respectant toutes les consignes de sécurité et de mise à distance, avec une équipe restreinte, pour maintenir la continuité.

Joël Andrianomearisoa galerie Basse du Fenil et Cour Agnès Varda

2. Quel sera l’impact selon vous sur le monde de l’art en général et les artistes en particulier ?

Ma conviction est que l’art est vital, pour ceux qui le conçoivent comme pour ceux qui le reçoivent. Je ne doute pas que les artistes trouvent des solutions pour continuer de créer, malgré les conditions actuelles. Mais il est vrai que nombre de festivals de cinéma, de musique, de théâtre et nombre d’expositions et de foires d’art contemporain sont annulés à travers le monde, et les privent, par la même, d’une visibilité essentielle. Je crains que le spectacle vivant ne soit particulièrement touché, ce qui est effroyable, quand on songe à quel point il est constitutif de notre tissu social. Cette tragédie sera, paradoxalement, à l’origine – de la disparition de nombre de structures culturelles et parallèlement – d’une prise de conscience aigue de l’importance fondamentale de la culture, comme réponse aux angoisses majeures de nos sociétés.

Giuseppe Penone, cour de la Ferme, galerie Basse et vestibule du château

3. Le tourisme est un secteur très pénalisé. Pensez-vous que les mesures de
soutien annoncées sont suffisantes et adaptées à votre région ?


Nous sommes dans une situation absolument inédite. Il est beaucoup trop tôt pour établir un bilan. Il est sûr que chacun d’entre nous, sera face à un défi colossal, quand les activités pourront reprendre normalement. Et à Chaumont, ce ne sont pas seulement nos activités d’accueil, mais ce sont surtout nos activités de production qui ont été mises en péril.

4. Les stratégies virtuelles (OnLine Viewing Rooms, virtual tours…) sont-elles
pour Chaumont une solution alternative intéressante pendant cette période selon
vous ?
Bien sûr. Nous investissons la toile depuis longtemps et bénéficions de ressources que nous avons l’occasion de mettre régulièrement en avant et de développer. Notre site internet est une mine d’informations et d’images et comporte les archives de nombreuses années. Chacun peut y surfer assez longuement. Nous disposons également d’une chaîne Youtube avec de nombreuses interviews d’artistes contemporains de nos Saisons d’Art, don certains exposent des œuvres pérennes dans le château et dans les parcs. On peut aussi y trouver des entretiens avec les concepteurs des précédentes éditions du Festival International des Jardins de Chaumont-sur-Loire. Nous avons également une page Facebook et un compte Twitter alimentés quotidiennement.
Nous sommes encore présents sur Instagram. Moi-même, je suis très présente sur les réseaux sociaux ! Je partage énormément d’images du Domaine sur mes comptes personnels. C’est aussi l’occasion d’envisager le développement de nouvelles actions, à
l’instar d’autres institutions. Nous pourrions à l’avenir réaliser des podcasts de visites sonores, pour donner envie aux amateurs de se rendre au Domaine pour le découvrir. Mais rien ne remplace la présence physique. Le Domaine de Chaumont sur Loire offre un concentré d’émotions et de sensations, que seule la visite réelle permet de ressentir, mais il faut stimuler et entretenir ce désir de visite et de revisite et offrir du rêve en ces temps de confinement.

5. Pensez-vous qu’en matière de conscience écologique cette crise soit une alerte
et entraine des changements durables dans nos habitudes ?


L’incroyable tragédie qui nous frappe aujourd’hui montre bien, en effet, les limites d’une mondialisation effrénée, qui nous a fait perdre le sens de l’essentiel. Le thème 2020 du Festival International des Jardins de Chaumont-sur-Loire porte sur cette problématique du nécessaire retour à une relation différente avec la nature, plus respectueuse du miracle du vivant et de la biodiversité. Lorsqu’ils pourront être vus, ces jardins, aux propositions très diverses, nous inviteront à une reconnection, à une symbiose avec cette « Terre Mère », absolument nécessaire.
On trouvera, dans ces jardins, la dénonciation des excès environnementaux, la satire de notre vision étriquée du vivant, l’évocation de l’altération de l’équilibre millénaire entre l’homme et la nature, l’épuisement et la destruction des sols, les excès de la monoculture et de l’agrochimie céréalière, toutes les aberrations de l’anthropocène. Mais les équipes étaient invitées à proposer des solutions et nombre de jardins, évoquant le caractère cyclique de la vie, proposent une ode à la terre, à son pouvoir de régénération, de résilience, d’auto-réparation. Ces jardins sont en phase avec les maux de notre temps et, souhaitons-le, avec nos espérances.

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