Pro Liturgia : ordinatrices du temps présent -Abbaye de Maubuisson

Quoi de mieux en cette nouvelle décennie que de partir en retraite à l’Abbaye de Maubuisson (Val d’Oise), se mettre à l’abri des rumeurs du monde le temps d’une traversée sensorielle et contemplative aux côtés des 7 artistes femmes, « ordinatrices du temps présent » comme le titre choisi par Julien Taïb, commissaire invité. « Pro Liturgia » du latin suggère d’être attentif à la parole divine. Il s’agit pour Julien Taïb, consultant en arts numériques de tenter de répondre à ce questionnement :

Y a-t-il un rapport religieux possible à la technologie ? à travers sept œuvres d’artistes femmes déployées dans toute l’abbaye de Maubuisson. Un écho dans la lignée de la vocation de L’abbaye de Maubuisson, le lieu des femmes et celui notamment de
l’éducation et de l’accès aux livres, c’est pourquoi les pièces sélectionnées ici sont soucieuses de marquer leur temps à l’ère de la création féminine. Ce propos vient contrebalancer, à défaut d’inverser, le temps d’un parcours, le paradigme d’une vision unilatérale de l’art, observée par le prisme masculin. Cette sélection d’artistes vient donc bouger les lignes et esquisser le scénario d’un art plus inclusif.Si chaque pièce de l’abbaye revêt une histoire, une fonction qui lui est propre, chaque oeuvre aborde un thème, une esthétique, un questionnement ouvert. Chaque espace met en regard des rites fondateurs de notre culture avec nos rituels numériques quotidiens.

Marie Julie Bourgeois photo : Catherine Brossais

Déroulé du parcours :


Dans la salle capitulaire où se discutaient les affaires pratiques de la communauté, un robot imaginé par Laura Haie convie le visiteur à lui offrir un carré de sucre qu’il trempera délicatement dans une tasse pour le lui retourner imbibé de café. La mécanisation de ce rituel du « canard » associé à l’intimité du cercle familial ou privé, trouble la fonction utilitaire attendue de la machine. Ce robot humanisé mimant la convivialité évoque également les craintes anciennes, réactivées par l’intelligence artificielle d’une invention qui viendrait supplanter l’humain, le remplacer.
Exposées dans la salle du parloir, deux installations sonores de Cécile Babiole sculptent l’énergie à l’origine de ce mythe prométhéen des temps modernes : l’électricité. Sous un chapiteau de câbles s’élevant autour d’un générateur, un concert de crépitements vifs en rappelle la puissance ordonnatrice rythmant les gestes, amplifiant les mouvements et cadençant les activités industrielles. L’électricité est également mobilisée par l’artiste en collaboration avec Jean-Marie Boyer sous la forme d’un dispositif d’échanges d’ondes informationnelles invitant les visiteurs à une expérience communicationnelle d’ubiquité.
Les opérations de transcodage génératrices de banques de données – dites data – nourrissent l’oeuvre immersive et spectrale du collectif Iakeri. Réalisée à partir de données traduisant les inégalités sociales entre hommes et femmes, elle évoque l’invisible saisie d’un monde aux informations devenues malléables, quantifiables, et leur approche spéculative.
Ce bouleversement des échelles dans les champs du savoir se rejoue dans l’oeuvre de Marie-Julie Bourgeois. Confrontant le cycle de la lumière, naturelle et vitale, qui rythmait la vie des moniales, à la lumière artificielle en tant que continuum technologique, l’artiste évoque la relativité d’un rapport au temps que les technologies ont tendance à accélérer au détriment, peut-être, d’une connaissance subtile du monde.

Félicie d’Estienne d’Orves Photo : Catherine Brossais


Cet étirement des espaces et des temporalités est également évoqué par Félicie D’Estienne d’Orves (rencontrée au Fresnoy récemment) confrontant la flamme d’une bougie, et sa contemplation rêveuse, aux espaces incommensurables de l’astrophysique. Sa lumière vacillante révèle à nos yeux la diapositive
d’une vue du satellite Hubble : près de trois mille galaxies lointaines embrasant plus de treize milliards d’années-lumière…
Un même voyage dans la mémoire de la matière se produit à travers l’échantillon d’un « Jardin d’Eden », ou jardin des origines, composé par Cécile Beau avec des espèces végétales qui n’ont pas évolué depuis l’ère géologique du jurassique, telle une forêt panchronique.
Enfin à l’image de l’ensemble des dispositifs, l’oeuvre de Cécile Beau mêle les temporalités et croise les échelles de différents milieux. Les technologies étendent nos projections de réalités imaginables et de mondes possibles. Grâce à leurs virtualités, peut-être nous relions- nous aussi, par leurs usages réinventés, à une forme de totalité, de sur-réalité.

Autour de l’exposition :

Rencontre / apéro : Entretient-on un rapport religieux à la technologie ? avec Sean Rose,  Julien Taïb, Cécile Beau et Félicie d’Estienne d’Orves, jeudi 16 janvier 2020 à 19h

Visite-atelier en famille : emogyptologie avec Tony Regazzoni, mercredi 22 janvier 2020 à 15h

Visite-atelier en famille : Météorologies avec Marie-Julie Bourgeois, mercredi 19 février 2020 à 15h

Performance : Notre-Dame de France d’Alexis Guillier, jeudi 27 février 2020 à 19h

Rencontre / apéro : avec Julie Crenn, jeudi 19 mars à 19h

Atelier de céramique : Le chant de la terre avec Sophie Truant, samedi 30 novembre à 14h


Pour en savoir plus : http://www.valdoise.fr/2021-evenements.htm


Infos pratiques :
Pro Liturgia, ordinatrices du temps présent 

une exposition collective au croisement des arts, des sciences et des technologies  

jusqu’au 29 mars
https://www.valdoise.fr/