Rencontre avec Catherine Chevillot, conservateur général musée Rodin, co-commmissaire exposition Barbara Hepworth

Vue de l’exposition Barbara Hepworth, photo J. Manoukian, agence photo du musée Rodin

Figure majeure de la sculpture anglaise du XXème siècle Barbara Hepworth est présentée pour la première fois dans une somptueuse monographie au musée Rodin en collaboration avec la Tate.  Catherine Chevillot à l’origine de ce projet inédit nous livre en quoi cette figure encore méconnue des français a eu un impact majeur dans l’histoire des avant-gardes internationales. Le musée Rodin qui l’avait accueillie il y a plus de 60 ans se devait de participer à cette redécouverte, orchestrée de concert avec la Tate St Ives et l’Estate de l’artiste représentée par sa fille, Sophie Bowness.

« La redécouverte d’un personnage central qui manifeste à travers ses œuvres et une vraie préoccupation d’actions dans la société qui est la sienne »

Catherine Chevillot conservateur générale, directrice du musée Rodin ph J. Manoukian, agence photo du musée Rodin
  1. Pourquoi une reconnaissance aussi tardive en France ?

C’est d’autant plus paradoxal que Barbara Hepworth a été invitée très tôt en France par les avant-gardes que ce soit les artistes Hélion, Herbin, Mondrian et sculpteurs Calder, Gabo, qui ont été eux-mêmes accepté très tardivement en France quand on regarde les périodes d’entrée dans les collections. On a oublié que très souvent Barbara Hepworth a précédé ces artistes dans ses inventions notamment par exemple le fait de percer le volume, ce qui a été attribué à Arp par Moore alors que si on regarde bien les dates c’est elle qui a commencé pour être suivie tout de suite après par les autres.

Peut -être que quand la France s’est enfin intéressée à ce mouvement de l’abstraction et de l’abstraction géométrique en particulier, Barbara Hepworth n’était plus dans nos écrans radars et de plus, après sa mort il y a peu de présence en France à part quelques exceptions dans des galeries, chez Denise René et de manière parcellaire dans des expositions collectives comme « Qu’est-ce que la sculpture moderne ?  » au Centre Pompidou en 1986 et plus récemment dans « Préhistoire ». La seule œuvre d’elle qui est consacrée en France est à la collection Maeght mais aucune ne figure dans les collections publiques.

Cette lacune est d’autant plus surprenante qu’Hepworth fait partie de toutes les grandes histoires de la sculpture moderne  à partir des années 1950. C’est une figure qui a traversé une période très longue des années 1930 à 1975, fascinante car elle participe d’un mouvement en apparence abstrait donc éloigné des contingences de la vie alors qu’en réalité elle cherche à trouver un langage universel de formes qui rapproche les hommes après le désastre de la 1ère guerre et traverse les frontières. Puis après le 2ème désastre de la 2ème guerre mondiale, elle se tourne vers la nature, une emprise qui devient fondamentale et renouvelle beaucoup ses formes comme un passage obligé. Elle déclare « Si nous perdons aujourd’hui cette relation vitale à la nature, à la forme des rochers etc nous allons périr », citation reprise à la fin de l’exposition d’un mouvement qui a bien des consonances aujourd’hui.

photo J. Manoukian, agence photo du musée Rodin

2. Des retrouvailles avec le musée Rodin

Le musée Rodin après la 2ème guerre mondiale en 1949 a institué une tradition qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui d’expositions consacrées à la sculpture moderne et contemporaine avec de multiples salons, le salon de la jeune sculpture mais aussi le salon de la sculpture internationale contemporaine qui a commencé en 1956 avec une fréquence tous les 5 ans où Barbara Hepworth a été présente jusqu’à son décès.  C’est une sorte de retrouvaille donc avec le musée Rodin qui met à l’honneur une femme sculpteure, appellation qu’elle rejetait totalement, voulant d’abord être considérée comme sculpteur.e

J’ai toujours rêvé de proposer quelque chose sur cette artiste que j’ai découverte lors de mes études il y a 30 ans avec un vrai coup de cœur. A chacun de mes déplacements à Londres j’allais à la Tate Britain voir ses œuvres. Aussi quand la Tate a accepté cette exposition au musée Rodin cela a été une évidence pour moi et belle aventure.  Nous avons travaillé surtout avec Sara Matson, conservatrice à la Tate St Ives qui est une spécialiste d’Hepworth, qui nous a permis de rencontrer Sophie Bowness, fille de l’artiste qui a été partie prenante à toutes les phases du projet, nous aidant pour les prêts qui sont difficiles à obtenir en ce qui concerne les bois avec les fils pour des raisons de conservation et favorisant un interview avec son père Alan Bowness, un grand historien de la sculpture (cf catalogue). Elle a été aussi une aide précieuse pour les archives qui sont très importantes.

photo J. Manoukian, agence photo du musée Rodin

3. Structure de l’exposition

L’introduction du bas-côté de la chapelle se veut une section plutôt didactique et archivistique qui permet au visiteur français de comprendre le contexte de cette exposition et celles qui l’ont précédées comme dans les Jardins du musée Rodin en 1961. Puis sont évoquées les relations d’Hepworth avec la France avec l’avant-garde internationale, ses succès internationaux et son aura. Entrant au MOMA de New York en 1936, elle est présentée très tôt au Kröller-Müller d’ Otterloo le musée étalon en matière de sculpture contemporaine. De plus elle a une exposition personnelle en 1950 à la Biennale de Venise et elle est présente dans tous les grands musées du monde, y compris au Japon. Enfin elle a une commande importante pour le siège de l’ONU à New York en 1964 qui clotûre cette section.

Ensuite la 2ème partie s’attache à l’évocation de l’atelier, ce qui me paraissait essentiel au musée Rodin de permettre au visiteur d’entrer aussi de manière plus intime dans l’œuvre de l’artiste, son processus de création, son univers avec sa bibliothèque, ses dessins..

Et enfin la 3ème partie dans la grande nef qui immerge le visiteur dans son univers de formes des années 1930 aux années 70 et donne un aperçu de ses travaux dans tous les matériaux, comme une apothéose.

ph J. Manoukian, agence photo du musée Rodin

4. Importance du film projeté en vis-à-vis de l’atelier

Ce film « Figures in a Landscape » de 1953 a été conçu par le réalisateur Dudley Shaw Ashton non comme un documentaire mais un montage expérimentale à plusieurs, qui met en évidence le lien entre sa sculpture et le paysage de Cornouailles. Des images tournées et choisies avec elle sur une musique composée par son amie personnelle Priaulx Rainier, une musicienne sud-africaine avec des lectures de poèmes d’une femme également, Cecil Day-Lewis. Une sorte de création féminine globale. On note comme dans son atelier l’importance de la lumière, des changements du ciel, sa relation avec l’espace…

ph J. Manoukian, agence photo du musée Rodin

5. L’exposition prochaine de Rodin à la Tate Modern

C’est très exceptionnel pour nous, cette sorte d’intronisation de Rodin dans ce temple de l’art contemporain anglais.

C’est une volonté de leur part et cela fait longtemps que le responsable des expositions de la Tate voulait faire un projet autour de Rodin qu’il a resserré sur lui finalement. Nous avons décidé de choisir un axe très expérimental, Rodin après 1900, et avons accepté de prêter beaucoup de plâtres et d’autres pièces fragiles étant donné cette magnifique opportunité de montrer une facette de Rodin encore assez méconnue, même s’il y a eu une grande exposition de Rodin à la Royal Academy remarquable mais plus classique autour de ses liens avec l’Angleterre. Cela va être sans doute une sorte de choc visuel pour les anglais devant des œuvres totalement inhabituelles.

Infos pratiques :

BARBARA HEPWORTH

(en collaboration avec la Tate)

Jusqu’au 22 mars 2020

Catalogue 256 pages, 35 € éditions musée Rodin/ In Fine