Prosper Legault, de la Volonté 93 à la Collection Société Générale

Prosper Legault, Je te fais marché (de l’art contemporain) collection Société Générale

« C’est le monde à l’envers, le monde à l’envers.. alors je fais le poirier. Mais tout ira bien tout ira bien.. tant qu’il y aura des pignons dans les pommes de pin, les pommes de pin » PROSPER – LE POIRIER prod by Missize Kati

Artiste/ Chanteur/ Serrurier/ Chaudronnier Prosper Legault vêtu de son bonnet péruvien et son blouson customisé, indissociables de toutes ses chansons, détonne un peu dans l’univers feutré des tours de la Société Générale à la Défense. A la suite d’un appel à projets lancé en novembre 2020 auprès des diplômés des cinq dernières années (2015-2020) de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, il a été retenu parmi les 14 artistes sélectionnés. Comme le souligne Marie-Ann Yemsi commissaire de ce second volet de Transport Commun, ces artistes ont décidé pour beaucoup de suivre un engagement similaire au plus près de leurs convictions et de l’art. C’est le cas de Prosper, fondateur du collectif La Volonté 93. Il nous décrypte l’œuvre qui est entrée dans la Collection Société Générale Je te fais marché (de l’art contemporain), et se dit étonné et ravi d’être exposé aux côtés d’artistes qui l’ont beaucoup inspiré comme Daniel Spoerri qu’il a découvert jeune au Centre Pompidou. S’il découpe des fragments urbains auxquels il redonne une nouvelle énergie, Prosper capte en parallèle le rythme des mots qu’il recompose ensuite. Il est revenu sur son parcours et sa vocation d’artiste, apparue lorsqu’il préparait un bac professionnel en chaudronnerie. Un travail du métal qui ne l’a pas quitté.

Genèse de cette exposition

J’ai répondu à l’appel à projet lancé aux Beaux-Arts de Paris en envoyant une sélection de plusieurs travaux et le comité de sélection a retenu l’œuvre intitulée Je te fais marché (de l’art contemporain). Composée d’une enseigne de boulangerie en forme d’épis de blé légèrement calcinée, traversée par les lettres du mot Marché comme dans les corbeaux des lettres anonymes ou dans l’esthétique de groupes punk de lettres découpées dans les magazines pour reconstituer les mots. J’agis sur le même principe avec une lettre qui provient d’une pharmacie, une autre d’une brasserie ou encore une autre d’un vendeur de vin. Le mot marché m’évoque : le marché aux puces, marché de l’art contemporain, marcher dans la ville, marcher seul, marcher avec toi. Ce mot a de multiples significations même si son sens premier est de marcher dans la vie. Cette œuvre est constituée de nombreux fragments que j’ai attrapés au vol, décidé de garder un moment pour les recomposer ensuite, les twister pour les rendre plus agréables et donner une autre énergie que celle de départ. C’est porteur d’espoir car cela veut dire que cela reste très accessible, que quiconque peut, devrait se lancer à mon sens s’il en a envie.

Quelle impression avez-vous de l’accrochage de Marie-Ann Yemsi ?

Je le trouve très réussi, Marie-Ann a su remarquablement bien agencer les œuvres les unes avec les autres et je suis stupéfait et ravi de me trouver aux côtés de Daniel Spoeri par exemple qui est l’un des premiers artistes qui me parlaient lors de mes visites jeune au Centre Pompidou. Aussi me trouver dans la même exposition que lui est un bonheur. Le lieu n’est pas un white cube classique mais le côté décalé est intéressant. Les murs blancs ont un côté boring donc au final ça change !

Prosper Legault

Comment réagissez-vous à voir exposée prochainement l’œuvre dans le contexte d’une salle des marchés ?

Je n’avais pas forcément imaginé exposer un jour dans le siège d’une grande banque et je suis content de rester fidèle à moi-même y compris dans un tel contexte. Donc imaginer cet épis de blé brûlé devant la salle des marchés où seront écrit Paris, New York, Sao Paolo, Tokyo.. avec plein de chiffres qui défilent, un peu comme dans le Loup de Wall Street, le film avec Di Caprio, cela me plait assez !

Bienvenue dans la Vi(ll)e vue d’exposition Eglise Saint Eustache 2020/2021

Retour sur l’œuvre Bienvenue dans la Vi(ll)e exposée à Saint-Eustache dans le cadre de Rubis Mécénat x Beaux-Arts de Paris

C’est à chaque fois un exercice d’équilibriste en quelque sorte par rapport à ce contexte d’une église, étant donné que je restais libre de ma proposition qui devait toutefois répondre à cette thématique de la nativité. Je ne suis pas croyant moi-même, ni chrétien. Si je crois en quelque chose ce serait plus du côté du karma ou ce genre de philosophie. Je voulais donc répondre à leur demande tout en restant sincère sans trop faire de zèle, ni en étant un enfant de cœur, ni trop insolent. C’est pour cela que j’ai choisi de placer ce grand personnage de Dragon Bal au beau milieu de la crèche car si on admettait que Jésus vienne eu monde en 2020 il ne pourrait pas passer à côté des Pokemon, Dragon Ball ou autres phénomènes avec lesquels des gens de ma génération ont grandi. Quel que soit le lieu où l’on a grandi, on a forcément vu Pikachu ou Smogogo. J’ai fait un tag au dessus de ce grand personnage en hommage à mon ami Paul SAEIO, l’un des plus tagueurs de Paris, décédé en 2017. J’avais envie de le citer dans un lieu aussi solennel qu’une église. J’ai transposé les Rois Mages en vendeurs des rues : le premier de marrons chauds, le second de fruits et légumes à l’image de ceux que l’on trouve à la sortie des métros avec 3 cagettes surmontées d’une planche et le dernier représenté par une tente éclairée de l’intérieur. Des gens qui travaillent et vivent aussi parfois dans la rue. Au sommet de cette scène étaient évoqués les tourments que traverse le monde avec le titre Bienvenue dans la vi(ll)e, l’œuvre ayant fait une analogie entre la vie et la ville. La ville est pour moi le véritable reflet de l’humanité, on voit bien ce qui préoccupe les hommes, ce qu’ils font, où ils vont au restaurant, à la laverie, au garage, à la boulangerie…Nous sommes tous confrontés parfois aux 7 catastrophes d’Egypte avec toutes les nouvelles que l’on reçoit sans cesse. Il était déjà question de Marché dans cette œuvre avec l’étoile du Berger faite avec une enseigne de cordonnier figurant une botte et le message « chaussure rénovée, confort assuré » entouré par des demi « M » de MacDonald en arc de cercle qui constituaient les branches de mon étoile. Au-delà de la forme de l’installation et son déploiement dans l’église, qui venait en quelque sorte souligner le très bel orgue, je ne tenais pas à m’imposer dans l’église mais en souligner les lignes de force. Un vrai défi avec pour la première fois une équipe et des moyens de production pour l’accomplir.

Il était déjà question du verbe « marcher » dans cette installation, à travers l’étoile du Berger confectionnée avec une enseigne de cordonnier. Sous forme de botte, elle annonçait le message suivant « chaussure rénovée, confort assuré », le tout entouré par des demis « M » de McDonald pour composer les branches de l’étoile.
L’installation à l’église Saint-Eustache et l’œuvre acquise par la Collection Société Générale retranscrivent la même idée : se méfier de l’argent, du marché et de la spéculation qui fait beaucoup de mal au monde et aux hommes bien que nous ayons besoin de marché mais pas du marché.

Prosper Legault

Comment définissez-vous votre pratique ?

Ma pratique est de l’ordre de l’assemblage car avant de devenir artiste et de faire des expositions, interventions dans différents lieux j’étais menuisier et travaillais aussi le métal et étais employé pendant plusieurs années dans une entreprise à Montreuil. Donc en arrivant aux Beaux-Arts les outils que j’avais à ma disposition relevait de ce passé ouvrier qui me rendait capable de visser, souder, percer, découper… tous types de matériaux. En parallèle j’ai une grande pratique d’écriture. J’écris des chansons depuis toujours qui sortent depuis 2017 (en écoute Chaine Youtube). J’aime bien faire l’analogie entre la manière dont j’écris mes textes et la manière dont je fais mes assemblages. En réalité quand on écrit une phrase on n’invente pas les mots, ils existent déjà. On les juxtapose les uns avec les autres pour voir le monde autrement, donner du sens. De même si je juxtapose une baguette de pain avec un skate board et un idéogramme chinois je mélange des références d’où découle un message, un style, une identité.

Prosper Legault

Le collectif, La Volonté 93 : origines et enjeux

Avec mes amis notamment Alexander Raczka, mon binôme depuis toujours nous avons ouvert ce lieu à Montreuil alors âgés de 20 et 21 ans quand on a commencé à manquer d’espace pour travailler et qu’il fallait se battre en permanence face à d’autres étudiants plus installés. Nous avons pris l’habitude d’aller voir les squats des autres et du fait de ma pratique du grafitti sauvage et de mon métier de serrurier qui me permettait d’ ouvrir certaines portes, j’allais souvent dans les terrains vagues et lieux abandonnés. Cela nous a semblé donc naturel d’ouvrir un lieu, même si l’on sait que l’on peut facilement se laisser aller ou tomber dans la marginalité lorsque l’on vit en collectif, jeunes et sans contraintes de loyer en mode précaire dans des bâtiments en mauvais état. Une sonnette d’alarme qui résonne dans ce nom La volonté pour garder à l’esprit que l’on est là pour travailler et que c’est une chance. Rapidement nous avons invité des artistes à  nous rejoindre, sans passer par des appels à projets mais au gré des rencontres, des affinités.

Je me rends compte que je dois beaucoup à cette initiative que nous avons eu jeunes. J’ai grandi en même temps que ce projet sans vraiment m’en rendre compte et nous avons déménagé par la suite à St Ouen. Maintenant que j’ai fini mes études je me concentre vraiment sur ce projet, lieu de vie et de travail.

Le prochain évènement du collectif La Volonté 93 (Saint-Ouen) a lieu pendant la semaine de la FIAC, pouvez-vous nous en dire plus ?

Ce n’est pas un hasard en effet d’avoir choisi ce moment là qui concentre un grand nombre d’initiatives et de gens. Nous voulions apporter notre petit grain de sable, pierre à l’édifice, galet qui ricoche. L’exposition s’intitule 21.10.21 et j’aimais bien cette symétrie. C’est un point d’étape autour des 15 artistes du collectif, chacun proposant une œuvre.

Vous n’êtes pas venu tout de suite à l’art ayant du travailler en alternance de vos études, quel a été le déclic dans votre décision de devenir artiste ?

Cela s’est fait assez naturellement en fait. A la suite d’un bac professionnel de chaudronnerie je n’avais pas envie de poursuivre dans les chantiers, ce qui me laissait peu de temps pour développer mes centres d’intérêt. Je voyais mes amis aux Beaux-Arts et ai réalisé peu à peu que c’était ce qui me motivait vraiment.  J’ai intégré l’école tout en me préoccupant des débouchés. Je gardais néanmoins conscience de la valeur de ce que je fabriquais ayant toujours travaillé le métal. J’avais un savoir-faire dans les mains quoi qu’il arrive par la suite.

Infos pratiques :

Transport Commun Volet 2 : commune présence

Tours Société Générale, 17 cours Valmy Puteaux

http://www.collectionsocietegenerale.com/

La Volonté 93

Exposition

du 21 au 31 octobre

15 rue Jean Pernin, Saint-Ouen

Volonté 93 (volonte93.fr)

Chaine Youtube de Prosper

Prosper –  YouTube