Jeremy Deller « Art is magic »  : Frac Bretagne, musée des beaux-arts et La Criée

Jeremey Deller, Une nouvelle aube, 2021 de l’ensemble Warming Graphic Content courtesy de l’artiste The Modern Institute/ Toby Webster, Glasgow & Art: Concept Paris

En écho à l’exposition « Forever Sixties » de la Pinault Collection, trois centres d’art à Rennes s’associent pour proposer une carte blanche à l’artiste britannique Jeremy Deller, lauréat du Turner Prize. Animé d’une passion pour la culture vernaculaire britannique, il poursuit une investigation sur le rapport art et espace public sous la forme de performances collectives, parades, reconstitutions d’évènements historiques fédérant tous types de participants, dans un grand melting-pot entre archive, mémoire, contre-culture, musique. Représentant son pays à la Biennale de Venise en 2013, il propose « English Magic », ode au Royaume Uni et ses habitants constituée d’une fresque et d’un film qui ouvre l’exposition du Frac Bretagne.

courtesy de l’artiste The Modern Institute/ Toby Webster, Glasgow & Art: Concept Paris photo Rennes Ville et Métropole

Sur la musique spectrale de Vaughan William, des images de rapaces au ralenti foncent sur des Range Rover à la casse, moyen de transport privilégie de l’espèce des Gros Conards, selon les termes de l’artiste dans le catalogue, rappelant la présence du Prince Harry lors d’une séance d’abatage de Busards Saint Martins, une espèce protégée, sur la réserve de chasse de Sandringham. Un micro évènement, passé relativement inaperçu pour le grand public, qu’il remet au premier plan par la magie de l’humour. De même avec Stonehenge, devenu emblème national qu’il a le sacrilège (titre de l’œuvre) de transformer en maquette gonflable géante à l’occasion des Jeux Olympiques de Londres en 2012.

Jeremy Deller, Sacrilege, 2012 installation view Greenwichn London UK courtesy de l’artiste The Modern Institute/ Toby Webster, Glasgow & Art: Concept Paris

Le parcours dans les espaces du Frac se construit autour du projet au long cours et installation « Folk Archive » que le public parisien avait découvert au Palais de Tokyo en 2008. En réponse à la tentative de Tony Blair élu en 1997 de donner une image cool et branchée du pays, Jeremy Deller et Alan Kane se mettent à collecter différents objets issus de brocantes ou bric à brac, mêlés à des photos de presse, documents, célébrations telles que le Championnat mondial de la grimace à Egremont, la Foire du Crabe, Les grimpeurs du Mât de Cocagne, répliques miniatures des maisons du feuilleton Coronation Street, le tout interrogeant la frontière entre art populaire et art contemporain à partir du moment où de telles pratiques rentrent dans des galeries ou musées (Barbican). Quant aux bannières, dont l’une créée tout spécialement pour le Frac, elles sont un hommage au spécialiste du genre, Ed Hall qui les conçoit pour des syndicalistes. Jeremy Deller y voit la résurgence de l’artiste William Morris en qui il a une grande admiration. Des travaux exécutés par des prisonniers font également partie de cette archive en cours. Dans le film « Our Hobby is Depeche Mode », commandé par le label du groupe à l’occasion d’un anniversaire il est question des rituels et de la nostalgie partagée par les fans. Avec « Everybody is in the place » il est question aussi de Pop culture autour de l’avènement de l’Acid House et les raves parties qui avaient lieu sur les ruines du passé industriel de la Grande Bretagne comme le souligne l’artiste.

Jeremy Deller Valerie’s Snack Bar courtesy de l’artiste The Modern Institute/ Toby Webster, Glasgow & Art: Concept Paris

Un phénomène abordé au musée des beaux-arts à travers le diagramme du début du parcours « The history of the World », entre acid house et brass bands où comment la culture des raves a influencé le cours de l’histoire.  N’oublions pas que Jeremey Deller est venu la première fois à Rennes en 1997 pour les Trans musicales autour de l’interprétation par une fanfare de cuivres de techno. De la musique Pop de l’ère industrielle aux changements sociétaux qui ont suivi. L’une des œuvres marquante au musée des Beaux-arts qui accueille le visiteur est l’installation « Valerie’s Snack Bar » réplique à taille réelle d’un snack de la banlieue de Manchester, tirée par un camion lors du festival de Manchester, entourée de plusieurs banderoles. L’idée de convivialité est importante chez l’artiste et chacun peut venir s’y restaurer.

L’installation autour de la reconstitution de l’épisode de la bataille d’Orgreave et le bureau d’étude de la période des grèves est un autre temps fort du parcours. La confrontation des mineurs et de la police dans le Yorshire en juin 1984 a été un épisode saillant pour l’artiste alors âgé de 18 ans. Malgré les risques d’embrasement entre les deux camps et plus d’un millier de personnes impliquées, le caractère public de l’évènement était essentiel.  « Autopsie d’un corps que l’on aurait inhumé » pour reprendre les paroles de l’artiste qui conçoit la démarche comme une performance artistique.  L’attrait des anglais pour les reconstitutions historiques est également un phénomène qui fascine Jeremy Deller. Avec « Iggy Pop Life Class », une performance à huis-clos au Brooklyn Museum où un panel d’artistes est invité à dessiner la rock star nue. Seule trace de l’évènement : les œuvres réalisées associées à des œuvres choisies par Jeremy Deller dans les collections des beaux-arts autour d’une histoire de la représentation de la masculinité.  Après l’art des jardins autour de la vogue des journaux intimes par des associations botaniques allemandes (Skulptur Projekt de Münster), nous terminons par la montée du populisme de droite dans la période qui déchire partisans pro Brexit ou anti-Brexit. Une note moins légère et qui fait partie du patrimoine collectif européen à présent.

Jeremey Deller à La Criéee centre d’art contemporain photo Rennes Ville et Métropole

A la Criée, c’est l’œuvre graphique de l’artiste qui est mise en avant dans une large installation all-over de plus de 120 affiches et imprimés. L’installation Warming Graphic Content = Contenu graphique explicite a été montrée dans plusieurs lieux en Europe. Elle forme une myriade d’entrées autour des obsessions de l’artiste, en étroite collaboration avec le graphiste Fraser Muggeridge. Qu’elles soient des commandes ou plus sauvages, leur impact est immédiat comme lors d’une récolte de fonds pendant le confinement autour du personnel hospitalier héroïque « Thank God for Immigrants ». Le diaporama « Beyond the White Walls » reprend une série de projets conçus pour l’espace public avec en voix off les commentaires de l’artiste.

Si l’on peut se sentir dérouté de prime abord face à l’univers foisonnant de Jeremy Deller, il faut prendre le temps de sa familiariser avec les symboles, les rituels, les jeux de mot. Sa vision corrosive, son humour décalé et tendre sur ses compatriotes en font un activiste  qui prône l’amateurisme au rang de l’art. Inclassable et hors norme, ce projet tripartite rennais mérite le détour.

Catalogue indispensable, spécialement conçu par l’artiste. Les Presses du Réel, 240 pages, 28 €

Infos pratiques :

ART IS MAGIC, Jeremy Deller

Jusqu’au 17 septembre

Frac Bretagne

Frac Bretagne – Site du Fonds régional d’art contemporain Bretagne

Musée des beaux-arts

https://mba.rennes.fr/

La Criée centre d’art contemporain

La Criée centre d’art contemporain – Rennes, France (la-criee.org)

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