Une Biennale de Lyon gagnée par les eaux

Usines Fagor

Avoir de l’ambition c’est bien mais 29000m², 56 artistes, 7 commissaires sans compas fixe (Jean de Loisy ayant quitté le navire) et un site gigantesque, cela ouvre à toutes les dérives possibles y compris imaginaires. Dans le meilleur des cas. Hybridations, métamorphoses, fluidité, sont les maîtres mots de ce paysage mutant mais quand « les eaux se mêlent » elles finissent par se troubler. A partir de feu les usines Fagor qui ont rejoint la cohorte des bastions industriels bradés sur l’autel de la mondialisation, le taggeur artiste Stephen Powers lance sur la façade « Warm in your memory ». Une invective assez brutale au visiteur. Nous entrons dans une ère post catastrophe, anthropocène ou capitalocène concepts à la mode et dès le départ avec Philippe Quesne et son Crash Park, île dystopique siège du collectif le Peuple qui manque le temps de la Biennale. Puis nous basculons dans les mobiles colorés de Stéphane Calais, « cerfs volants du capitalisme global »avant que le portique Shana Moulton ne signale l’entrée véritable avec son mauvais œil syncrétique. Et là c’est le choc : cette puissante cathédrale d’acier qui porte encore à vif les stigmates de son passé et face à laquelle les artistes ont été priés de réagir. Mais comment lutter pour s’imposer ? Le gigantisme peut-il être le seul critère comme récemment à Dunkerque avec brio par le Frac ? Certains imaginent un « Bureau des pleurs » l’une des propositions les plus en phase avec l’histoire du lieu et des habitants des environs, privés de mémoire comme ce manteau de sable qui recouvre le sol et ce mobilier qui vit une 2ème existence plus poétique tandis que des sons des machines portent plainte. Puis après les grands ronciers d’aluminium de Jean-Marie Apriou c’est le grand show. Gare à la citation. Poupées volantes de Fernando Palma Rodriguez empreintes de folklore mexicain, mythologie automobile vrombissante chez Nico Vascellari (emblème de la marque au lyon) ou motocross dans le désert blanc chez Stéphane Thidet, gonflable de Léonard Martin hérité des marionnettes géantes de la cour florentine (vraiment ?), procession carnavalesque de Simphize Ndzube (vous suivez ?), avant que les zombies casqués de Rebecca Ackroyd ne se crashent en plein vol. On quitte ce Hall 1 assez groggy.

Moment de flottement bienvenu dans le Hall 2 qui parvient plus à convaincre dans un registre plus subtil comme chez la coréenne Minouk Lim et sa rivière phosphorescente en mémoire du traumatisme écologique, Bianca Bondi et ses cristallisations évolutives de liquides, Isabelle Andriessen et ses organismes mutants en lente décomposition ou Nicolas Momein qui a arpenté le Grand Parc Miribel Jonage dans l’agglomération lyonnaise pour en recueillir des plantes et réactiver son savon avant que Gustav Metzger et son sublime environnement d’œuvres auto-destructives (chorégraphie de lumière) ne nous embarque, la seul pièce historique de tout l’ensemble. Un peu dommage d’ailleurs, ce manque de dialogue entre générations.

Retour au gigantisme dans le Hall 3 avec l’impressionnante tête foreuse de tunnelier de 230 tonnes de Sam Keogh qui a nécessité un montage logistique très contraignant pour un résultat mitigé, l’œuvre ayant peine à exister. Les tuyaux de climatisation de Holly Hendry (métaphores des souterrains de Lyon) sortes d’ombilics intestinaux laissent perplexes tandis que les corps mécaniques de Mire Lee suspendus dans une fosse annoncent une des œuvres les plus abouties du parcours, celle de Thomas Feuerstein, sorte de laboratoire prométhéen post humaniste qui dynamite le sublime enfiévré de son environnement. La démesure tourne ici à plein régime.

Clap de fin avec une autre prouesse du parcours qui fonctionne par Yona Lee (hall 4) qui investit les coursives supérieures d’objets du quotidien (lit, chaises) que le public est invité à tester renouvelant ainsi points de vue et perspective. Pour conclure, si le critère économique a prévalu pour le choix de Fagor au détriment de la Sucrière et la plupart des œuvres produites pour l’occasion favorisant les circuits courts, il n’empêche que l’ensemble manque de lisibilité et de cohérence.

MAC de Lyon 

Dès la façade le ton est donné par la grande fresque murale de Nina Chanel Abney entre graffiti et pop pour souligner la place donnée au street art dans cette Biennale comme avec ZEVS qui fait fondre (temporairement) et non sans malice, les logos des partenaires et entreprises mécènes qui ont soutenu l’évènement (certains très mauvais élèves en développement durable). Josefa Ntjam (également à Veduta) dans sa vaste installation à l’entrée propose une fiction multi canal futuriste très aboutie qui mêle photomontages, céramiques, performances à partir d’emprunts internet et récits cosmogoniques.

Puis il faut monter au 3ème étage pour découvrir le vaste espace offert à Dewar & Gicquel qui se prolonge au 2ème (c’est beaucoup !). Entre théâtre des animaux Orwellien et carnaval des Flandres, ces gisants nous laissent de marbre. Heureusement les femmes arrivent à la rescousse : Renée Levi et son all over hypnotique, Jenny Feal et ses murs tracés à l’ocre rouge pour dire la résistance, tandis que Gaëlle Choisne comme échappée de Fagor joue sur la fibre post apocalyptique.

IAC Villeurbanne

Les curateurs du Palais de Tokyo se sont vus confier également la sélection de cette Jeune Création Internationale (anciennement Rendez-Vous) par Nathalie Ergino. Ces artistes viennent d’Europe mais aussi de Chine et du Brésil selon le principe d’ouverture vers d’autres réseaux de commissaires et d’autres scènes.

On remarque Charlotte Denamur (ENSBA Lyon) et son grand bain coloré, Randolpho Lamonier (Beaux Arts de Belo Horizonte) et son installation chaotique qui combine patchworks brodés, vidéos, photographies, dans une esthétique pauvre ou Zsofia Keresztes et ses sculptures détournées du virtuel.

C’est dans la partie consacrée au cycle Vers un monde cosmomorphe du Laboratoire espace cerveau initié par Nathalie Ergento dès 2009, que la dialectique de la Biennale est magistralement incarnée avec « Métamorphose et contamination, la permanence du changement » par Raphaël Brunel, curator et Julien Discrit, artiste. On aurait pu presque pu leur donner les clés de Fagor ! Dans une ère post-Anthropocène la matière devient contaminée et contaminante. Pour illustrer leur propos ils font référence à un large corpus d’œuvre allant des arts plastiques au cinéma, à la science fiction avec Robert Smithson, Pierre Huyghe, Mimosa Echard, Nina Canell.. Julien Discrit m’a accordé un interview à suivre passionnant.

URDLA

C’est l’URDLA qui en invitant Mark Geffriaud réalise une proposition également très aboutie. L’artiste a su mêler pratiques et mémoires des presses avec ses recherches autour de l’effet de seuil et des coincidences entre l’usage de certains objets. Selon lui la construction de notre mémoire répond au passage d’une séquence à une autre. Une performance de nuit est proposée avec visites au projecteur rappelant le caractère engagé et clandestin de certaines imprimeries.

A couvent de La Tourette avec Anselm Kiefer est assurément le temps fort de cette Biennale même si elle ne s’y rattache pas vraiment, Kiefer ayant surtout répondu à l’architecture de Le Corbusier. Dans la lignée des invitations à Lee Ufan ou Penone cela mérite une chronique en soi. A suivre..