© Guillaume Theulière
L’exposition « Par Hasard »organisée par la Ville de Marseille et la Rmn-Grand Palais, se tient en deux volets, à la Vieille Charité et à la Friche Belle de Mai. Guillaume Theulière, conservateur au musée Cantini et commissaire pose la question de l’aléa et de la sérendipité dans le processus créatif. Comment les artistes s’en emparent-ils et cherchent-ils à le maitriser ? Dans un parcours chronologique le premier volet de Victor Hugo à François Morellet (1850-1980) passe en revue les lois du hasard dans l’avènement de la modernité avec en point d’orgue dans la chapelle un dialogue inédit entre Robert Filliou et Gerhard Richter. Un coup de dés cher à Mallarmé qui est relancé à la Friche autour d’artistes contemporains dans un parcours en 12 sections : Dés/Ordre/Désordre/Empreintes/Brisures/Brûlures/Eau/Moisissure/Rencontre/Poussière/Jeu/Musique. Plusieurs œuvres ont été réalisées pour l’occasion avec le soutien de fraeme. Des interactions d’une grande sensibilité et cohérence. Le catalogue (édition Rmn) prolonge et reprend ces parti pris.
Guillaume Theulière a répondu à nos questions.
- Selon vous le hasard existe-t-il en art ?
C’est une question que je me suis posée à maintes reprises et y répondre rejoint la question de savoir si Dieu existe ou pas. Je ne pense pas que le hasard existe en art. Même si Jacques Monod dans l’ouvrage « le hasard ou la nécessité » explique qu’il est à la base de tout et même de la biologique moléculaire, en art c’est un sujet différent car il s’immisce dans le processus créatif, le hasard apparaissant comme un compagnon heureux aux côtés de l’artiste. C’est ce que j’ai cherché à illustrer à travers une chronologique qui va de 1850 à aujourd’hui. L’artiste va tenter de dompter le hasard et pour paraphraser Duchamp et son « hasard en conserve », on va essayer de conserver le hasard. Car dès lors que l’artiste a décidé de le circonscrire dans un format (pictural, sculptural, vidéo, dessiné) il est de ce fait aboli, il me semble. Et comme le résume Mallarmé qui pourtant peut paraitre comme le grand représentant de cette thématique, le hasard n’existe pas en art. Pollock le dit aussi à travers son travail où il n’y a pas d’accident car tout est maitrisé, contrôlé.
Précisons qu’il existe différents types de hasard dans l’exposition, d’une part un hasard accidentel avec l’idée de la tache, de la giclure, de la coulure, de l’automatisme, cher aux surréalistes. D’autre part, un hasard plus protocolaire dans une dimension plus contemporaine bien qu’amorcée par Duchamp avec ses stoppages étalons, qui consiste à créer un protocole pour conditionner de manière mathématique et aléatoire les formes du hasard, ce qui nous amène à François Morellet ou Gerhard Richter qui va utiliser un logiciel informatique pour répartir aléatoirement ses couleurs sur son immense tableau montré à la Chapelle.
2. Vos axes de recherche et parti pris scénographiques entre les deux lieux ?
Xavier Rey
avait amorcé un projet quand il était conservateur au Musée d’Orsay avec
l’exposition « Degas et le Nu » s’intĂ©ressant particulièrement Ă la
technique des monotypes et Ă©galement lorsqu’il travaillait au Centre Pompidou
sur l’exposition « Dada » et en parallèle sur par un heureux
hasard qui nous a fait nous rencontrer, j’avais lors de mes études à l’Ecole du
Louvre, réalisé un mémoire sur les sculptures involontaires de Brassaï et
Salvador Dali, démarche commune à tous les deux. Ces petits déchets qu’ils
récupèrent comme des tickets de métro roulés au fond d’une poche, des artefacts
que Brassaï photographie en gros plan, qui fascinent Dali et seront publiées
dans la revue surréaliste Minotaure
en 1933. J’ai élargi mes recherches passant de sculptures involontaires à l’art
involontaire car si je pense que le hasard n’existe pas en art, il existe une
forme d’art involontaire que l’artiste va être à même de capturer à travers la
photographie comme chez Man Ray ou Brassaï, très présents dans le parcours.
Cela rejoint aussi Gilles Clément et son « Traité succint de l’art
involontaire », qui recense toutes ces formes que l’on trouve dans la
nature, des détritus placés de manière
aléatoire mais à qui l’artiste ou le regardeur va donner une magnificence.
Xavier Rey m’a alors confié ce commissariat que j’ai pu réaliser avec l’appui
de l’historienne de l’art Léa Salvador.
Notre règle du jeu était de s’appuyer sur une vraie rigueur chronologique en tous cas pour la Vieille Charité. A chaque technique développée devait correspondre une date majeure dans l’histoire de l’art.
3. L’œuvre d’Adrien Vescovi produite par Fræme  est présente sur les 2 lieux, au seuil de la Vieille Charité et dans le hall du 4ème étage de la Friche sous les fac-similés du poème de Mallarmé, en quoi cette commande est-elle emblématique de votre démarche ?
Tout a commencé lorsque j’ai découvert le travail d’Adrien Vescovi à Marseille chez Jogging dans un lieu alors atypique, ces grandes toiles tendues teintées naturellement dans des décoctions d’eau et de pigments naturels. J’ai eu ensuite l’occasion grâce à Véronique Collard Bovy directrice de Fræme  et Jérôme Pantalacci directeur d’Art-O-Rama, de visiter son atelier, point de départ de ma décision de le présenter à la Vieille Charité, plus adaptée à la dimension de ses oeuvres. La Charité devenait l’écrin idéal et à la suite d’un échange avec l’artiste, il m’a proposé de présenter cette grande œuvre qu’il intitule « Paysage aléatoire » en extérieur entre la colonnade de la chapelle. L’œuvre réalisée à partir de chutes de tissus de ses anciens travaux réunis pour créer des sortes de paysages flottants dans l’espace, capte ainsi les aléas naturels, la pluie, le vent dans un dialogue avec ces couleurs naturelles qu’il glane dans la région, (ocre de Roussillon notamment) ou lors de voyages (épices). Au préalable, tous ces tissus sont enfermés dans des bocaux pendant une certaine période pour être imprégnés de toute cette alchimie. Comme en écho cette œuvre en gestation contrairement à celle de la Chapelle, est montrée à l’entrée de l’exposition de la Friche. De plus Adrien Vescovi est actuellement visible au Palais de Tokyo dans l’exposition « Futur, ancien, fugitif ».
4. A la Friche les séquences déployées en 12 thématiques jouent sur la notion de sérendipité, quels critères de choix avez-vous retenu pour les artistes sélectionnés ?
Il y avait dĂ©jĂ beaucoup d’œuvres dans les collections des musĂ©es de Marseille au Frac, au Fonds communal, le FCAC, au Mac, Cirva, nos collections s’inscrivant Ă©tonnement dans une sorte de fil conducteur autour cette thĂ©matique. On se demande aussi si la prĂ©sence de CĂ©sar n’aurait pas eu son influence dans l’imaginaire artistique marseillais. Ensuite quand Xavier Rey m’a proposĂ© la Friche je ne pouvais pas concevoir ce projet sans songer Ă des commandes mĂŞme si cela peut paraitre paradoxal. Nous avons alors mis l’accent sur 5 artistes dont l’atelier est Ă Marseille comme Adrien Vescovi, dĂ©jĂ citĂ© mais Ă©galement Gillian Brett qui rĂ©cupère des Ă©crans cassĂ©s Ă l’intĂ©rieur desquels elle insĂ©rer des photos de satellites Hubbles, Delphine Wibaux qui crĂ©Ă© une technique d’impression photographique sur pierres, un travail saisissant, Robin Decourcy qui a proposĂ© une performance de 3 jours en marge du vernissage au cours de laquelle il a dĂ©truit et reconstruit son Ĺ“uvre son direct pour la vendre Ă des institutions sans en connaitre le rĂ©sultat et Virginie Sana qui conçoit des cubes blancs de manière systĂ©matique et sĂ©rielle mais dont elle retient l’alĂ©a des aspĂ©ritĂ©s du moule en bois servant Ă les rĂ©aliser et qui s’interrompt en cas de rupture de celui ci. Outre ces artistes Ă©mergents invitĂ©s, d’autres plus confirmĂ©s ont leur atelier Ă la Friche comme Gilles Barbier très influencĂ© par le roman de Luke Rhinehart, L’homme DĂ©s, qui va innerver l’ensemble de son Ĺ“uvre. Egalement Etienne Rey dont l’œuvre très technologique en lien avec les artistes de l’Op Art est une vague d’eau alĂ©atoire placĂ©e dans un aquarium articulĂ©, assez fascinante ou Anne ValĂ©rie Gasc Ă©galement prĂ©sente Ă Marseille qui a travaillĂ© avec un logiciel informatique pour dessiner des formes alĂ©atoires que des souffleurs de verre ont ensuite rĂ©alisĂ©. Une Ĺ“uvre qui me tient Ă cĹ“ur Ă©galement est celle de Jennifer Douzenel artiste que j’ai dĂ©couvert lors d’une exposition au Centre Pompidou Metz « Peindre la Nuit » qui revendique volontiers cette notion de sĂ©rendipitĂ©, de dĂ©couverte heureuse. Sa vidĂ©o prise lors d’un voyage au Japon lorsqu’elle essaie de filmer le Mont Fudji et son reflet sur des lacs, projet empĂŞchĂ© pour cause de mĂ©tĂ©o. Elle dĂ©couvre alors une patinoire en train de fondre sur laquelle le temps d’un court instant (3.33 mn) se pose le reflet du Mont Fudji. Comme un tableau vivant et muet avec une rĂ©fĂ©rence Ă HokusaĂŻ.
Nous avons pu aussi obtenir des prêts décisifs de collectionneurs privés à Marseille tels Marc et Josée Gensollen avec l’artiste mexicain Gabriel Orozco internationalement reconnu, exposé au Centre Pompidou et au MoMa de New York et l’œuvre « Piedra que cede » cette sphère en plastine à forte valeur performative avec laquelle il a parcouru les rues de Mexico, de New York, une autre forme de sculpture involontaire.
Sophie Calle enfin, artiste qui nous tient à cœur avec Xavier Rey, l’ayant invité l’année dernière pour un parcours inédit dans 5 musées de la Ville de Marseille et qui montre sa première œuvre « la suite Vénitienne » où elle agit comme un détective privé dans une filature d’un inconnu qui l’emmène à Venise.
5. Le catalogue qui prolonge les expositions se veut une traduction graphique de la sérendipité en quoi est-il partie prenante de votre démarche ?
Le catalogue autant que l’exposition travaille comme Duchamp à mettre le hasard en conserve.
Une cinquantaine de techniques sont Ă©voquĂ©es, de la tache de Victor Hugo, aux dentrites de Georges Sand, en passant par les trouvailles dadaistes (Duchamp, Man Ray), les cadavres exquis des surrĂ©alistes qui sont majeurs avec des techniques comme la dĂ©calcomanie, les frottages de Ernst, les papiers dĂ©chirĂ©s de Arp… Comme le dĂ©roulĂ© d’un dĂ© qui ouvrerait le champ des possibles. De plus, chaque partie est illustrĂ©e de citations d’artistes.
Comme le dit ThĂ©ophile Gaultier, dernière phrase que l’on met en exergue dans le catalogue : « Le hasard, c’est peut-ĂŞtre le pseudonyme de Dieu quand il ne veut pas signer». Ce qui rejoint votre première question, croire au hasard ou pas comme croire en Dieu. Une notion divinatoire capitale quand après la mort de Dieu annoncĂ©e par Nietzsche il a fallu pour les artistes rappeler leur rĂ´le dĂ©miurgique, sans autre sujet iconographique particulier Ă prĂ©senter au public que le hasard. Il y a un vrai basculement intellectuel dès ce moment qui se retrouve de manière assez flagrante et nihiliste Ă travers toutes ces Ĺ“uvres prĂ©sentĂ©es dans le parcours.
En écoute : 🎧
Volet 1 avec : Victor Hugo, Edgar Degas, André Breton, Man Ray, Niki de St Phalle, Jacques Villéglé, César, Arman, Spoerri..
Volet 2 avec : Dove Allouche, Arman, John Baldessarri, Davide Balula, Gilles Barbier, Isa Barbier, Michel Blazy, Jeremie Bennequin, Lieven de Boeck, Eric Bourret, Marie Bovo, Gillian Brett, Sophie Calle, Claude Closky, Philip Corner, Robin Decourcy, Jeremy Demester, Jennifer Douzenel, Mimosa Echard, Esther Ferrer, Alain Fleischer, Julie Fortier, Anne-Valerie Gasc, Gottfried Honegger, Christian Jaccard, Tom Johnson, Jerome Joy, Paul Kneale, Jiri Kovanda, Tetsumui Kudo, Perrine Lacroix, Sol LeWitt, Mourad Messoubeur, Duane Michals, Gabriel Orozco, Bernard Plossu, Etienne Rey, Evariste Richer, Dieter Roth, Vivien Roubaud, Jean-Claude Ruggirello, Linda Sanchez, Virginie Sanna, Mathieu Schmitt, Franck Scurti, Yann Serandour, Roman Signer, Timothee Talard, Cedric Teisseire, Adrien Vescovi, Claude Viallat, Delphine Wibaux.
Infos pratiques :
Jusqu’au 23 février 2010
La Vieille Charité :
https://vieille-charite-marseille.com
La Friche :
Du mercredi au vendredi de 14h Ă 19h
Samedi et dimanche de 13h Ă 19h
Fermé lundi et mardi
Plein : 5€
Réduit : 3€