Louma Salamé : La Limited Edition Art Fair, 3ème édition et Le Liban How will it end ?

Portait de Louma Salamé Directrice général de la villa Empain

Louma Salamé, directrice Fondation Boghossian photo Marie Russillo

A la suite de ma découverte de l’exposition How will it end ? à la Fondation Boghossian-Villa Empain, Louma Salamé, directrice, revient sur ce projet unique suite à la double explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020. Face à cette catastrophe et l’état de sidération général, et au-delà de l’aide matérielle et financière apportée par la Fondation Boghossian, Louma Salamé décide aux côté du Centre Pompidou de rassembler un certain nombre de témoignages d’artistes de plusieurs générations installés à Beyrouth ou ayant quitté le pays. A la suite d’un mois passé sur place, Louma Salamé et Alicia Knock proposent ce panorama sensible et résilient à valeur de manifeste qui a généré beaucoup d’émotion au fil de l’exposition. Un « statement » comme nous le décrit la directrice de la Fondation Boghossian et co-commissaire qui y voit une notre très personnelle de par son histoire. Elle prépare également la Limited Edition Art Fair 2022 qui ouvre dans une semaine et rencontre un succès toujours croissant, fondé sur le partage et l’accessibilité du multiple.

Louma Salamé a répondu à mes questions.

How will it end ? Genèse du projet

Il convient de préciser que la Fondation Boghossian a tout d’abord tenu, au lendemain de l’explosion, à engager une action humanitaire à travers un certain nombre de dons faits à des institutions sur place mais aussi des écoles, des universités pour venir en aide aux blessés et délogés. La Fondation a été également le relais de nombreux soutiens financiers en Belgique.

De plus, nous avons souhaité  mener un projet culturel d’envergure avec notamment le Centre Pompidou en la personne d’Alicia Knock même si très vite, un certain nombre de questions ont surgi autour d’une légitimité à vouloir faire revivre cette tragédie.

La méthodologie retenue

Nous avons opté pour une méthode assez exploratoire, à rebours de ce que nous prévoyons d’habitude à partir d’un sujet déterminé en amont et quel que soit le commissaire invité, comme Alfred Pacquement par exemple avec Mappa Mundi sur la cartographie du monde, la lumière The Light House, la mélancolie Melancholia ou sur les Icônes avec Henri Loyrette.

A contrario pour ce projet nous ne savions pas à l’avance ce que nous allions trouver. Nous avons décidé de nous concentrer davantage sur des œuvres récentes au fil de nos rencontres, coïncidant pour partie avec la période de la révolution dite de la Taora où des centaines de milliers de manifestants sont descendus dans la rue et une magnifique chaine humaine s’est dessinée du nord au sud du pays le long de la mer réclamant la démission du gouvernement. Nous avons voulu proposer une sorte de photographie de la scène contemporaine libanaise relativement récente (2-3 ans) en offrant la possibilité à nos visiteurs de découvrir différentes générations d’artistes, un paramètre à prendre en compte également.

Mounira Al Sohl Lackadaisical Sunset to sunset , 2021, How will it end ? Fondation Boghossian

Le choix des artistes

Certains artistes, à l’image des libanais font partie de la diaspora, tandis que d’autres sont encore sur place, ce dont nous avons tenu à témoigner. A partir de nos expertises réciproques, nous avons abouti Alicia et moi à une liste réunissant des artistes pluridisciplinaires et intergénérationnels à parité homme et femmes. Nous avons  fait un certain nombre de rencontres au Liban au mois d’août dernier et d’autres rencontres à Paris avec Etel Adan, Simone Fattal, Lamia Ziade, Daniele Genadry ou Charbel-joseph H. Boutros. D’autres se font faites par zoom comme avec Rayyane Tabet depuis Los Angeles. Nous avons pris le temps d’écouter les artistes et il était important pour eux de pouvoir nous confier leur détresse, leur épuisement et leurs questionnements autour du sens et de la vocation même de l’artiste. Si l’on prend Joana Hadjithomas & Khalil Joreige dont le studio se trouvait tout près du port, ils ont vu toutes leurs œuvres détruites et ont ramassé plus de deux tonnes de débris de verre, comme tant de Beyrouthins, ma mère également. Un choc vécu dans leur chair comme pour beaucoup d’artistes de l’exposition. De nombreuses galeries étaient également près du port et le monde artistique a été très touché. Il était important de vivre sur place pendant un mois pour pouvoir s’imprégner de ces récits et en être le porte-voix, ce qui rejoint le cœur de la mission et l’engagement de la Fondation qui a reçu un prix autour de l’exposition sur Alep. Nous avions proposé précédemment d’autres focus sur la ville de Beyrouth mais pas de cette ampleur.

Etel Adnan Sans titre De l’ensemble Sans titre, 2010 Centre Pompidou

L’organisation du parcours

D’une part il y a chez certains artistes le besoin de représenter et de documenter la catastrophe à travers différents mediums comme avec Ayman Baalbaki qui représente les silos du port, Lamia Ziadé qui peint le portrait de victimes ou Abed Al Kadiri qui se concentre sur les protestations de la Taora. D’autres artistes sont traversés par l’idée d’une réminiscence prémonitoire ou prophétique, dans la section intitulée « Images latentes », comme le résume Gregory Buchakjian qui déclare « on attendait l’Apocalypse et elle est arrivée ». Cette conscience d’une éclipse se joue dans l’œuvre de Stéphanie Saadé (Apocalypse) ou Marwan Moujaes et ces feux d’artifice du dernier réveillon.

Puis dans la salle plus romantique de la chambre d’amis du Baron, nous parcourons l’histoire à travers le prisme des objets, « la permanence dans l’impermanence », cette idée très orientale que les objets ont une âme avec notamment les sculptures d’Ali Cherri Starring at a Thousand Splendid Suns ou le collage de Gregory Buchakjian sur le palais Sursock devenu méconnaissable ou la vidéo de Dala Nasser The Dead Shall Be Raised qui prend l’empreinte des colonnes de la cité antique de Tyr. Beyrouth est bien cette ville légendaire avec une histoire biblique dont les fondements tremblent depuis toujours malgré les milliers de couchers de soleil de l’œuvre d’Ali Cherri ou l’œuvre au sol de Stéphanie Saadé, un tapis coupé en fines lamelles qui convoque l’histoire de Didon, malheureuse fondatrice de Carthage. Un territoire que l’on doit sans cesse faire et défaire. Signalons également les séries de photographies de Paola Yacoub How will it end, that’s the question qui nous a inspiré le titre de cette exposition.

Puis nous arrivons à un point de bascule dans le projet et le parcours avec des œuvres volontairement en rupture avec le réel et les tensions extérieures, dans l’espace domestique de la Chambre du Baron. Une sorte de refuge avec les Conversation de salon de Daniele Arbid et la très belle performance vidéo de Maha Yammine, 14 (2017) qui avait reçu le Prix de la Fondation Boghossian comme d’autres jeunes artistes de l’exposition. L’artiste reproduit des rituels familiaux et fait référence à ce jeu de carte populaire mais dont les chiffres et les couleurs ont été effacés. Des distractions qui permettent de se réfugier dans une parenthèse hors du temps comme pendant la guerre où l’on continuait à jouer aux cartes dans les caves. Une forme de catharsis dans le refuge de l’intime. Autre stratégie : l’éloignement de la ville qui devient suffocante avec des artistes qui choisissent un retour aux sources, dans un paysage dont la contemplation devient une respiration intérieure. Les artistes vont même changer leurs pratiques comme avec le peintre Ramy Saad qui utilise des pigments naturels extraits de plantes bouillies ou Chafa Ghaddar qui consacre ses fresques aux cactus de son jardin ou Christian Sleiman qui avec A City Guide for Tree Huggers pose la question de la place des arbres dans les villes et notamment à Beyrouth.

Le parcours s’achève loin de toute dérive mortifère avec des œuvres qui convoquent l’idée de la résilience « la vie continue » avec ce soleil que l’on porte en soi et que l’on retrouve chez Etel Adnan ou la jeune artiste Christine Safa, les sculptures de Vartan Avakian qui traduisent le son de la rivière de Beyrouth ou la très belle vidéo de Mireille Kassar, prêtée par le Centre Pompidou, Children of Uzai – Anti Narcissus, avec ces enfants qui courent vers la mer traduisant les quelques rares plaisirs que le pays a encore à offrir. Il est bel et bien question dans ses œuvres de la possible survivance d’une production artistique malgré une situation économique et sociale sans précédent avec une dévaluation de la monnaie la pire au monde.

L’œuvre d’Omar Fakhoury a une place à part selon vous, pourquoi ?

L’artiste qui avait arrêté de travailler face à la sidération ressentie comme beaucoup d’habitants de Beyrouth inscrits dans une forme de survie, s’est mis à peindre de nouveau face à cette pousse de maïs découverte sur le site même de l’explosion. Une œuvre qui devient la métaphore véritable de ce projet. L’art malgré tout et par le biais d’une formidable richesse et créativité.

Cette exposition a aussi pour vous une résonnance  très intime

Même si chacun de mes projets est toujours personnel, cette exposition l’est particulièrement avec ce temps qui m’a été accordé pour aller sur place vivre et recueillir tous ces témoignages. Un écho très intime eu égard à mes origines mais aussi à la situation que traverse le pays. Une émotion que l’on a beaucoup ressentie chez les artistes et également le jour du vernissage chez les journalistes et les amis de la Fondation. Il s’est passé quelque chose d’unique et l’exposition s’inscrit dans l’ordre du « statement ». Un projet exigeant, ambitieux et très personnel en effet.

La Limited Art Fair Edition, 3ème

Je suis une passionnée du multiple et depuis toujours, notamment de gravure ayant acheté avec mon première salaire de l’époque, une lithographie de Jean-Michel Alberola au Louvre. Il y a quelque chose d’extraordinaire dans le multiple et je suis très heureuse de porter ce projet autour de l’édition qui favorise aussi une forme de partage. Un projet très joyeux qui rassemble entre 3 et 4000 visiteurs, en tenant compte des jauges. De très bons chiffres. A partir d’un mode d’organisation très organique et fluide suite à mes rencontres avec les galeries et les éditeurs qui ont tout de suite été convaincus par l’idée et demandent à revenir, le projet s’agrandit et évolue sans cesse. Au fil des éditions, l’on réalise que le rendez-vous est très attendu à chaque fois. Un moment très chaleureux et généreux comme nous les aimons ici !

Galeries, centres d’art et éditeurs participants :

Anima Ludens, Ars Belga, Art’Loft-LeeBauwens Gallery, Atelier Bruno Robbe, Baryté, Bernier Eliades Gallery, Centre Daily-Bul & Co, Centre de la Gravure et de l’Image imprimée, CIVA, Frans Masereel Centrum, Galerie Catherine Putman, Gallery Fifty One, HdM Gallery, Irène Laub Gallery, JAP, LMNO, La Patinoire Royale – Galerie Valérie Bach, Keramis, Meessen De Clercq, Michael Woolworth, Royal Academy of Fine Arts Brussels, Taschen, Three Star Books, We do not work alone, Wittockiana.

Artistes invités :

Zeina Abirached, Pauline Bonnet, Adrien Cicero, Samuel Coisne, Roman Couchard, Nina Faivre, Job Gijsbrechts, Philippine d’Otreppe, Harold Lechien, Margaux Lecoursonnois, Lucian Moriyama, Guilyan Pepin, Thomas Perino, Félicien Umbreit.

Infos pratiques :

Limited Art Fair Edition 2022

Le Salon du multiple et de l’image imprimée

Les 11, 12, 13 février, de 11 à 19 heures

How will it end ?

Derniers jours

Fondation Boghossian – Villa Empain

Billetterie

Avenue Franklin Roosevelt, 67
1050 Bruxelles

https://www.villaempain.com/

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