Tom Wesselmann Great American Nude nr 45,1963 Collection S.M.A.K.-Flemish Community Acquired from the Matthys-Colle Collection Foto: Vincent Everarts
J’avais interviewé Philippe Van Cauteren en 2018 à l’occasion des expositions des artistes belge Raoul De Keyser, chinois Zang Peili, d’un focus d’œuvres vidéo de la collection et du Cabinet Brodthaers. Il m’avait offert ses Letters to artists, dialogue ininterrompu avec celles et ceux qui l’inspirent de Jan Fabre, à Michael Borremans, Lili Dujourie, Ann Veronica Janssens, Thomas Ruff, Honoré d’O, Guillaume Bijl… mais aussi Frieda et Rudy Joseph (collectionneurs), Daniel Templon ou Jan Hoet (fondateur du SMAK). Curateur du Pavillon irakien de la Biennale de Venise en 2015, Commissaire de la première Triennale de Katmandou, Philippe Van Cauteren revendique un musée inscrit dans une ville à taille humaine comme Gand mais au cœur d’un monde multipolaire et d’un engagement sur le long terme vis-à-vis de certains enjeux comme le sujet des migrants qu’il avait souligné avant les crises que l’on connait. Il défend un programme d’expositions en dialogue avec la collection comme actuellement autour de la collection de Roger Matthys, qui pose les bases avec sa femme Hilde Colle, du futur S.M.A.K. Une histoire partagée dont témoigne l’exposition « POP ART. De Warhol à Panamarenko » conjointement à l’entrée dans les collections d’une quarantaine d’œuvres majeures du couple. Cette collaboration privé-public très positive à ses yeux, s’inscrit également dans les enjeux du futur bâtiment du musée, véritable catalyseur des ambitions de Gand comme Capitale Européenne de la Culture en 2030. Après des années de mobilisation, le concours d’architecture internationale pourra être lancé au premier semestre de 2023, l’enjeu principal étant de pouvoir offrir au public l’ensemble de cette collection unique en Belgique et de façon permanente. Une mission que défend depuis plusieurs années Philippe Van Cauteren au même titre que l’inscription de l’art dans la vie quotidienne, ce dont témoigne la carte blanche donnée aux jeunes, totalement inédite, autour de leur sélection et regard sur la collection. Il a répondu à mes questions.
Retour sur les liens historiques et l’histoire commune entre la collection du musée et la collection du couple Matthys-Colle
Ces liens se jouent à plusieurs niveaux. D’une part à un niveau personnel Roger Matthys que j’ai bien connu avait un point de vue très engagé vis-à-vis de l’art et un regard à la fois éclectique et analytique. Un exemple qui a inspiré de nombreuses générations de collectionneurs alors que le monde de l’art est devenu de plus en plus « life style ».
Deuxièmement Roger Matthys était l’un des membres fondateurs de l’association pour le musée d’art contemporain (V.M.H.K. en abrégé) qui regroupait des citoyens militant pour l’existence d’un musée d’art contemporain à Gand et qui ont commencé à faire l’acquisition d’œuvres internationales en réponse à la politique conservatrice du musée des Beaux-Arts. C’est en 1975 sous la présidence de Roger Matthys que le Museum voor Hedendaagse Kunst (M.H.K.) aujourd’hui le S.M.A.K. a été fondé. Il est donc à ce titre intimement lié à l’histoire du musée.
En ce qui concerne sa collection nous avons publié l’ouvrage intitulé la Collection et son Double, en hommage à l’œuvre de Daniel Buren, le Décor et son double qui fait partie de la collection et de l’ADN du S.M.A.K. (exposition hors les murs Chambre d’amis de Jean Hoet), alors même que la collection de Roger Matthys et Hilde Colle et celle du S.M.A.K. partagent de nombreuses autres correspondances. En réalité l’association des Amis du V.M.H.K. présidée par Roger Matthys a commencé à collectionner dès 1957 et avait comme membres pour la plupart des collectionneurs. Les démarches sont dans ce sens très complémentaires.
Un dernier élément si l’on se projette vers le futur, concerne la Communauté flamande qui pour la première fois a acheté une œuvre d’art majeure d’un artiste américain Tom Wesselmann, Great American Nude 45. Au cours des années suivantes, les collectionneurs et le musée vont acquérir des œuvres des mêmes artistes tels que Roy Lichtenstein, David Hockney, Bruce Nauman, Andy Warhol, Berline De Bruyckere.. autour d’une même capacité d’émerveillement et d’un art connecté à la vie quotidienne. Nous souhaitons par ce biais amorcer le chemin d’une possible collaboration entre le public et le privé, débarrassée de certaines crispassions. J’espère aussi que ce nouveau chapitre avec la Fondation Matthys-Colle agira comme une source d’inspiration pour d’autres collectionneurs en Belgique et ils sont nombreux.
Le Petit catalogue de la collection : les enjeux et le bilan
Ce projet éditorial au départ, a été pensé par des jeunes, dans leur langage, à partir de leurs choix parmi la collection. Lors de la pandémie nous avons décidé avec la Société des Amis de l’élargir à une véritable exposition. Mais ce qui est tout à fait remarquable est qu’aucune personne de l’équipe du SMAK, aucun commissaire extérieur n’est intervenu, toutes les décisions ayant été prises par des jeunes. Entre 400 et 500 jeunes, de 4 à 18 ans, ont fait le choix des œuvres, imaginé l’organisation du parcours, mené les entretiens et de la conférence de presse et s’occupent également de la médiation. Pendant toute la durée de l’exposition, 6 mois au total, toute cette partie du musée leur a été confiée. Cela a valeur de manifeste pour nous, au même titre que le projet Matthys-Colle autour du rôle du collectionneur privé dans le fonctionnement d’un musée. Ces jeunes générations sont notre futur public, futurs collaborateurs et peut-être même nos futurs collectionneurs. Ils doivent nous montrer le chemin. Cela a été une véritable expérience, comme un laboratoire impliquant pour nous des choses que nous n’avions pas l’habitude de déléguer en ce qui concerne les textes, l’accrochage, le parcours..
J’étais devenu soudain comme un visiteur dans mon propre musée et je dois dire que j’ai été surpris et séduit par l’intelligence, de temps à autre une certaine légèreté mais aussi par l’engagement de ces jeunes d’âges différents. Chaque salle a été confiée à un groupe d’une certaine tranche d’âge avec notamment la salle des petits entre 4 et 6 ans avec des œuvres volontairement installées plus près du sol. Nous avions comme défi de se demander ce que veut dire de vraiment prendre les jeunes au sérieux et c’est pourquoi et alors que d’habitude de tels projets sont relégués à la périphérie du musée, comme pour faire semblant, nous avons mis ce groupe de jeunes au cœur du dispositif sur presque 50 % de la surface d’exposition du S.M.A.K. Une initiative totalement inédite et unique en son genre dans le monde des musées. Par la suite nous pensons à renouveler l’expérience au regard de l’évaluation du projet qui va être menée avec eux et alors que nous sommes en train de réfléchir au nouveau bâtiment du musée.
Le « Musée et son double » : à quel horizon ?
Si tout va bien et pour rester optimistes, ce qui est ma philosophie, nous pourrons lancer le concours d’architecture au premier semestre 2023, Gand ayant l’ambition de devenir Capitale Culturelle Européenne en 2030, ce projet parmi d’autres, en sera l’un des éléments clés. Nous menons actuellement une étude de faisabilité afin d’évaluer nos besoins selon les coûts et le budget prévisionnel. C’est un projet qui me tient à cœur que je défends depuis un moment. Nous avons le soutien de la Ville et je sens que c’est un projet dont on ne questionne plus la nécessité, le projet Matthys-Colle étant un catalyseur de ce musée à construire. Actuellement tout ce que nous entreprenons est pensé dans la perspective de ce nouveau bâtiment.
Quelle est votre priorité en ce qui concerne ce futur musée ?
Le plus important est la collection, le S.M.A.K. ayant la plus grande collection publique d’art contemporain en Belgique dès la fin de la 2nde guerre mondiale avec des artistes internationaux majeurs du début. Or actuellement on ne peut la voir dans sa totalité mais par fragments au cours des expositions. Je suis convaincu de la nécessité de faire de la collection une donnée pérenne face à l’amnésie générale que nous connaissons, non seulement vis-à-vis de l’histoire de l’art mais de beaucoup de choses de notre société. Faire de la collection une base permanente en Belgique est essentielle et même si KANAL Pompidou va opérer certains changements, les musées Royaux n’ont pas de collection d’art moderne et contemporain, le WIELS non plus, c’est le cas également à Anvers avec une exception à Ostende. Cette collection qui réunit 500 œuvres parmi lesquelles des chefs d’œuvres de Cobra, de l’art conceptuel et minimal, du Pop Art… doit être le fer de lance de ce nouveau musée.
Deuxièmement, dans une ville comme Gand mais pas seulement, un musée d’art contemporain doit avoir la même place et importance qu’un palais de justice, qu’un centre commercial …et être perçu au centre de la vie quotidienne et de tout projet sociétal et éducatif.
Retrouver mon interview de Philippe Van Cauteren en 2018 : en écoute
Infos pratiques :
POP ART de Warhol à Panamarenko
Dans la collection Matthys-Colle et du S.M.A. K
Jusqu’au 31 mai 2022 (prolongation)
L’exposition Le Petit Catalogue de la Collection
Jusqu’au 24 avril (terminée)
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