Villa Arson : Art italien depuis les années 1990, immersion chez les mèmes et Carla Filipe

Carla Filipe vue de l’expositon Villa Arson photo JC Lett

En écho à l’exposition proposée par le Mamac sur la scène italienne des années 1960 à 1975, la Villa Arson propose un panorama de la création artistique des années 1990 à 2000 sous le titre « Le futur derrière nous ». Comme me le précise Eric Mangion en préambule à sa visite, le commissaire Marco Scotini a opéré une sélection d’une vingtaine d’artistes qui « réétudient, réinterprètent, recyclent les courants utopiques et contestataires des années 1960-70 ». La première œuvre de Luca Vitone est une carte atopique, ce qui veut dire, sans repères et sans possibilité de décodage, ce qui correspond bien à l’état d’esprit de cette génération sans héritage direct. Mais, comme il me le fait remarquer, cette carte repose sur un cliché du photojournaliste Uliano Lucas datant de 1970 qui montre un sit-in étudiant. Stefano Serretta avec l’installation monumentale Sutra 69-79, un journal qui cache un certain nombre de fenêtres de la Villa Arson traduit l’échec financier et économique de la péninsule italienne et son histoire fictive non linéaire. Franco Basaglia (Stefano Graziani) collecte également des archives de mouvements contestataires de ces années et notamment le mouvement antipsychiatrique, important à l’époque en Italie à travers des symboles comme ce cheval en papier-mâché, construit en 1973 par du personnel soignant sur roulettes pour servir d’objet de manifestation dans la rue, que le collectif Claire Fontaine a souhaité voir reproduit à l’identique par des artisans. L’artiste et militant Bert Theis dénonce le caractère chaotique de l’urbanisme en Italie dans les années 1960 et 70 avec ce collage et la maquette du quartier d’Isola transformé en jungle urbaine. Chiara Fumai réinterprète les paroles féministes de l’écrivaine Carla Lonzi dans un jeu de miroirs où deux histoires se confondent : le manifeste Rivolta Femminile et Zalumma Agra, « attraction » du cirque Barnum au XIXème siècle.

Francesco Jodice, La notte del drive in, Milano spara, 2013, film HD

Autres thèmes et explorations : la transformation du travail, la libération sexuelle, l’inertie socio-économique, la pédagogie, l’anarchie, l’écologie, l’activisme…avant que l’artiste Francesco Jodice ne se demande ce que sont devenus les rêves de cette génération décisive dans le paysage italien avec La Notte del drive-in Milano spara (2013) La nuit du drive-in la fusillade de Milan. L’installation qui rejouait les codes du drive-in dans une usine Alfa Romeo désaffectée permettait aux visiteurs de regarder la vidéo depuis leur voiture. Des extraits de films constitués selon certaines occurrences thématiques : la violence, le sexe, la criminalité, les explosions.. y dénoncent le climat des années 1970 mais aussi sa vitalité, rappelant le rôle joué par le cinéma à cette période d’américanisation et de transformation de la société, ce qui renvoie à Vita Nuova au Mamac.

L’impression générale en sortant est une somme universitaire assez indigeste, un travail d’historien ou de chercheur qui manque de saveur. Dommage car beaucoup de ces artistes sont inconnus ici.

Clusterduck MEME MANIFESTO photo JC Lett

-Descente aux enfers numériques : « Le mème est toujours pluriel, jamais singulier »

Clusterduck, collectif interdisciplinaire italien spécialisé dans les contenus sur internet et leurs représentations nous invite avec MEME MANIFESTO à découvrir les pouvoirs occultes et insondables de la mémesphère. Au-delà de ces images virales sympathiques, régressives ou inquiétantes entrées dans la culture collective mainstream, il est question à travers cette cartographie sous forme de crazy wall de détective de mesurer leur stratégie d’impact et d’influence basée sur le concept d’hyperstition, théorisé par le philosophe britannique Nick Land selon lequel un scénario fictif finit par se réaliser du à sa récurrence et mécanique cognitive. S’il peut influencer notre lecture de la réalité, le même en deviendrait alors un véritable outil de propagande, ce qui a suscité des débats à l’époque de l’élection de Trump en pleine montée des fake news avec le rôle joué par le mème Pepe the Frog et l’on se souvient de la page Facebook Bernie Sanders Meme Stash qui avait pulvérisé les primaires de 2015. Une lecture historique, symbolique et anthropologique qui se réclame de l’Atlas Mnemosyne de l’historien d’art allemand Aby Warburg dans un parcours où le visiteur pénètre toujours au plus profond des arcanes de la mèmesphère, soulevant de nombreux questionnements. Montrer ce qui représente au départ une sous-culture numérique dans le white cube d’une institution telle que la Villa Arson illustre cette marchandisation et artification du mème avec comme conséquences l’émergence de la notion d’auteur lié à une valeur marchande unique effaçant les co-créateurs anonymes d’un remixage collectif, certains mèmes étant monétisés sur le marché des NFT.  De multiples phénomènes qui au-delà de la manipulation des consciences, renvoient à partir de formes archétypales et analogies formelles au mouvement Dada ou à l’art contemporain. Une traversée captivante, que l’on soit initié ou pas au monde numérique !

-Carla Filipe : hóspede [hôte]

Hôte peut être aussi bien la personne qui accueille que celle qui est accueillie et ce double sens donne une indication première de lecture de la vaste installation de l’artiste portugaise Carla Filipe. Fille d’un garde-barrière, elle collecte et construit une archive historique personnelle et collective à partir d’objets récupérés, de voyages, de récits qu’elle documente telle une anthropologue. Elle avait proposé dans le cadre de la Biennale de Rennes en 2012, 68 ex-votos dédiés aux cheminots présentés au musée des Beaux-arts. A présent il s’agit de mettre l’Europe face à ses incohérences en matière de politique migratoire et de crise des réfugiés à travers 28 drapeaux, un pour chaque état membre de l’UE, proportionnels à leur poids économique et suivant un graphisme inspiré d’affiches syndicales et politiques qui souligne leurs particularismes. Une vision commune fortement entachée des tensions idéologiques et politiques et montées des nationalismes.

Infos pratiques :

Le futur derrière nous, l’art italien depuis les années 1990

Carla Filipe hóspede [hôte]

Saison France-Portugal

avec le soutien de la Fondation Gulbenkian

Commissaire : Marta Moreira de Almeido, directrice adjointe musée Serralves (Porto)

Clusterduck, MEME MANIFESTO

Jusqu’au 28 août 2022

Villa Arson Nice ministère de la Culture Université Côte d’Azur (villa-arson.fr)