« La Passion selon Carol Rama », « Decorum », « Medusa », « Sturtevant », « Seconde main », sont parmi les expositions emblĂ©matiques pensĂ©es par Anne Dressen, commissaire Ă l’ARC,le dĂ©partement d’art contemporain du MusĂ©e d’art moderne de la Ville de Paris. Nous la rencontrons alors qu’elle prĂ©pare l’exposition « You, Ĺ’uvres de la collection Lafayette Anticipations » qui ouvrira le 11 octobre.
L’occasion de revenir sur ses engagements au quotidien, le mĂ©tier de commissaire, ses rencontres dĂ©cisives et les moments clĂ©s de son parcours.
En Ă©coute :
FOMO 🎧
1. You, Ĺ’uvres de la collection Lafayette Anticipations, pourquoi ce titre ?
Le point de dĂ©part est le titre d’une Ĺ“uvre de MĂ©lanie Matranga emblĂ©matique selon moi, Ă la fois de la collection Lafayette et de l’exposition que j’ai voulu articuler autour de l’idĂ©e de proximitĂ©, de tutoiement, de relations donc, que ce soit entre les personnages de la vidĂ©o donc, mais aussi par extension entre toutes les Ĺ“uvres de l’exposition.
Je souhaite interroger les rapports entre les Ĺ“uvres, entre les visiteurs et les Ĺ“uvres, mais aussi entre les visiteurs entre eux, certaines leur faisant prendre conscience de leur propre corps, et de leurs propres regards. Ce titre, sans l’expliciter nĂ©cessairement, suggère cette sorte de porositĂ©, de contagiositĂ© que l’art peut procurer et cette sorte de sensibilitĂ© que la plupart de ces Ĺ“uvres partagent.
De plus, ce qui m’intĂ©resse dans l’emploi du pronom anglo-saxon est l’indiffĂ©renciation entre le tutoiement et le vouvoiement alors qu’en français le « vous » induit davantage une distanciation, et une hiĂ©rarchie respectueuse, voire soumise.
2. Quelles lignes de force avez-vous souhaité mettre en œuvre dans la sélection des œuvres et comment cela se traduira dans le parcours ?
J’ai sĂ©lectionnĂ© une cinquantaine d’Ĺ“uvres que je prĂ©sente dans un parcours circulaire en accord avec l’architecture du musĂ©e et qui relève du sensoriel : j’ai choisi d’articuler l’exposition autour de quelques matĂ©riaux qui constituent soit physiquement une oeuvre soit la dĂ©finissent de manière indirecte et figurĂ©e ; j’ai aussi croisĂ© 2 systèmes de pensĂ©e diffĂ©rents : d’une part la thĂ©orie des Ă©lĂ©ments occidentale, qui remonte Ă l’antiquitĂ©, et d’autre part sa version orientale. Dans la 1ère thĂ©orie prĂ©dominent : l’eau, le feu, l’air et la terre alors que dans les pays asiatiques le mĂ©tal est aussi constitutif d’une vision du monde. Cela me semblait intĂ©ressant de parler de contagions Ă la fois chimiques et mĂ©taphoriques entre les Ĺ“uvres et les sections qui in fine constituent un tout, l’exposition. Ces Ĺ“uvres acquises par le fonds depuis 2005 rĂ©vèlent, dans la pluralitĂ© de leurs mĂ©diums, une sorte d’opacitĂ© et constituent plus des questionnements que des rĂ©ponses pĂ©remptoires. Beaucoup d’entre elles contiennent une forme de performativitĂ© inhĂ©rente, Ă la limite de la matĂ©rialitĂ©, repoussant les frontières et les limites de l’œuvre communĂ©ment admises. Elles sont très conscientes de notre monde en mutation tout en restant ouvertes et poĂ©tiques.
3. « Trans (au Frac Aquitaine) /» , «Decorum » , «Medusa » , « Sturtevant », «Seconde Main » (au MAMVP) revendiquent un regard autre et dĂ©cloisonnĂ© sur l’art, quels enjeux vous animent ?
Ce qui relie toutes ces expositions malgrĂ© des diffĂ©rences d’approches et de mediums c’est sans doute l’envie de m’intĂ©resser Ă ce qui dĂ©roge aux dĂ©finitions traditionnelles de l’art. A partir de pratiques d’artistes que l’on connait parfois dans une version officielle, afin de dĂ©couvrir qu’ils ont aussi fait autre chose. Il s’agit d’une certaine manière de voir les angles morts, ou les facettes moins connues, de l’histoire…
Egalement m’anime l’envie de rapprocher des pièces de diffĂ©rentes pĂ©riodes ou de diffĂ©rentes origines, d’inviter au MusĂ©e d’art moderne de la Ville de Paris des objets appartenant Ă une autre temporalitĂ© que celle du moderne et du contemporain, parce que ces derniers ont intĂ©ressĂ© les artistes justement… qui peut ainsi impliquer de confronter des Ĺ“uvres connues Ă des Ĺ“uvres anonymes ou non signĂ©es.
4. Quelles ont été les personnes décisives de votre parcours ?
J’ai des eu des professeurs de littérature très intéressants au collège et lycée, qui m’ont donné le goût d’aller au-delà du format préétabli de l’explication de texte, convoquant la sociologie, l’art etc.
A mon arrivée au musée, Suzanne Pagé a été très marquante, avec sa façon de toujours impliquer les artistes d’art contemporain dans ses expositions d’art moderne, témoignant d’un grand respect pour la création d’aujourd’hui, sans hiérarchisation de valeurs selon les périodes.
Et puis plusieurs artistes bien sûr, dont Sturtevant dont on n’a reconnu la force conceptuelle et l’originalité exemplaire que tardivement : elle a été décisive pour moi et m’inspire encore malgré sa disparition il y a quelques années. Elle reste un modèle de résistance et d’intransigeance rares, malgré tous les quiproquos qu’elle a pu susciter. Je citerai aussi Marc Camille Chaimowicz avec qui j’ai travaillé sur la mise en espace de Decorum, lui aussi, très tenace aussi, sous une relative discrétion, incarnant pour moi l’emblème de la réconciliation possible entre le décoratif et le conceptuel.
5. Le pitch de votre poste : comment se définit la journée type d’une curatrice du MAMVP ?
Etre en prospection permanente sans être non plus accaparée par l’actualité trépidante qui peut parfois empêcher de regarder avec distance.
Même si je suis en plein montage d’exposition je commence à penser à la suivante. Il y a plusieurs rythmes parallèles à mener de front. Sans oublier la partie édition, les catalogues qui accompagnent chaque exposition et toute la programmation culturelle associée : colloques, performances etc..
A quand remonterait votre 1er choc esthétique ?
Quand j’étais enfant le 1er dimanche de chaque mois nous allions au Louvre, ce qui bizarrement ne représentait pas un pensum mais que je vivais comme un rendez-vous propice aux voyages dans le temps et dans le monde, à partir d’un seul et même endroit. Chaque visite offrait une véritable découverte que je ne pouvais pas encore forcément inscrire dans une chronologie précise mais qui ouvrait à des possibles et des imaginaires qui m’ont inspiré et continuent de m’inspirer aujourd’hui.
RĂ©ouverture du MusĂ©e d’Art Moderne :
Un week-end festif gratuit et ouvert Ă tous et toutes aura lieu du 11 au 13 octobre 2019.
Hans Hartung, La fabrique du geste et
You, Ĺ’uvres de la collection Lafayette Anticipations