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Les Flammes & Anni et Josef Albers : Musée d’art moderne de Paris

Ron Nagle, Captive Morgan, 2012, faïence, émail, polyuréthane catalysé et résine époxy, 14,6 x h 13,3 x 14,6 cm, collection particulière. © Ron Nagle, Courtesy Matthew Marks Gallery

Belle actualité au Musée d’art moderne de Paris qui se penche sur l’art de la céramique et le couple Anni et Josef Albers. Anne Dressen commissaire des « Flammes, l’ Âge de la céramique » referme avec brio la trilogie des expositions Decorum en 2013 (sur la tapisserie) et Medusa en 2017 (sur les bijoux) autour d’une approche décloisonnée des arts dont elle me faisait part lors d’un passionnant entretien (relire).

Anonyme (site de Fort Harrouard, Sorel-Mousson, France), statuette féminine, néolithique moyen, terre cuite modelée, 7,8 x h 13,8 x 1,5 cm, Musée d’Archéologie nationale, Saint- Germain-en-Laye. © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Michel Urtado

Revendiquant la céramique comme un medium et non un genre artistique, elle nous plonge dans un parcours transhistorique qui bouscule les catégories habituellement en vigueur : l’ancien et le contemporain, l’art, le design et l’artisanat, le fonctionnel et le sacré. Des facettes contradictoires mais pas inconciliables, comme Anne Dressen le souligne : « A l’instar de l’art du Kintsugi qui recolle les fragments cassés tout en sublimant les cicatrices, Les flammes entend aborder la céramique comme un contenant autant qu’un contenu, en réconciliant sans les opposer chacune de ses qualités propres ». Le feu est bien cette matrice originelle comme cela est souligné dès le titre et chaque cuisson de par son caractère imprévisible ajoute au mystère et à la fascination. On parle d’ailleurs souvent des potiers comme des sortes d’alchimistes jalousant leurs secrets dans leurs campagnes reculées. Si les artistes ont toujours été nombreux à s’essayer à cette discipline tels que Gauguin, les Fauves, Picasso ou Fontana représentés, une recrudescence actuelle de ce phénomène interroge sur le pouvoir de l’argile dompté par l’homme depuis la nuit des temps. Une manipulation instinctive immédiate de l’ordre de la jouissance à laquelle s’ajoutent d’autres projections et imaginaires. Une forme d’obsession qui conduira même à la folie certains artistes comme le souligne la commissaire.

Takuro Kuwata, Bowl, 2014, porcelaine et émail, 13,5 x h 13 x 14,5 cm. Courtesy de l’artiste et de Pierre Marie Giraud, Bruxelles, Belgique
Photo : © Tadayuri Minamoto

Le parcours qui rassemble pas moins de 350 pièces allant du Néolithique à nos jours aborde dans une première partie les techniques (fours, outils, décors) puis les usages (utilitaires, artistiques, rituels) pour se refermer sur les messages (trompe-l’œil, difforme et politique), cette dernière partie étant à mon sens la plus brillante. L’installation grandiose et iconoclaste de l’artiste britannique Clare Twomey constituée d’une montagne de débris d’assiettes, mugs, tasses, plats, théières… plante le décor ! C’est assez déstabilisant mais au fur et à mesure l’œil s’habitue et s’oriente.  

George E. Ohr, Sans titre, 1900, grès, cuisson bois, ø 12,1 x h 8,9 cm, The Museum of Everything, Londres, Royaume-Uni. © Courtesy of The Museum of Everything, Londres, Royaume-Uni

Si la plus ancienne céramique ancienne connue est une Vénus sculptée du Paléolithique, elle s’inscrit de fait dans une démarche culturelle même si sa valeur réside en son caractère spontané et anonyme. La question de l’auteur se trouve en effet mise à mal puisqu’un l’on sait qu’un même vase nécessite l’intervention de plusieurs mains. Au XVIIIème siècle les grands échanges diplomatiques et commerciaux vont cristalliser cette fascination de l’Occident pour la porcelaine chinoise que l’on cherche à imiter par tous les moyens jusqu’à la découverte du kaolin. Un art trop souvent enfermé dans le décoratif qui donne ensuite lieu à des contres-esthétiques autour de l’accident volontaire, du difforme et du négligé : les formes contemporaines du sloppy. La céramique devient alors un vecteur d’affirmations politiques et sociales engagées au-delà d’une allure volontairement provocante. De cette bad ceramic longtemps ostracisée et dévalorisée, un foisonnement sans précédent lui redonne son pouvoir de résistance. Les assiettes dessinées par Judy Chicago pour son installation « The Diner Party » (1974-79) conservée au Brooklyn Museum s’impose comme la première œuvre féministe à grande échelle.  A noter qu’un colloque organisé par les Amis du Musée de Sèvres prolonge ses enjeux autour des rapports entre céramique et politique.

The Josef and Anni Albers Foundation/Artists Rights Society (ARS), New York/DACS, London

L’art et la vie : Anni et Josef Albers

Si les Flammes remplit toutes ces promesses, c’est une autre histoire avec le choix d’exposer le couple Albers malgré une assise théorique et formelle solide et un accrochage sans fausse note.

En effet si leurs œuvres respectives se nourrissent mutuellement d’une réelle complicité, la part belle revient de fait à Josef Albers, tous les ateliers du Bauhaus n’étant pas ouverts aux femmes. Après leur rencontre en 1922 et leur mariage trois ans plus tard, Anni rejoint l’atelier textile ce qui n’est pas son choix de départ. Josef lui choisit le verre et dirige bientôt l’atelier. Ils explorent à deux de nouveaux motifs horizontaux par superposition de bandes de même couleur quand ils arrivent à Dessau suite à la dissolution du Bauhaus. Professeurs au Black Mountain College cet exil forcé aux Etats-Unis leur donne la possibilité de voyager au Mexique et de se former aux arts précolombiens. Leur collection de tissus et d’objets anciens devient le prétexte à de nouvelles inspirations. En parallèle de l’exploration des nœuds andins, Anni explore le labyrinthe et les systèmes binaires graphiques, tandis que Josef commence ses recherches sur les illusions optiques qui vont culminer avec les deux milles tableaux de la série Hommage au carré.

Véritable temps fort du parcours qui concentre l’ensemble de leurs échanges prend toute la lumière. Il est vrai que cette perception élargie à la fois physiologique et méditative est spectaculaire mais il est le fruit d’un dialogue à deux constant entre la figure et le fond, véritable trame de leur vie. Pendant ce temps Anni qui bénéficie enfin d’une reconnaissance d’artiste à part entière et non plus seulement d’artisane, reçoit une série d’importantes commandes religieuses comme celle du Jewish Museum de New York autour des victimes de l’Holocauste et le MoMa lui consacre une exposition personnelle.

Au sortir de cette belle exposition certaines questions restent en suspens étant donné la relative discrétion mise en œuvre autour des créations d’Anni face au système quasi obsessionnel du Carré de Josef déroulé dans l’arc. Et quand on sait la place donnée par l’histoire de l’art à l’élément féminin d’un couple d’artistes…

Infos pratiques :

Les Flammes. L’Âge de la céramique

Jusqu’au 6 février 2022,

Anni et Josef Albers, L’art et la vie

Jusqu’au 9 janvier 2022

Musée d’Art Moderne de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, 75116 Paris

www.mam.paris.fr

Catalogues en vente à la librairie

Livre recommandé pour conclure Anni & Josef Albers : égaux et inégaux, texte de Nicholas Fox Weber, 512 pages, 120 €, éditions Phaidon

Réservations :

www.parismusees.paris.fr

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