Toulouse en mode photographique : Interview Lauriane Gricourt, directrice les Abattoirs

Vue de l’exposition Ouvrir les yeux. Les collections photographiques des Abattoirs et de la Galerie Le Château d’Eau, les Abattoirs, Musée-Frac Occitanie Toulouse en partenariat avec la Galerie Le Château d’Eau, 11 octobre 2024 – 18 mai 2025 © Adagp, Paris, 2024 © courtesy des artistes © photo Cyril Boixel

« Ouvrir les yeux » est une réunion exceptionnelle des collections des Abattoirs, Musée Frac Occitanie Toulouse et de La Galerie le Château d’Eau autour de 250 clichés dans une approche thématique plutôt que chronologique. Ce panorama puissant s’organise autour de grands questionnements que sont : l’instantané, la mise en scène, le banal, le rapport à l’espace, l’autoportrait… tandis qu’un noyau central dans la Nef se joue autour du corps. Des rapprochements formels et conceptuels inédits pour une traversée d’un medium qui regarde du côté de l’art pour mieux s’en affranchir. Fondé en 1974 par le photographe Jean Dieuzaide, le château d’Eau en tant que pôle photographique a une approche assez classique du medium étant donné sa vocation, tandis que le Musée -Fonds régional d’art contemporain créé en 2000 s’inscrit dans une dynamique plus plasticienne autour d’installations, de vidéos ou de performances. Lauriane Gricourt, directrice des Abattoirs et co-commissaire avec Christian Caujolle, conseiller artistique du Château d’Eau, revient sur les enjeux de ce projet hors normes entre deux institutions publiques majeures du territoire. Elle nous décrypte également les axes de diffusion qui l’anime et les autres expositions au programme : E.R.O.S et le surréalisme, l’artiste slovaque Július Koller ou l’exposition participative des enfants. 

Lauriane Gricourt, Directrice des abattoirs à Toulouse, Musée, Frac Occitanie Crédit: © les Abattoirs, Musée
 – Frac Occitanie Toulouse, photo. : Philippe Servent

Lauriane Gricourt est Directrice des Abattoirs, Musée – Frac Occitanie Toulouse depuis janvier 2024. Elle a étudié l’histoire de l’art et la muséologie à l’École du Louvre (Paris). Son travail de recherche se concentre sur les pratiques artistiques corporelles et performatives. Elle est également membre fondatrice du Collectif Enoki avec lequel elle développe des projets autour du lien entre art et alimentation auprès de lieux tels que le MAC VAL (Vitry-sur-Seine), Zone sensible (Saint-Denis), la Chaire Alimentation du monde UNESCO (Montpellier). Elle a occupé les postes de cheffe de projet au Musée Maillol (Paris), responsable des collections à la Fondation Carmignac (Paris-Porquerolles), senior curator à la Fondation Cartier pour l’art contemporain (Paris) et conservatrice et commissaire d’exposition aux Abattoirs Musée – Frac Occitanie Toulouse.

Elle a notamment co-organisé les expositions des artistes Shona Illingworth, Liliana Porter, Tabita Rezaire, et a préparé avec Annabelle Ténèze et Julie Crenn, le précédent projet d’exposition des Abattoirs intitulé « Artistes et paysans. Battre la campagne » présentée de mars à août 2024. 

Marie de la Fresnaye. Qu’est-ce qui caractérise la collection photographique des Abattoirs ?

Lauriane Gricourt. C’est l’une des questions que cette exposition nous a permis d’explorer. En termes de chiffres le fonds regroupe 500 œuvres sur 5000 au total. À titre comparatif la Galerie Le Château d’Eau détient 5000 œuvres photographiques. Si de manière générale et comme dans l’art contemporain, la photographie est désormais omniprésente chez les artistes, il était intéressant d’approcher cette collection à travers un angle typologique. 

Si l’on compare les deux collections, celle des Abattoirs est plus plasticienne avec des installations (Libia Posada, Pierre Leguillon, Boudry & Lorenz), de la vidéo ou des archives de performance comme avec Gina Pane ou MWANGI HUTTER. Nous avons aussi des artistes plus tournés vers le documentaire comme Matthias Bruggmann qui est un photo-reporter. 

Vue de l’exposition Ouvrir les yeux. Les collections photographiques des Abattoirs et de la Galerie Le Château d’Eau, les Abattoirs, Musée-Frac Occitanie Toulouse en partenariat avec la Galerie Le Château d’Eau, 11 octobre 2024 – 18 mai 2025 © Adagp, Paris, 2024 © courtesy des artistes © photo Cyril Boixel

MdF. Quels partis prix vous ont-ils guidé : sélection et scénographie ?

LG. Nous avons dans un premier temps découvert le fonds photographique de chacun et dressé un inventaire. Dans notre collection beaucoup d’artistes ne revendiquent pas la photographie en tant que telle mais l’intègrent à leur pratique comme Alfredo Jaar, Michel Journiac, Sophie Calle…

Nous ne voulions pas d’une exposition chronologique, ce qui aurait été impossible si l’on considère les manques ou lacunes dans les collections, mais plutôt aborder la photographie dans toute sa richesse et pluralité et sans prétendre à l’exhaustivité. Nous avons assez vite identifié des corpus d’œuvres qui rentraient dans de grands moments de la photographie autour de la question de l’instantanéité ou de la photographie de rue, du documentaire qui nait au début du XXème pour ensuite circuler et être entièrement revisité aujourd’hui. Une évolution qui se joue dans la plupart des salles si l’on regarde aussi la place de l’objet trivial et du quotidien très présente dans nos 2 collections et abordée selon différentes approches avec la question de la nature morte. Autant de constellations qui donnent un panorama de l’histoire du medium. En termes de scénographie nous avons privilégié une approche très fluide et ouverte avec des artistes présents dans plusieurs sections. 

Vue de l’exposition Ouvrir les yeux. Les collections photographiques des Abattoirs et de la Galerie Le Château d’Eau, les Abattoirs, Musée-Frac Occitanie Toulouse en partenariat avec la Galerie Le Château d’Eau, 11 octobre 2024 – 18 mai 2025 © Adagp, Paris, 2024 © courtesy des artistes © photo Cyril Boixel

MdF. Revenons à la genèse du projet 

LG. Quand j’étais conservatrice le projet avait déjà été initié et l’élément déclencheur s’est joué avec la fermeture de la Galerie Le Château d’Eau. Une occasion pour elle de continuer à vivre à travers la circulation de sa collection et un projet inédit pour nous la collection n’ayant jamais été montrée de cette manière. Nous sommes deux collections publiques à Toulouse et partageons un patrimoine commun occitan et de manière plus globale. En termes de visitorat, cela permet aussi de croiser les publics et d’attirer aux Abattoirs des primo visiteurs qui ne sont pas forcément acquis à l’art moderne et contemporain.

MdF. Des surprises ont-elles surgi ?

LG. La photographie japonaise qui est peu présente dans nos collections a été l’une des découvertes avec le photographe Kishin Shinoyama, très peu montré en France. Si je prends Robert Mapplethorpe nous avons dans l’exposition 3 clichés exceptionnels qui ne sont pas les plus connus ou subversifs mais très caractéristiques d’un moment de sa pratique autour de la représentation de la beauté avec ces corps athlétiques noirs.

Vue de l’exposition Ouvrir les yeux. Les collections photographiques des Abattoirs et de la Galerie Le Château d’Eau, les Abattoirs, Musée-Frac Occitanie Toulouse en partenariat avec la Galerie Le Château d’Eau, 11 octobre 2024 – 18 mai 2025 © Adagp, Paris, 2024 © courtesy des artistes © photo Cyril Boixel

MdF. Quelle serait votre définition de la photographie ?

LG. La photographie contrairement aux autres mediums est immédiatement connectée au réel dans un rapport très singulier à la fois très honnête ou au contraire manipulateur. Cette double face lui donne une force particulière, une vraie pluralité. 

MdF Quel budget d’acquisition des Abattoirs ?

LG. Il est double car nous sommes à la fois un musée et un Frac. Deux collections en une. Le budget du Frac est de l’ordre de 140 000 euros, celui du musée autour de 73 000 euros par an. 

MdF Quels axes de priorité souhaitez-vous développer en ce sens ?

LG. Nous avons à la fois des axes communs au musée et au Frac ou plus spécifiques et avec des comités dédiés. 

Aucun medium n’est privilégié par rapport à un autre même si étant un Frac nous avons cette mission de diffusion des collections en dehors de nos murs, ce qui nous amène à enrichir chaque année un corpus de multiples, plus faciles à exposer dans des lieux non dédiés à l’art. Nous avons comme ambition de renforcer les artistes de la scène espagnole et sud-américaine. Un axe qui est déjà présent dans nos collections du fait de notre histoire et du territoire. Une autre volonté nous anime autour des artistes femmes très peu présentes, dans la continuité de l’impulsion donnée par Annabelle Ténèze (ex-directrice des Abattoirs). En termes de pourcentage, les chiffres sont moindres comme dans de nombreuses autres institutions. Nous rattrapons le cours de l’histoire. Même s’il reste du chemin à faire…

Vue de l’exposition Ouvrir les yeux. Les collections photographiques des Abattoirs et de la Galerie Le Château d’Eau, les Abattoirs, Musée-Frac Occitanie Toulouse en partenariat avec la Galerie Le Château d’Eau, 11 octobre 2024 – 18 mai 2025 © Adagp, Paris, 2024 © courtesy des artistes © photo Cyril Boixel

MdF. Les autres partenariats autour de l’exposition : la Cinémathèque

LG. En effet les Abattoirs accueillent à partir du 17 octobre la Cinémathèque qui ferme pour travaux à travers une programmation spéciale sous la forme de plusieurs séances hebdomadaires avec à l’occasion d’un Jeudi par mois une projection en lien avec notre programmation comme Blow Up ou le film de Laura Poitras All the Beauty and the Bloodshed sur Nan Goldin. 

Cette programmation hors-les-murs va se dérouler également au Pathé Wilson de Toulouse.

MdF. Les autres expositions : E.R.O.S et Július Koller

LG. L’exposition E.R.O.S a été pensée au moment de l’ouverture de l’exposition sur Giacometti à partir du fonds Daniel Cordier qui est l’un de nos axes majeurs dont nous renouvelons régulièrement les accrochages et explorations. Elle part de la 8ème exposition sur le surréalisme qui avait eu lieu en 1959 à la galerie Daniel Cordier autour de thématiques explorées par les artistes avec aussi des échos contemporains d’artistes de nos collections. Giacometti avait fait partie de cette exposition. Etant donné l’anniversaire du Manifeste en 2024 nous avons tenu à prolonger l’exposition. 

En ce qui concerne Július Koller il s’agit d’ un projet que j’ai initié en arrivant. Artiste slovaque, il occupe une place à part dans la Tchécoslovaquie communiste. L’idée était de réactiver un projet des années 1970 intitulé Le Ping Pong club, club fictif créé à Bratislava autour d’une réflexion sur le régime autoritaire d’alors. Une approche assez utopique qui a été revisitée par l’artiste thaïlandais Rikrit Tiravanija (que l’on peut découvrir à Arles en ce moment) dans l’idée d’offrir au public une expérience de visite à travers des parties de jeu, soulevant aussi la question du sport qui a souvent été très instrumentalisée par les gouvernements et régimes politiques. 

MdF. La collection par les enfants : pourquoi/comment 

LG. En 2022 une première expérience avait été menée d’exposition participative à l’attention du public au sens large à travers une sélection d’œuvres proposées. Cette fois nous avons décidé d’élargir l’expérience avec des enfants âgés de 3 à 10 ans, une tranche d’âge qui demande des supports de médiation spécifiques. Ils pouvaient choisir en amont les œuvres dans la collection. De plus, l’accrochage a volontairement été fait à hauteur d’enfant avec des cartels qui leur sont uniquement dédiés et adaptés. Des dispositifs ont été mis en place pour des classes qui viennent travailler spécifiquement autour de l’exposition. Ce projet va très probablement être renouvelé de manière plus pérenne avec un espace véritablement dédié. 

MdF. Vous faites partie d’un collectif autour de l’alimentation : quels enjeux ?

LG. Nous avons créé le collectif Enoki en 2018 avec 2 anciennes collègues de la Fondation Cartier autour d’un intérêt commun qui est la nourriture en tant que besoin vital et qui génère de nombreux questionnements sur des enjeux à la fois culturels, sociaux, politiques… un prisme qu’explorait d’une certaine manière l’exposition « Artistes et paysans. Battre la campagne »

Après le confinement cette dimension est devenue encore plus centrale. 

Nous travaillons autour de tous ces questionnements toujours en lien avec la pratique artistique à travers des expositions, des dîners thématiques, des ateliers, nous publions des livres de recettes, nous participons à des résidences comme à Zone Sensible l’année dernière et de nombreux projets de territoire. La nourriture est un domaine très riche et qui rassemble !

MdF. Quel bilan de l’exposition « Artistes et paysans. Battre la campagne » ?

LG. En terme de chiffre, nous avons reçus 58 182 visiteurs et visiteuses.

De plus, l’un des points positifs de l’exposition est d’avoir attiré des primo-visiteurs qui étaient peut-être moins sensibles à l’art contemporain ou moins disponibles et qui l’ont abordé sous un angle sociétal, écologique et environnemental. De plus, l’inauguration a eu lieu pendant la semaine du Salon de l’agriculture et les grandes manifestations qui sont d’ailleurs parties de l’Occitanie ! Une actualité qui donnait enfin la parole aux agriculteurs et agricultrices et une résonance supplémentaire pour l’exposition. 

Infos pratiques :

« Ouvrir les yeux » 

Les collections photographiques des Abattoirs et de la Galerie le Château d’Eau 

Jusqu’au 18 mai 2025 

Július Koller

J.K. Ping Pong Club (UFO) 1970-2024 

E.R.O.S (1959)

Histoire d’une exposition surréaliste à travers la collection Daniel Cordier 

L’Odyssée, une étape d’Horizons d’Eau 

A toi de choisir !

L’exposition participative des enfants 

https://www.lesabattoirs.org/expositions-presente-aux-abattoirs/