🎧Rencontre avec Anne Dressen, commissaire MusĂ©e d’art moderne de la Ville de Paris

« La Passion selon Carol Rama », « Decorum », « Medusa », « Sturtevant », « Seconde main », sont parmi les expositions emblĂ©matiques pensĂ©es par Anne Dressen, commissaire Ă  l’ARC,le dĂ©partement d’art contemporain du MusĂ©e d’art moderne de la Ville de Paris. Nous la rencontrons alors qu’elle prĂ©pare l’exposition « You, ƒuvres de la collection Lafayette Anticipations » qui ouvrira le 11 octobre.
L’occasion de revenir sur ses engagements au quotidien, le mĂ©tier de commissaire, ses rencontres dĂ©cisives et les moments clĂ©s de son parcours.

En Ă©coute :

FOMO 🎧

MĂ©lanie Matranga, You, 2016
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1. You, ƒuvres de la collection Lafayette Anticipations, pourquoi ce titre ?

Le point de dĂ©part est le titre d’une Ɠuvre de MĂ©lanie Matranga emblĂ©matique selon moi, Ă  la fois de la collection Lafayette et de l’exposition que j’ai voulu articuler autour de l’idĂ©e de proximitĂ©, de tutoiement, de relations donc, que ce soit entre les personnages de la vidĂ©o donc, mais aussi par extension entre toutes les Ɠuvres de l’exposition.

Je souhaite interroger les rapports entre les Ɠuvres, entre les visiteurs et les Ɠuvres, mais aussi entre les visiteurs entre eux, certaines leur faisant prendre conscience de leur propre corps, et de leurs propres regards. Ce titre, sans l’expliciter nĂ©cessairement, suggĂšre cette sorte de porositĂ©, de contagiositĂ© que l’art peut procurer et cette sorte de sensibilitĂ© que la plupart de ces Ɠuvres partagent.

De plus, ce qui m’intĂ©resse dans l’emploi du pronom anglo-saxon est l’indiffĂ©renciation entre le tutoiement et le vouvoiement alors qu’en français le  Â« vous Â» induit davantage une distanciation, et une hiĂ©rarchie respectueuse, voire soumise.

2. Quelles lignes de force avez-vous souhaitĂ© mettre en Ɠuvre dans la sĂ©lection des Ɠuvres et comment cela se traduira dans le parcours ?

J’ai sĂ©lectionnĂ© une cinquantaine d’Ɠuvres que je prĂ©sente dans un parcours circulaire en accord avec l’architecture du musĂ©e et qui relĂšve du sensoriel : j’ai choisi d’articuler l’exposition autour de quelques matĂ©riaux qui constituent soit physiquement une oeuvre soit la dĂ©finissent de maniĂšre indirecte et figurĂ©e ; j’ai aussi croisĂ© 2 systĂšmes de pensĂ©e diffĂ©rents : d’une part la thĂ©orie des Ă©lĂ©ments occidentale, qui remonte Ă  l’antiquitĂ©, et d’autre part sa version orientale. Dans la 1Ăšre thĂ©orie prĂ©dominent : l’eau, le feu, l’air et la terre alors que dans les pays asiatiques le mĂ©tal est aussi constitutif d’une vision du monde. Cela me semblait intĂ©ressant   de parler de contagions Ă  la fois chimiques et mĂ©taphoriques entre les Ɠuvres et les sections qui in fine constituent un tout, l’exposition. Ces Ɠuvres acquises par le fonds depuis 2005  rĂ©vĂšlent, dans la pluralitĂ© de leurs mĂ©diums, une sorte d’opacitĂ© et constituent plus des questionnements que des rĂ©ponses pĂ©remptoires. Beaucoup d’entre elles contiennent une forme de performativitĂ© inhĂ©rente, Ă  la limite de la matĂ©rialitĂ©, repoussant les frontiĂšres et les limites de l’Ɠuvre communĂ©ment admises. Elles sont trĂšs conscientes de notre monde en mutation  tout en restant ouvertes et poĂ©tiques.

3. « Trans (au Frac Aquitaine) /» , «Decorum Â» , «Medusa Â» , « Sturtevant Â», Â«Seconde Main Â» (au MAMVP) revendiquent un regard autre et dĂ©cloisonnĂ© sur l’art, quels enjeux vous animent ?

Ce qui relie toutes ces expositions malgrĂ© des diffĂ©rences d’approches et de mediums c’est sans doute l’envie de m’intĂ©resser Ă  ce qui dĂ©roge aux dĂ©finitions traditionnelles de l’art. A partir de pratiques d’artistes que l’on connait parfois dans une version officielle, afin de dĂ©couvrir qu’ils ont aussi fait autre chose. Il s’agit d’une certaine maniĂšre de voir les angles morts, ou les facettes moins connues, de l’histoire


Egalement m’anime l’envie de rapprocher des piĂšces de diffĂ©rentes pĂ©riodes ou de diffĂ©rentes origines, d’inviter au MusĂ©e d’art moderne de la Ville de Paris des objets appartenant Ă  une autre temporalitĂ© que celle du moderne et du contemporain, parce que ces derniers ont intĂ©ressĂ© les artistes justement
 qui peut ainsi impliquer de confronter des Ɠuvres connues Ă  des Ɠuvres anonymes ou non signĂ©es.

4. Quelles ont été les personnes décisives de votre parcours ?

J’ai des eu des professeurs de littĂ©rature trĂšs intĂ©ressants au collĂšge et lycĂ©e, qui m’ont donnĂ© le goĂ»t d’aller au-delĂ  du format prĂ©Ă©tabli de l’explication de texte, convoquant la sociologie, l’art etc.

A mon arrivĂ©e au musĂ©e, Suzanne PagĂ© a Ă©tĂ© trĂšs marquante, avec sa façon de toujours impliquer les artistes d’art contemporain dans ses expositions d’art moderne, tĂ©moignant d’un grand respect pour la crĂ©ation d’aujourd’hui, sans hiĂ©rarchisation de valeurs selon les pĂ©riodes.

Et puis plusieurs artistes bien sĂ»r, dont Sturtevant dont on n’a reconnu la force conceptuelle et l’originalitĂ© exemplaire que tardivement : elle a Ă©tĂ© dĂ©cisive pour moi et m’inspire encore malgrĂ© sa disparition il y a quelques annĂ©es. Elle reste un modĂšle de rĂ©sistance et d’intransigeance rares, malgrĂ© tous les quiproquos qu’elle a pu susciter. Je citerai aussi Marc Camille Chaimowicz avec qui j’ai travaillĂ© sur la mise en espace de Decorum, lui aussi, trĂšs tenace aussi, sous une relative discrĂ©tion, incarnant pour moi l’emblĂšme de la rĂ©conciliation possible entre le dĂ©coratif et le conceptuel.

5. Le pitch de votre poste : comment se dĂ©finit la journĂ©e type d’une curatrice du MAMVP ?

Etre en prospection permanente sans ĂȘtre non plus accaparĂ©e par l’actualitĂ© trĂ©pidante qui peut parfois empĂȘcher de regarder avec distance.

MĂȘme si je suis en plein montage d’exposition je commence Ă  penser Ă  la suivante. Il y a plusieurs rythmes parallĂšles Ă  mener de front. Sans oublier la partie Ă©dition, les catalogues qui accompagnent chaque exposition et toute la programmation culturelle associĂ©e : colloques, performances etc..

A quand remonterait votre 1er choc esthĂ©tique ?

Quand j’étais enfant le 1er dimanche de chaque mois nous allions au Louvre, ce qui bizarrement ne reprĂ©sentait pas un pensum mais que je vivais comme un rendez-vous propice aux voyages dans le temps et dans le monde, Ă  partir d’un seul et mĂȘme endroit. Chaque visite offrait une vĂ©ritable dĂ©couverte que je ne pouvais pas encore forcĂ©ment inscrire dans une chronologie prĂ©cise mais qui ouvrait Ă  des possibles et des imaginaires qui m’ont inspirĂ© et continuent de m’inspirer aujourd’hui.

RĂ©ouverture du MusĂ©e d’Art Moderne :

Un week-end festif gratuit et ouvert Ă  tous et toutes aura lieu du 11 au 13 octobre 2019.


Hans Hartung, La fabrique du geste et
You, ƒuvres de la collection Lafayette Anticipations

www.mam.paris.fr/