FOMO VOX

Interview Alexandre Devals, directeur Venet Foundation 🎧

Venet Foundation – Vue du parc de sculptures à la Fondation Venet – Le Muy France © Photo Archives Bernar Venet New York

Une journée à la Venet Fondation au Muy est toujours un moment à part. En pleine nature provençale au bord de la Nartuby, sur le site du moulin des Serres, les Arcs en acier Corten et autres « effondrements » de Bernar Venet surgissent dans une chorégraphie dictée par le chaos et la ligne. L’un des pionniers de l’art conceptuel, l’artiste qui a fait ses armes à l’âge de 25 ans à New York revendique l’imprévisible et rompt avec la doxa géométrique. La collection réunie avec son épouse, Diane, dans l’ancien moulin (Donald Judd, Carl André, Dan Flavin..) et les sculptures des grands représentants de la sculpture minimale américaine dans le parc (Carl Andre, Richard Long, Larry Bell..) donnent une véritable cohérence au lieu, que complète l’ancienne usine, terrain de jeu idéal pour Bernar Venet. Il y expose une installation inédite Domino Effondrement en préparation à sa prochaine exposition au Louvre Lens.

Larry Bell – Something Green 2017 – Verre feuilleté.
© Xinyi Hu Paris – Courtesy Venet Foundation New York

Nouveautés cette année : l’extension du parc avec vue imprenable sur l’emblématique Rocher de Roquebrune où Bernar Venet pose les Trois Croix en 1991 en hommage à Grünewald, Le Greco et Giotto et nouvel écrin pour ses sculptures monumentales qui avaient tutoyées la monumentalité du Roi Soleil à Versailles.

Le public pourra également découvrir cet été une installation inédite de Lawrence Weiner, la fascinante œuvre d’Anish Kapoor en dialogue avec la Chapelle de Frank Stella, l’exposition de Robert Morris et l’hommage à Enrico Navarra, emblématique marchand et éditeur d’art passionné qui a été le premier à s’installer au Muy, rapidement suivi par Bernar Venet et autres personnalités du monde de l’art.

Bernar Venet, Effondrement: 85.8 Arc x 16, en acier Cor-ten, exposé en 2011 à l’entrée du Château de Versailles. Longueur de chaque arc : 22 m Jerome Cavaliere, Marseille / Archives Bernar Venet NY

Alexandre Devals, directeur de la Fondation et auteur de plusieurs ouvrages de référence sur l’art minimal et conceptuel et la pratique de Bernar Venet a répondu à mes questions.

En écoute : Alexandre Devals, FOMO_Vox 🎧

Portrait Alexandre Devals, photo Jérôme Cavalière pour la Venet Foundation

A quand remonte votre rencontre avec Bernar Venet et élément déclencheur pour vivre l’aventure de la fondation ?

J’ai recontré Bernar Venet en 2010 qui à l’époque avait ce projet de fondation à l’état d’ébauche car il envisageait plutôt d’ouvrir et de créer une fondation après sa mort. Je venais du monde des ventes aux enchères et il m’était arrivé d’être confronté parfois à des successions d’artistes ou de collectionneurs qui s’étaient mal déroulées car elles étaient mal préparées. Mon rôle a donc été dans un premier temps de faire prendre conscience de ces enjeux à Bernar Venet et de l’encourager à poser des jalons de ce que pourrait être la fondation et son avenir ; imaginer cette fondation dans une forme de légitimité pour qu’il s’agisse d’une continuité et non d’un nouveau départ. Nous avons dès lors agi dans ce sens à travers plusieurs étapes.

Dans un premier temps nous avons ouvert l’espace qui n’était pas encore une fondation en 2012 à l’occasion des manifestations de l’art sur la Côte d’Azur tous les vendredis après-midis. Deux ans plus tard nous avons inauguré la fondation avec différents temps forts notamment une exposition de la collection de Diane et Bernar d’art minimal et l’inauguration de la chapelle de Stella, première architecture réalisée par l’artiste autour de 6 de ses grands reliefs du début des années 2000. A partir de là nous avons décidé de lancer un programme d’expositions annuelles en période estivale, ce qui était généreux et relativement contraignant pour Bernar Venet qui vit et travaille sur ce lieu, mais s’est révélé très bénéfique car cela a insufflé un dynamisme et une politique d’expansion bien au-delà de ce que nous avions pu imaginer.

Retour sur l’ADN de la fondation

L’ADN de la fondation découle de l’ADN et de la personnalité de Bernar Venet qui en ce lieu est à la fois artiste et sculpteur mais aussi collectionneur, paysagiste, amateur d’architecture… Ne souhaitant pas se mettre particulièrement en avant, il reste malgré tout présent en filigrane dans tous les espaces de ce lieu qu’il a entièrement façonné et développé avec Diane son épouse. Partant d’une friche, il a planté, agrandi, réaménagé le terrain et les batiments : un moulin et une ancienne usine entièrement repensés pour accueillir des œuvres d’art avec la construction d’une galerie d’expositions et la construction de modules : la chapelle Stella, le skyspace de James Turrell et l’élargissement avec le parc de sculptures réunissant des œuvres d’artistes majeurs comme Anthony Caro, Larry Bell, Robert Morris, Sol LeWitt, Richard Long, Arman…qui viennent s’ajouter à la collection historique conservée dans le moulin que Bernar Venet a acquis depuis les années 1960 par échanges auprès d’artistes ou de galeristes de sa génération. L’ADN se retrouve dans cette génération de l’art minimale et conceptuelle et du land art (Richard Long, Donald Judd, Dan Flavin, Carl André, François Morellet, Olivier Mosset..) que Bernar Venet a beaucoup côtoyée à son arrivée à New York et avec laquelle il a tissé des liens d’amitié, d’admiration et de respect mutuel.

Bernar Venet, un artiste conceptuel ?

Question intéressante qui a été souvent abordée et en partie résolue lors de l’exposition proposée en 2019 au MAMAC à Nice par Hélène Guenin, directrice du musée et Alexandre Quoi, (à présent au Musée de Saint-Etienne), qui se penchait sur les années conceptuelles de Bernar Venet entre 1966 et 1976. En 1966 il débute une pratique considérée comme conceptuelle jusqu’au début des années 1970 où il décide d’arrêter son activité artistique tout restant actif dans les années suivantes en exposant son travail et enseignant à la Sorbonne. L’exposition a montré et rappelé comment Bernar Venet a été l’un des pionniers de l’art conceptuel à New York en même temps et aux côtés d’ un certain nombre d’artistes majeurs de ce mouvement On Kawara, Robert Kosuth, Robert Barry, Lawrence Weiner, Art and Language…avec lesquels il a exposé. L’art conceptuel n’est pas le fruit d’un groupement ou d’un manifeste au départ mais d’une série d’évènements fondateurs comme Prospect 1968, à la Kunsthalle de Düsseldorf, Conception-Konzeption à Leverkusen, Art by Telephone au musée de Chicago ou Information au MoMA auxquels Venet a participé. Bernar Venet aura sa première rétrospective dès 1970 au musée de Krefeld en Allemagne, lieu très prescripteur à l’époque puis l’année suivante à New York intitulée The Five Years of Bernar Venet qui présentait également le catalogue raisonné de ses œuvres, plus de 300 sur cette période.

Si Bernar Venet a été l’un des inventeurs du courant historique de l’art conceptuel, aujourd’hui sa pratique ne relève plus de ce courant, ce qui explique la raison pour laquelle il avait arrêté définitivement puis finalement repris en 1976 pour ne pas tomber dans une impasse et une répétition sans fin. Pour le paraphraser et avec une image volontairement caricaturale : Picasso n’a pas fait du cubisme toute sa vie et cela n’aurait pas eu de sens au regard des avancées que représente ce mouvement.

L’exposition Robert Morris : genèse et enjeux 

Tout d’abord il est important de souligner que cette exposition se veut une manière de tisser un lien et d’élargir le champ de la collection qui possède des œuvres importantes de Robert Morris notamment deux feutres de la fin des années 1960, un télégramme historique, un dessin de la Steam piece pour la Corcoran gallery, des sculptures et un grand labyrinthe présenté dans le parc. Des pièces qui ne sont pas toujours visibles mais bien présentes dans l’esprit de la fondation et qui font régulièrement l’objet de prêts.

Nous avons voulu montrer l’œuvre Voice présenté à la galerie Castelli en 1974 en même temps que ses Labyrinth drawings et ses Blind time, dessins à l’aveugle. Il s’agit d’un environnement constitué de 4 blocs principaux situés aux points cardinaux de l’espace avec un certain nombre de bancs au centre. Un univers sobre et dépouillé à l’encontre de l’idée que l’on se faisait d’une œuvre d’art puisque sa réalisation formelle en devient presque anecdotique par rapport au processus engagé avec le spectateur. Un certain nombre de sons ou de lectures d’enregistrement (intégralité du guinness book des records, textes de psychologues…) sortent tour à tour des enceintes qui envoient une information par ailleurs brouillée par la superposition des voix provenant des autres moniteurs, obligeant le spectateur à se déplacer pour tenter de trouver une meilleure écoute. Robert Morris à travers ce dispositif reprend une pratique sonore développée par d’autres artistes de sa génération comme Max Neuhaus qui faisait écouter des bruits de la ville, dans une forme de dépassement d’un art considéré comme très visuel dans les années 1970. Un moment fondateur dans l’œuvre de Morris, artiste très prolifique et véritable pionner dans le champ de l’art conceptuel, de l’art minimal et inventeur du mouvement anti-form. Ce geste avait été montré au musée Guggenheim en 1994 lors de sa rétrospective mais était peu exploré en Europe et il nous plaisait de le remettre en scène. Un statement non visuel nécessitant d’être vécu pour en apprécier toute la puissance de suggestion. Je dois préciser que la description que j’en fais est assez lacunaire, voire faible, et si vous avez l’occasion de venir à la fondation cet été ce que je souhaite, vous vous rendrez compte aussi de ce rapport réellement physique en vous mettant en scène dans cet espace qui sollicite vos sens. Un désir profond d’inscrire le visiteur dans un rapport incarné aux œuvres que l’on retrouve chez Carl André, Donald Judd ou Sol LeWitt.

L’extension du parc, rejouer Versailles

Nous avons en effet eu la chance de pouvoir acquérir un terrain très proche sans être tout à fait adjacent à la fondation, dans lequel Bernar Venet a pu réaliser un certain nombre d’installations et reprendre notamment les 16 grands Arcs qui étaient positionnés devant le château de Versailles en 2011 et s’élevaient à 22 mètres de haut encadrant d’une certaine manière la perspective de l’Avenue de Paris, de la statue de Louis XIV et du château sur la place d’armes. Ces Arcs ont été repris non pas dans leur configuration originale mais en tant qu’effondrements, ce travail très lié à l’entropie développé par Bernar Venet depuis un certain nombre d’années maintenant.

L’exposition au Louvre-Lens

Marie Lavandier, directrice du Louvre-Lens a invité Bernar Venet à réaliser une exposition dans le Pavillon de Verre, grande salle de 1000m² inscrite dans le prolongement de la galerie du Temps. Il aurait été possible d’y répondre en organisant une sorte de rétrospective ou d’étude sur un thème particulier mais Bernar Venet a tout de suite préféré un grand Effondrement qui va se déployer sur l’ensemble de l’espace et mélanger des Arcs, des Angles et des Lignes Droites. Des configurations déjà expérimentées dans le grand espace de l’Usine mais proposant plusieurs éléments du vocabulaire de Venet, ce qui a le mérite d’introduire plus de désordre visuellement et de bruit si je peux m’exprimer ainsi. L’exposition ouvre le 11 juillet et durera jusqu’en janvier. A souligner que fin septembre à l’occasion du festival de piano qui a lieu tous les ans au Louvre-Lens, Bertrand Chamayou proposera un programme inédit joué au sein même de la sculpture. Un virtuose passionné d’art et de musiques contemporaines qui avait déjà joué au musée des Abattoirs de Toulouse à l’occasion de leurs 10 ans.

Infos pratiques :

Un été à la Venet Foundation

-Robert Morris, Voice, 

-Lawrence Weiner, Statement

-Anish Kapoor, Intersection

-Les oeuvres de Versailles (nouveau parc du Muy)

Chemin du Moulin des Serres, Le Muy (Var)

du 10 juin au 1er octobre

www.venetfoundation.org

Bernar Venet au Louvre Lens :

L’Hypothèse de la gravité

Bernar Venet – Louvre-Lens (louvrelens.fr)

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