vue de l’exposition « Ombre est lumière. Mémoire des lieux » Nicolas Daubanes. Le Panthéon, Centre des monuments nationaux photo Didier Plowy
C’est une histoire de surgissent et de sidération, de monumentalité et de miniaturisation, d’éternité et de transitoire, de fixité et de déplacement.
Nicolas Daubanes, dans le prolongement de ses recherches sur les hauts lieux de la mémoire nationale : Mémorial de Mont-Valérien, prison de Montluc, le camp de concentration de Natzweiler-Struthof, cristallise pour le Panthéon ces moments de bascule de l’histoire à travers de véritables reconstitutions à l’échelle 1/1 plaçant le spectateur au cœur du dispositif. Une dramaturgie qui repose sur la force du contraste entre la poudre noire de la limaille de fer qui ouvre sur le blanc. L’ombre et la lumière, l’aimantation et la corrosion, la fuite et la fragilité. En plus de ces « paysages-mémoire » l’artiste propose une mise en abyme de la maquette d’origine du Panthéon dans une version miniature en résine dentaire qui renvoie à la crypte et aux notions d’os et de reliquaire. Un renversement d’échelle et une obscurité qui contraste avec la lumière de la nef, tout comme le sont les personnes panthéonisées, même si elles continent à dégager une véritable aura comme le souligne l’artiste. Il revient sur les différents partis pris qui l’ont guidé face à ce défi monumental et les évidences imposées par le lieu lui-même. Il invite le visiteur à une véritable traversée autant symbolique que physique des corps. Nicolas Daubanes a répondu à mes questions.
Tout d’abord, comment s’est imaginé ce projet ? Comment avez-vous réagi à cette invitation ?
Ce projet a surgi après les différentes pérégrinations dans les espaces mémoriels et les diverses résidences et expositions que j’ai pu réaliser. La question s’est posée de tout réunir dans un lieu tel que le Panthéon.
Face à une telle invitation, on a tout d’abord un temps de sidération, qui est redoublé au moment de la visite où l’on se demande comment on va se saisir d’un tel espace. Très vite on réalise qu’en fait ce n’est pas nous qui allons prendre l’espace mais proposer des œuvres que le Panthéon accepte. Un phénomène est assez différent d’un autre lieu. Après, tout simplement, il faut y aller avec de la sérénité, étape par étape et questionner le lieu et son inscription dans le temps. En tous cas, c’était un challenge vraiment très intéressant.
Allons vers ce qui ressemble à un panorama avec « Un paysage tranquille » qu’est-ce qui se joue ici ?
En fait, j’avais l’envie d’avoir un espace plus réduit dans lequel le spectateur pouvait se retrouver non pas enfermé, mais on va dire, ceinturé autour d’une succession de points de vue mêlant plusieurs lieux de la mémoire nationale que j’ai traversés. C’est ce que permet la structure octogonale du panorama.
La plupart des dessins qui sont réunis sont les témoignages de mes passages dans ces lieux comme à l’Abbaye de Fontevraud, dans laquelle j’ai travaillé pendant quasiment deux ans, puis à Mont-Dauphin, village fortifié au cœur des Alpes ou l’ancien camp de concentration de Natzweiler-Struthof qui est évoqué avec un dessin qui, soumis à la pluie, au vent, au soleil… se trouve complètement oxydé. Ce que l’on pourrait appeler des « paysages mémoire ».
Le panorama, de plus, est l’archétype du dispositif de l’image racontant la guerre.
L’intérêt était aussi de montrer diverses techniques avec les photogrammes qui sont une technique tout à fait récente pour moi, les dessins sur verre, les dessins sur papier… Comme une pluralité de langages.
Le parcours ouvre avec « Le Mont-Valérien » et l’Ancien camp de Natzweiler-Struthof comme pour planter le décor. Comment avez-vous décidé le placement de chaque œuvre et la scénographie d’ensemble ?
Ce qui est assez intéressant c’est que le Panthéon lui-même vous montre un peu les espaces. C’est à dire qu’on a ces marches qui sont dans la nef et qui offrent à gauche et à droite des surfaces d’exposition assez naturelles puis une autre volée de marches et de colonnes avec comme une sorte de parvis qui se dessine. Face à ce parvis, j’ai réalisé que c’était ici que j’allais installer mes pièces dans la nef et utiliser cet espace pour permettre aux spectateurs de poser leur regard. Des pièces qui ne montent pas trop en hauteur même si c’est relatif au Panthéon.
Finalement il est assez vain de tenter d’être en rivalité avec le Panthéon, ça ne sert absolument à rien !
Il y a une notion d’échafaudage qui ressort fortement avec les dessins sur 3 niveaux de Montluc. Une volonté de votre part d’afficher cette ossature qui rejoint celle de l’espace carcéral ?
En effet. On a des grandes lignes horizontales, verticales, diagonales qui traversent de manière assez radicale l’espace visuel qui nous est proposé. Dans les dessins, c’est la même chose on a quatre grandes diagonales qui viennent trancher le dessin, quasiment le lacérer. L’échafaudage permettait de désigner une sorte de U au sol qui dessine l’entrée du couloir à échelle réelle. On a cette sensation de la verticalité de la prison. C’est aussi l’idée de la construction temporaire que je trouvais intéressante placée au-dessus de l’emplacement du caveau de Jean Moulin.
Ces échafaudages participent à une certaine théâtralisation du Panthéon.
Cela rejoint Piranèse aussi ?
Oui, tout à fait. C’est à dire qu’on a une structure complexe qu’on peut traverser par le regard. Si sur le papier, c’était assez prometteur, cela s’est confirmé en réel.
Pour revenir à la prison de Montluc : quelle est la genèse du projet ?
Nous sommes en 2017 et je me pointe avec mon dossier sous le bras, à une époque où l’on imprimait encore les dossiers. J’explique que je mène un travail sur les prisons que j’ai envie de convoquer à Montluc avec la question de l’histoire, Montluc étant aussi un Mémorial. Petit à petit nous avons appris à nous connaitre avec la directrice du mémorial, Aurélie Dessert. Les choses se sont faites avec du temps. Ce qui est intéressant c’est qu’entre 2017 et 2025, cela représente huit années de travail commun qui se voit en quelque sorte matérialisé ici, même si le projet n’est pas terminé.
Pour finir, vous proposez une nouvelle maquette miniature du monument en prothèse dentaire, matériau qui induit des sensations assez contradictoires : pourquoi ce choix ?
Il y a l’idée de pérennité car l’os dentaire est le plus résistant. Si le Panthéon de Paris date de 270 ans, j’ai vu à Rome le Panthéon qui date de 2000 ans. Des rapports de temps assez vertigineux. Il était intéressant pour moi d’être dans une création beaucoup plus petite, plus réduite, avec une grande attention au dessin, à la sculpture. Cette maquette est comme un écorché qui permet de voir tout l’intérieur et l’ingéniosité de la construction avec ces 3 coupoles de pierre qui forment le dôme. Sa taille permettait aussi de contrebalancer avec les grands dessins de la nef.
Vous avez souligné le défi technique que cela représentait
Il est certain que cela a demandé aux artisans prothésistes dentaires une attention particulière. C’était difficile parce que je leur demandais toujours plus et moi-même je me mettais à leur service mais en même temps passionnant avec toujours plus de réflexion et de détails.
Combien de temps a duré tout ce projet ?
On est quasiment sur deux ans en tout.
Est-ce qu’il y a eu pour vous des découvertes, des surprises, des choses qui ont surgi ?
Il y a eu des surprises et jusqu’au dernier moment ! Si l’on prend dans le dessin du Mont-Valérien, cette chute de poudre qui fait quasiment quatre mètres est complètement inattendue pour moi parce que je ne l’avais jamais encore réalisée. Et dans le dessin du Struthof, on a ces sortes de trouées blanches, que j’ai découvertes ici parce que c’était la première fois dans un dessin aussi grand que je pouvais aller frapper à l’arrière du panneau pour venir dégager de la poudre que je faisais ensuite glisser contre un support magnétique comme à chaque fois. Les deux grands dessins de la nef sont des surprises dans le sens du surgissement dans la mesure où je ne pouvais pas tout anticiper.
Qu’est-ce que vous aimeriez transmettre aux visiteurs, au public qui vient ici ?
D’une part que les spectateurs repartent avec la révélation de l’existence de tels lieux d’enfermement et de violence comme le Struthof, le Mont-Valérien ou Montluc, car tout le monde n’est pas au courant que la prison de Montluc existe. Ils auront peut-être envie par la suite de découvrir le Mémorial à l’occasion d’un prochain trajet voyage à Lyon, d’en déplacement familial ou professionnel… J’aimerais aussi que les regardeurs puissent retenir que toute l’exposition est faite simplement avec du dessin en noir et blanc et que ce sont les gestes, les dispositifs, qui font exister ou augmenter le projet. Il n’y a pas d’installation complexe ce qui n’empêche pas une certaine complexité. C’est ma plus grande satisfaction et je me le dirai encore probablement dans 10 ans.
Avec le Centre des Monuments Nationaux, vous vous inscrivez dans une forme de continuité ?
Oui notamment à travers mes projets à la Forteresse de Salses, à Mont-Dauphin, au château d’Oiron, et tout récemment au musée de l’Armée où vient de débuter mon exposition.
Nicolas Daubanes est représenté par les galeries Maubert (Paris) et ADN Barcelone.
Infos pratiques :
« Ombre est lumière. Mémoires des lieux »
Jusqu’au 8 mars 2026
Commissariat :
Nicolas Surlapierre, directeur du MAC VAL
Frédéric Paul, conservateur aux collections contemporaines, Musée national d’art moderne, Centre Pompidou
(programme « Un artiste, un monument »)
Panthéon,
Centre des monuments nationaux
https://www.paris-pantheon.fr/agenda/ombre-est-lumiere-memoires-des-lieux
En complément découvrir l’exposition de Nicolas Daubanes au musée de l’Armée :
Jusqu’au 17 mai 2026
