Simon Baker, Saison 2 à la MEP : Moriyama-Tomatsu, la crise et le Brexit ! 🎧

Simon Baker, directeur MEP Paris, photo : Emmanuel Bacquet

La remarquable exposition Moriyama- Tomatsu orchestrĂ©e par Simon Baker, n’a pu ouvrir. C’est un vĂ©ritable crĂšve-coeur tant ce dialogue entre le mentor et son disciple Ă  partir de 400 oeuvres des annĂ©es 1950 Ă  nos jours dans une scĂ©nographique trĂšs originale, est une traversĂ©e unique autour d’une mĂȘme passion : Tokyo et ses marges.

Daido Moriyama Untitled, Série Searching Journeys #8 1971 © Daido Moriyama Photo Foundation Courtesy Akio Nagasawa Gallery

Simon Baker alors qu’il Ă©tait conservateur Ă  la Tate avait dĂ©jĂ  exposĂ© Moriyama (Farewell Photography) dont il est un fin connaisseur. Il revient sur la genĂšse de ce projet conçu avec l’artiste et la veuve de Shomei Tomatsu alors que le Studio consacrĂ© Ă  l’Ă©mergence accueille le plasticien, danseur et chorĂ©graphe SmaĂŻl KanoutĂ©, avant que la performeuse et photographe Mari Katayama qui nous avait beaucoup Ă©mue lors de la derniĂšre Biennale de Venise, ne dĂ©voile sa nouvelle sĂ©rie « In the Water ».

Shomei Tomatsu Blood and Roses, 1969 © Shomei Tomatsu INTERFACE

Simon Baker poursuit les jalons qu’il engage pour la MEP et insiste sur sa vision du medium photographique Ă©largi Ă  d’autres pratiques, Ă  l’heure oĂč l’impact de cette crise ne cesse de bousculer programmations et certitudes.

Daido Moriyama Untitled, série Pretty Woman 2017 © Daido Moriyama Photo Foundation Courtesy Akio Nagasawa Gallery

Dans le cadre de la Saison Africa2020 la MEP consacrera la premiĂšre rĂ©trospective majeure Ă  l’artiste et activiste sud-africain-e Zanele Muholi, l’un des temps forts trĂšs attendus, dont les dates ne sont pas encore malheureusement dĂ©finies. Parmi les leçons probantes de cette pĂ©riode, les Masterclass en ligne ont remportĂ© un vrai succĂšs.

Anglais, Simon Baker nous expose Ă©galement les consĂ©quences du Brexit sur le monde de l’art.

En Ă©coute : FOMO_Podcast 🎧

Texte de l’interview :

Lancement « fantĂŽme » de cette saison 2 alors que les musĂ©es ne peuvent rouvrir, quel est votre Ă©tat d’esprit ?

J’avais anticipĂ© au vu de la non diminution du seuil de 5000 cas/jours annoncĂ© par le PrĂ©sident Macron que la rĂ©ouverture serait difficilement envisageable dĂšs la mi-dĂ©cembre. MĂȘme si j’étais trĂšs enthousiaste Ă  l’idĂ©e d’envisager une rĂ©ouverture, je ne trouvais pas cela rĂ©aliste en cette pĂ©riode mĂȘme si nous Ă©tions prĂȘts Ă  accueillir le public. N’étant pas optimiste cela n’a dont pas Ă©tĂ© vĂ©ritablement une dĂ©ception pour moi, mĂȘme si j’ai constatĂ© qu’autour de moi, pour mes collĂšgues et mon Ă©quipe toutes ces questions d’ouverture ou non, de reconfinement…commençaient Ă  peser sur le moral. Ce deuxiĂšme confinement a Ă©tĂ© plus dur car on ne perçoit pas de solution possible Ă  part la stratĂ©gie du Stop and go jusqu’à un vaccin, ce qui est assez dĂ©primant Ă  la longue.

Retour sur la genĂšse de ce projet inĂ©dit Moriyama-Tomatsu dont vous ĂȘtes le commissaire 

Lors d’un sĂ©jour Ă  Tokyo il y a quelques annĂ©es j’ai posĂ© la question Ă  Daido Moriyama avec qui je travaillais depuis un moment, de savoir s’il avait encore une envie non rĂ©alisĂ©e Ă  l’ñge de 91 ans et il m’a rĂ©pondu qu’il avait commencĂ© un projet d’exposition commune avec Tomatsu alors encore en vie en 2010, sur la ville de Tokyo, malheureusement inachevĂ©. Il m’a alors proposĂ© de rĂ©aliser Ă  la MEP cette exposition mythique, ce que j’ai tout de suite acceptĂ©. Son respect et admiration pour Tomatsu Ă©taient immenses et il a saisi cette opportunitĂ© comme un hommage. Il m’a alors accompagnĂ© avec son galeriste Ă  Tokyo et au fil de ses Ă©changes avec la veuve de Tomatsu, conçu sa propre scĂ©nographie et s’est beaucoup investi personnellement. C’est une vraie chance pour nous car Moriyama a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© exposĂ© Ă  Paris plusieurs fois ce qui n’a jamais Ă©tĂ© le cas pour Tomatsu dont il nous propose une entrĂ©e dans son univers autour de ce qui les rapproche.

Accent mis sur l’émergence Ă  travers le Studio et l’exposition actuelle et prochaine, en quoi est-ce une dimension importante Ă  vos yeux d’un medium ouvert et Ă©largi Ă  d’autres pratiques ?

J’ai lancĂ© le Studio en mars 2019 autour d’expositions d’artistes Ă©mergents toujours en lien avec la programmation gĂ©nĂ©rale et dans une approche pluridisciplinaire. Si l’on songe Ă  des artistes comme Erwin Wurm ou Daido Moriyama et leurs tentatives de sortir de la photographie par le biais de la sculpture, de la sĂ©rigraphie
, dans une perception historique dĂ©jĂ  trĂšs prĂ©sente, aujourd’hui les artistes n‘ont pas les mĂȘmes (how do you say ?) barriĂšres, catĂ©gories entre les mediums. Les artistes se revendiquent d’abord comme artistes plutĂŽt que photographes, peintres, danseurs,.. Ils utilisent les mediums dans une grande libertĂ© et pluridisciplinaritĂ©, ce qui Ă  mon avis est l’avenir, mĂȘme si la photographie reste la base et la vocation de la Mep. Les artistes ont de plus en plus besoin de sortir de leur zone de confort, « confort zone » comme on dit en anglais, et nous devons reflĂ©ter cette tendance. Les deux expositions du Studio en sont le parfait exemple. Le premier est une vidĂ©o de SmaĂŻl KanoutĂ©, artiste mais aussi chorĂ©graphe, danseur, cinĂ©aste, photographe, qui renouvelle tous les codes d’expression et l’exposition suivante dĂ©diĂ©e Ă  Mari  Katayma Ă  la fois styliste, danseuse, sculptrice, performeuse, pratiques dont elle se nourrit pour arriver Ă  ses photographies. On ne peut donc limiter son travail Ă  de la photographie. C’est vraiment un constat que l’on fait face aux artistes de cette gĂ©nĂ©ration, (Ă  partir des annĂ©es Thatcher), de moins en moins susceptibles d’exposer uniquement de la photographie. J’ai vu d’ailleurs il y a quelques jours une annonce autour du photographe RaphaĂ«l Dallaporta que j’apprĂ©cie beaucoup dont l’Ɠuvre proposĂ©e est une conversation avec lui (Photo Days), plus comme le ferait Marina Abramovitch que Josef Koudelka ! Les limites ont Ă©tĂ© Ă©normĂ©ment repoussĂ©es.

En ce qui concerne la programmation, comment allez-vous vous organiser en ce qui concerne notamment Zanele Muholi dans le cadre de la saison Africa2020 ?

L’exposition est une itinĂ©rance et actuellement proposĂ©e Ă  la Tate Modern mĂȘme si cette derniĂšre est actuellement fermĂ©e. Paris est l’une des Ă©tapes de cet ambitieux projet dans une annĂ©e qui a rendu trĂšs difficile sa rĂ©alisation. Nous sommes Ă  chaque confinement obligĂ©s de renĂ©gocier les dates et rĂ©organiser chaque programmation
 Faire, dĂ©faire et refaire sans cesse. Mais pour l’instant notre saison de Tokyo se prolonge jusqu’au 21 mai, ce qui nous l’espĂ©rons donnera assez de latitude pour pouvoir rester flexibles en cas de nouveau confinement et arriver Ă  l’exposition de Zanele Muholi en juin comme prĂ©vu.

La MEP vient d’acquĂ©rir un ensemble important d’Irving Penn

La MEP avait dĂ©jĂ  un lien trĂšs fort avec le photographe tout au long de sa vie et il a Ă©tĂ© exposĂ© Ă  plusieurs reprises et nous possĂ©dons l’une des plus importantes collections publiques en Europe. Quand j’ai acceptĂ© cette mission Ă  la MEP, trĂšs vite aprĂšs Tom Penn m’a contactĂ© pour m’exposer son rĂȘve d’un fonds Penn Ă  la MEP comme une mini rĂ©trospective et des prĂȘts hors les murs, ce qui avait du sens selon lui Ă©tant donnĂ© la collection dĂ©jĂ  existante. Nous avons alors commencĂ© nos Ă©changes et regardĂ© la liste ensemble Ă  partir de ce qu’ils avaient dans leur fondation. Nous sommes arrivĂ©s Ă  ce que l’on appelle une « charity sale Â» c’est-Ă -dire que la MEP n’a payĂ© qu’un petit pourcentage de la valeur des tirages et nous avons lancĂ© une campagne de fundraising avec nos mĂ©cĂšnes, une fondation suisse et le soutien de la ville de Paris pour arriver Ă  une centaine de tirages reprĂ©sentant chaque pĂ©riode de son travail : couleur, noir et blanc, argentique.. L’idĂ©e est donc de pourvoir proposer une itinĂ©rance ailleurs.

Paris Photo annulé, reports en cascade.. le tribut à payer de cette crise par le monde de la photographie est trÚs lourd, quelles solutions pourraient se dessiner selon vous ?

Lors du premier confinement nous avons Ă©tĂ© trĂšs prĂ©sents sur les rĂ©seaux sociaux avec des activitĂ©s pĂ©dagogiques pour les familles et le jeune public et aussi d’autres publics avec une offre qui doit Ă©voluer Ă  prĂ©sent car lors de ce 2Ăšme confinement les gens ne sont pas restĂ©s confinĂ©s tout le temps Ă  la maison. Nous avons tout de mĂȘme maintenus nos propositions avec par exemple les Masterclass en ligne qui ont remportĂ© un vrai succĂšs avec 250 Ă©lĂšves Ă  chaque session. Nous avons invitĂ© les artistes Ă  s’exprimer en rĂ©tribuant leurs interventions et nous avons aussi lancĂ© des performances et commandes spĂ©ciales pour les soutenir pendant cette pĂ©riode. Il Ă©tait important en plus d’offrir des contenus en ligne Ă©toffĂ©s Ă  nos abonnĂ©s, de manifester une solidaritĂ© vis-Ă -vis des photographes et artistes.

L’Angleterre s’apprĂȘte à entrer dans le vif du Brexit, quelles consĂ©quences sont Ă  attendre selon vous en ce qui concerne le monde de l’art et la vie des gens ?

Il est encore difficile de connaitre le dĂ©tail car les anglais ont peu communiquĂ© dessus mais Ă  un niveau professionnel nous savons dĂ©jĂ  bien faire la diffĂ©rence entre envoyer des Ɠuvres Ă  l’intĂ©rieur de l’Union EuropĂ©enne et Ă  l’extĂ©rieur. Par exemple quand on fait un transport du Japon en France les entreprises connaissent les modalitĂ©s. Les questions de transport, TVA et taxes vont Ă  mon avis ĂȘtre rĂ©glĂ©es assez vite mĂȘme s’il reste un grand risque d’attente aux frontiĂšres comme dans le Kent, rĂ©gion dont je suis originaire qui va ĂȘtre totalement envahie par les camions aprĂšs leur traversĂ©e de la Manche.

Il faudra juste que l’on se donne plus de temps pour les transports et le traitement des documents officiels. C’est comme pendant le COVID quand tous les vols ont Ă©tĂ© annulĂ©s et qu’il est devenu compliquĂ© de faire venir les Ɠuvres de l’étranger, nous avons dĂ» nous adapter face Ă  des crĂ©neaux qui Ă©taient beaucoup moins prĂ©cis.

Personnellement je suis assez rassurĂ© car le gouvernement français a Ă©tabli un permis de rĂ©sidence trĂšs facile Ă  remplir, et heureusement car sinon cela deviendrait impossible si l’on compare Ă  l’attitude agressive des anglais vis-Ă -vis des Ă©trangers dans leur pays. Ce qui va sans doute ĂȘtre plus compliquĂ© sont les courts sĂ©jours et week-ends avec l’Angleterre. Les allers et retours vont ĂȘtre plus chronophages.

En ce qui concerne des foires comme Frieze je ne suis pas sĂ»r que les europĂ©ens soient le plus grand marchĂ© face aux amĂ©ricains, russes, chinois ou amĂ©ricains du sud. Beaucoup d’europĂ©ens ont obtenu un permis de sĂ©jour Ă  Londres donc je ne sais pas si cela va ĂȘtre si compliquĂ©. Pour ce qui est de Paris malheureusement et ma copine qui travaille dans la mode le sait, les clients chinois qui forment 80% du secteur, peuvent changer leurs habitudes et dĂ©cider de ne plus faire leur dĂ©placement annuel Ă  Paris qu’ils adorent : prendre un palace, dĂźner au Crillon
 avec cette vision rĂȘvĂ©e de la capitale qui peut rapidement ĂȘtre concurrencĂ©e par d’autres villes comme Shangai.

Le Covid a en fait crĂ©Ă© de nouvelles habitues et les gens vont beaucoup moins se dĂ©placer et voyager, ce qui va avoir de nombreuses incidences Ă©conomiques mondiales et pas uniquement dans l’art.

Infos pratiques :

Moriyama-Tomatsu : Tokyo

Smaïl Kanouté (Studio)

Réouverture le 7 janvier (sous réserve)

Maison Européenne de la Photographie (mep-fr.org)