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« Chromoscope » à la Cité de l’architecture : Interview Matthieu Poirier, commissaire 

Vue de l’exposition « Chromoscope » Cité de l’architecture et du patrimoine courtesy Yares Art

Sous l’impulsion de Marie Ameller, directrice générale de la Cité de l’architecture et du patrimoine et de Jean-Roch Bouiller, directeur du musée, le commissaire et spécialiste de l’art abstrait, Matthieu Poirier se voit confier un cycle d’expositions dans une volonté de dialogue élargi entre architecture et art contemporain. Avec « Chromoscope » il est question de révéler autrement la Galerie des peintures murales et des vitraux, encore assez peu connue du public et de susciter de nouveaux récits autour de ces collections patrimoniales inscrites dans l’ADN et la vocation pédagogique de la Cité. Tout un univers de formes, de couleurs, de textures qui entre parfaitement en résonance avec le mouvement américain du Color Field choisi par le commissaire pour cette première incursion. Dans le dédale des chapelles médiévales, la vingtaine de chefs d’œuvre de Sam Francis, Helen Frankenthaler, Robert Motherwell, Kenneth Noland suscite une nouvelle circulation du regard et des rebonds sériels dans une atmosphère vibratoire unique. Matthieu Poirier a répondu à mes questions. 

Vue de l’exposition « Chromoscope » Cité de l’architecture et du patrimoine courtesy Yares Art

Marie de la Fresnaye. Comment s’est constitué le projet Chromoscope avec Jean-Roch Bouiller, directeur ? 

Matthieu Poirier. Ce dialogue avec le musée s’inscrit dans une invitation à programmer et concevoir une série d’expositions. En parallèle à l’exposition de Fabienne Verdier, je voulais, depuis très longtemps, montrer le Color Field, ce mouvement artistique important qui s’inscrit juste après l’Expressionnisme abstrait américain. Après des artistes tels que Jackson Pollock, Mark Rothko et Willem de Kooning, arrivent Helen Frankenthaler, Morris Louis, Kenneth Noland et bien d’autres. Il me semblait nécessaire de montrer cette articulation. J’avais ce projet en tête depuis très longtemps et pensé à des sources possibles pour les prêts.  C’était le bon moment. De plus, confronter cette peinture avec ces fresques presque pariétales et en particulier leur polychromie avait du sens dans la mesure où cet accent mis sur la couleur, la texture et la dynamique des formes permettait de voir la peinture médiévale autrement que pour son iconographie et sa narration de la Bible et du Nouveau Testament.

Vue de l’exposition « Chromoscope » Cité de l’architecture et du patrimoine courtesy Yares Art

MdF. Vous avez des prêts absolument incroyables. Comment cela a-t-il été rendu possible ?

MP. Cela s’est fait aussi assez rapidement, à peu près dans le même cadre temporel que l’exposition de Fabienne Verdier. Nous avons procédé par négociation auprès de certains estates et par le biais de Yares Art (New York), une galerie américaine qui, depuis les années 60, s’est intéressée à ce mouvement et a été une aide précieuse à ce projet, à la fois comme mécène et comme facilitateur auprès des collections privées pour la plupart.

MdF. Vous favorisez des échos formels autour d’une atmosphère très singulière, en réponse à l’in situ : quels partis pris vous ont-ils guidé ? MP. J’ai souhaité relire ce courant à partir d’une forme de lecture orthodoxe de ce courant artistique tel que l’a pensé, par exemple, Clement Greenberg, qui était lui-même le théoricien de l’Expressionisme abstrait. Il comprend très vite que des gens comme Frankenthaler, Louis ou Noland ont emmené l’Expressionisme abstrait vers d’autres contrées qui mettent de côté, la peinture gestuelle pour privilégier les flux, les champs de couleurs purs, la circulation du regard, une ambiance plus atmosphérique. Une ambiance qui, dans ce contexte des chapelles, prend une résonnance très particulière.

MdF. Pour le public, c’est une façon aussi de redécouvrir cette partie du musée 

MP. Absolument. Beaucoup de personnes ne connaissent pas et ne visitent pas ces salles. 

C’est le projet porté par la direction de ce musée : redécouvrir la belle endormie de la Cité !

Vue de l’exposition « Chromoscope » Cité de l’architecture et du patrimoine courtesy Yares Art

MdF. Et vous, par rapport à cet art abstrait, qu’est-ce que vous aimeriez communiquer au regardeur ?

MP. Ce que j’aime dans l’abstraction est cette rupture avec le monde des images qui nous submerge totalement. Plus le temps passe, plus nous vivons par écrans interposés et ce qui reste une illusion finalement. Que ce soit le film, la photo, on est dans une sorte de tyrannie des images : des images à messages, des images un peu autoritaires, accompagnées en général d’un verbe qui nous dit ce qu’il faut voir, ce qu’il faut comprendre, et cetera, avec toute la manipulation que cela induit. L’abstraction m’intéresse aussi parce que c’est une forme d’enclave ou de monde parallèle dans lequel on peut retrouver finalement une position un petit peu en retrait et à distance. Enfin, il ne faut pas oublier que l’abstraction, est une façon de réorienter le regard et un puissant outil de compréhension de l’ordre du monde. 

MdF. Les femmes de l’abstraction n’ont-elles pas été invisibilisées ?

MP. Oui et pendant longtemps c’est ce dont témoignait l’exposition du Centre Pompidou « Elles font l’abstraction ». Mais les choses s’équilibrent un peu heureusement.

Infos pratiques :

« Chromoscope », un regard sur le mouvement Color Field 

De l’art contemporain en résonance avec la Galerie des peintures murales et des vitraux 

Jusqu’au 16 février 2026 

CITÉ DE L’ARCHITECTURE ET DU PATRIMOINE

Billets

Plein tarif : 13€ / Tarif réduit : 10€

(tarif incluant l’accès au musée)

1, place du Trocadéro, Paris

https://www.citedelarchitecture.fr/fr/agenda/visite/chromoscope

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