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Manifesta 13 Marseille, Interview (bilingue) exclusive avec Hedwig Fijen

Hedwig Fijen, fondatrice et directrice de Manifesta

Alors que la liste d’annulation de foires ou d’évènements s’allonge, Manifesta maintient sa 13ème édition à Marseille entre le 28 août et le 29 novembre. Revendiquant 75% de projets issus de la sphère locale, son programme central d’expositions Traits d’union.s entend : « forger de nouvelles alliances, pratiquer de nouvelles formes de vivre-ensemble en travaillant avec, au sein et au travers d’institutions déjà existantes à Marseille ». Un acte de résistance comme le résume Hedwig Fijen historienne de l’art néerlandaise, fondatrice de Manifesta, qui n’écarte pas non plus réfléchir à un ancrage plus durable après des décennies de nomadisme et d’expansionnisme mondial des foires et des biennales de l’art. Un paradoxe dont elle nous expose les enjeux et les défis.

Manifesta vient de confirmer sa 13 ème édition à Marseille décalée à fin août, quels arbitrages vont ont permis de prendre une telle décision ?
Nous venons en effet d’annoncer la confirmation de Manifesta 13 Marseille cette année, entre le 28 août et le 29 novembre 2020, étant la seule biennale qui aura lieu à l’automne 2020. Avant d’arriver à cette décision nous avons élaboré différents scénario pour ou contre. Pour arriver à l’idée de maintenir Manifesta en 2020, nous avons dû sortir des formats traditionnels de vernissages et d’évènements. Dès lors plutôt qu’une grande ouverture avec toutes les expositions au même moment, les trois composantes de Manifesta : l’exposition centrale Traits d’union.s, son programme d’éducation et de médiation, Le Tiers Programme et Les Parallèles du Sud, se dérouleront successivement en plusieurs chapitres et évènements du 28 août au 29 novembre 2020. C’est la solution la plus intéressante face à tous nos obstacles, offrant toute la flexibilité nécessaire à chacun des projets et participants. Nous avons de la chance car la plupart des artistes ont pu arriver à Marseille avant le confinement et commencer leur production, de sorte que le contenu du programme ne va être soumis à des changements. En outre, nous travaillons à un accueil plus intime en repensant le format des visites guidées par exemple, à l’Espace Manifesta 13 mais aussi au Tiers QG, espace d’éducation et de médiation qui montre une série d’expositions et d’évènements, comme le projet des « Archives Invisibles ». Pour chaque projet, nous espérons trouver une solution adaptée et sûre, acceptable pour les artistes et les autres participants dans le respect bien sûr des mesures de sécurité recommandées par l’ICOM, les Musées de France, et en étroite collaboration avec notre partenaire les Musées de la Ville de Marseille, et l’aide précieuse de son directeur Xavier Rey ainsi que son conservateur en chef de l’art contemporain Thierry Ollat, qui ont nous a guidés très précisément sur ce que nous pouvions faire ou pas.

Tuan Andrew Nguyen, The specter of ancestors becoming, 2019

Quel type de public attendez-vous cette année et selon quelles estimations ?
Chaque édition de Manifesta est principalement axée sur les publics locaux et régionaux, qui représentent 70 à 80 % de nos visiteurs. Mais nous nous concentrons à présent encore plus sur le public national, régional et local, sachant que nous pourrons moins compter sur les visiteurs internationaux. En l’état actuel des choses, il est absolument impossible de faire des projections sur l’état de la mobilité internationale à l’heure actuelle et pour les mois à venir, personne n’est en mesure de déterminer si certains membres de notre communauté internationale venant du monde entier et plus spécifiquement d’Europe seront autorisés à voyager bientôt. Nous devons également voir si les gens seront impatients de sortir à la fin de l’été. Honnêtement, c’est une expérience inédite pour tout le monde. Les musées qui ouvrent cet été par exemple, auront-ils beaucoup de visiteurs ? Nous en tirerons les enseignements nécessaires.


Calla Henkel & Max Pitegoff, Paradise extract from the film

Face à l’explosion du nombre de Biennales dans le monde, de quelle manière Manifesta revendique-t-elle un modèle alternatif de coresponsabilité ? (Favoriser l’existant d’un territoire plutôt que de favoriser des productions coûteuses)
Manifesta a toujours été une organisation nomade qui demande l’asile tous les deux ans et doit s’adapter aux besoins de chaque ville hôte. En termes d’enjeux culturels et sociétaux, il s’agit surtout de renforcer les infrastructures culturelles existantes et d’utiliser la ville comme une loupe pour regarder un monde en grand. Je pense que notre modèle peut s’adapter à cette situation actuelle d’incertitude constante, car nous sont sans doute plus habitués à la flexibilité que cela exige.
Nous sommes tous conscients, dans le monde de l’art, que cet expansionnisme mondial des foires, des biennales et les événements prolongés tout au long de l’année dans une économie fonctionnant 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, jouent un rôle considérable dans la destruction totale de notre planète causée par le modèle de consommation de l’art mondial mais aussi notre dépendance à l’énergie fossile. Les urgences qui menacent le monde tel que nous le connaissons – de l’utopie déclinante de la modernité du XXe siècle à la fin de la stabilité climatique de l’Holocène – nous ont depuis lors incités à repenser et remodeler nos vies, nos marchés, nos économies, nos rêves et nos réalités, y compris le concept et le modèle d’une biennale nomade.

Notre réponse sera de chercher un modèle alternatif et de repenser l’existence de Manifesta et consacrer nos ressources et notre temps, peut-être de nouvelles formes de solidarité, des formes étendues de prise en charge de l’autre dans un cadre plus local, renforcer les infrastructures culturelles existantes plus intimes, créer différentes formes de projets sociaux et éducatifs et de projets à long terme ayant un impact de proximité, au lieu de quêtes lointaines de succès mondialisés, qui peuvent encore se concentrer sur la production et la co-création de nouvelles formes et pratiques artistiques émergentes et réfléchissent à la manière de se concentrer peut-être sur plus de nouvelles formes de coexistence dans les villes d’accueil, en créant des alliances durables au lieu d’ expositions temporaires, en se détournant encore plus des marchés et en renforçant le public existant des institutions qui ont été démantelées en faveur d’entreprises privées.

Il y a un besoin général de ralentir, et de rechercher le co-financement de liens de solidarité tournés vers des fondements régionaux permanents de valeur artistique et sociale. Nous sommes déjà en train de retravailler le modèle de notre biennale en relation avec le prochain projet M14 à Pristina où nous espérons réduire notre empreinte carbone, développer la solidarité, devenir moins spectaculaires, produire davantage de changements et d’alliances à long terme entre les institutions du Kosovo et le reste de l’Europe. , au lieu de développer une série d’expositions ponctuelles, sans aucune trace pour le public local, renforcer les possibles, soulever des questions sur des histoires inédites, et donc se concentrer davantage ce qui y est productif en créant des alliances
durables tant dans le domaine des arts, de l’architecture que du patrimoine.

Sara Sadik, Lysopaines, 2019 ©Sara Sadik

Manifesta se base sur l’existant à Marseille, comment cela va-t-il se traduire ?
Une chose que nous avons réalisée avec nos précédentes éditions, notamment avec Manifesta 12 à Palerme, est l’importance de renforcer la potentialité locale. Plutôt que d’organiser des expositions pour les visiteurs internationaux, Manifesta s’est progressivement orientée vers le soutien d’ initiatives locales existantes en faveur de processus de transformation urbaine et sociale. Cela permet de contribuer à l’amélioration des infrastructures culturelles de la ville hôte, contribuant ainsi de manière substantielle au développement d’un héritage plus durable. C’est pourquoi Manifesta 13 Marseille a donné le coup d’envoi en 2018 avec Le Grand Puzzle, une étude urbaine que nous avons commandée au studio néerlandais MVDRV dirigée par l’architecte urbaniste Winy Maas qui a ensuite laissé place à une série de « projets citoyens », ,des assemblées appelées « Le Tour de Tous les Possibles », où les Marseillais se rassemblent autour d’un objectif commun : imaginer de nouvelles possibilités pour Marseille, inventer le futur de la ville à travers des sujets et des analyses directement tirés de l’étude : l’accessibilité, l’authenticité, la collectivité, l’intégration, la propreté, l’innovation. Une publication doit sortir au moment du coup d’envoi en août 2020, où nous espérons faire ce que l’on appelle un « moment miroir », un cadeau à la ville de Marseille dans le cadre de ces assemblées de citoyens, invitant les citoyens à devenir, en toute discrétion, les décideurs de l’avenir de leur ville.

Yalda Afsah, Tourneur 2018 extract from the film 

Deux des trois composantes de Manifesta 13 Marseille ont déjà une l’approche locale, Le Tiers programme, le programme Education et Médiation et son espace Le Tiers QG qui travaille depuis plus de 2 ans à la révélation des histoires non dites de Marseille et de ses habitants à travers le projet des Archives invisibles, consistant en une série d’expositions et d’événements qui rassemblent à la fois des artistes et des associations locales. Les événements parallèles Les Parallèles du Sud présenteront des projets co-créés entre des parties prenantes locales et internationales avec un total d’une centaine d’événements se déroulant tout au long de la biennale et soutenus par la région Sud.

Comment imaginez-vous le monde d’après ?
Avec la treizième édition de Manifesta 13 qui se tiendra cet été à Marseille, le prochain 25 ème anniversaire de Manifesta en 2021 et les premières activités de Manifesta 14 à Pristina qui viennent de commencer, nous sommes très conscients que cette crise sanitaire actuelle, suivie d’une crise économique inéluctable, crée la bonne dynamique et peut-être même les circonstances idéales pour Manifesta, de se réinventer, de revoir son modèle nomade, son ambition de créer une trace, ses stratégies épuisantes, sa structure rigide tous les deux ans dans une nouvelle ville et son mode de gouvernance lié à des alliances avec le tissus urbain investi. En tant que Biennale itinérante à la recherche de villes d’accueil tous les 2 ans, Manifesta pourrait perdre l’opportunité de trouver un
ancrage plus durable. Toutefois, nous sommes déterminés à faire de Manifesta une organisation qui incarne pleinement une nouvelle forme de solidarité dans tous ses aspects, professionnel, géographique, économique et social.

L’équipe artistique de Manifesta est constituée de : Katerina Chuchalina, conservatrice en chef de la Fondation V-A-C à Moscou, Stefan Kalmár directeur de l’ICA à Londres et Alya Sebti, directrice de l’ifa gallery à Berlin.

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www.manifesta13.org

Version anglaise de l’interview à suivre.