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ST-ART : Rencontre Karine N’guyen Van Tham, Prix Jeune Création Européenne

Karine N’Guyen Van Tham, Per non perdere il filo, Fondazione dell’ Albero d’Oro photo Andrea Avezzu

Ce qui ressort de la la 29ème édition de ST-ART sont les stands avec une vraie curation à commencer par galerie strasbourgeoise Ritsch-Fisch qui propose un hommage à l’exposition décisive de Jean-Hubert Martin « les Magiciens de la terre » avec notamment l’artiste Cassandra Albert qui propose une œuvre monumentale à l’entrée de la foire (Industrie magnifique et #Art for change), la galerie liégeoise Christine Colon avec le peintre d’origine grecque Costa Lefkochir ou l’artiste verrière française Lise Gonthier. La galerie vénitienne Barovier & Toso qui initie de nouvelles générations d’artistes aux techniques du verre comme l’australienne Amy Thai, la galerie française Kahn (Ars-en-Ré) qui décline le noir et blanc avec Vera Molnar, Ignasi Aballi ou Nicolas Chardon ou encore la galerie alsacienne Murmure (Colmar) autour du photographe de vanités Stéphane Spach ou le peintre allemand Jan Voss. Enfin, la galerie libanaise no/mad utopia propose les œuvres sur textile de Johanne Allard ou les dessins de Salah Missi. 

Parmi les projets spéciaux autour des savoir-faire verriers et le soutien à l’émergence, points forts de la foire, outre l’exposition des jeunes diplômé.es de la Haute École des Arts du Rhin (HEAR), le Prix de la Jeune Création Européenne donne l’occasion de découvrir l’univers de la lauréate 2024, Karine N’Guyen Van Tham (Espace Constantin Chariot, Bruxelles). Ses œuvres textiles accompagnées de poèmes, ouvrent sur tout un imaginaire médiéval et certains archétypes : le pèlerin, l’ermite, la nonne… Selon elle, le textile est un témoignage profond de la perte, de l’absence, de l’invisible qu’il convient de convoquer. Un véhicule et trait d’union entre le profane et le sacré. Diplômée des Beaux-arts de Marseille, elle se forme à la tapisserie d’ameublement et développe une passion pour le textile en autodidacte, s’inscrivant dans une histoire familiale. C’est dans son atelier breton qu’elle tisse, brode, conçoit ses teintures végétales et récupère les toisons brutes de brebis. Karine a répondu à mes questions. 

Vous êtes ici en tant que lauréate 2024 du Prix Jeune Création Européenne. Pouvez-vous nous redire le contexte de ce prix ?

La galerie Espace Constantin Chariot qui me représente pour la Belgique, participait à la foire en tant qu’exposant et m’a proposé de postuler à ce prix de la Jeune création européenne destiné à des artistes de moins de 35 ans. J’ai accepté même si ce moment-là, j’étais à Venise dans le cadre d’une exposition à la Fondazione dell’Albero d’Oro (Biennale de Venise). J’ai réussi à tenir les délais et j’ai été lauréate 2024 de ce Prix de la Jeune Création Européenne. 

Pouvez-vous nous écrire votre univers ?

C’est un vaste sujet. La première chose qu’il faut savoir, c’est que ma démarche artistique s’articule autour de l’objet textile, qu’il soit vêtement, coussin, matelas, couverture, comme étant un objet de mémoire vivante ou une relique du passé. Dès lors chaque œuvre textile que je fabrique raconte un fragment de vie, une mémoire que je m’attache d’une part à révéler sous forme de poésie, ou de dessin, de manière non contrôlée et assez automatique, et d’autre part sous la forme d’objets reliques textiles : vieillis, usés, qui racontent une histoire. Cela peut prendre la forme de couvertures piquées d’une certaine façon, de chaussons brodés par une nonne pèlerine, un matelas d’ermite très usé. Chaque œuvre va raconter un fragment de vies. 

Comment collectez-vous ces objets ? Est-ce qu’ils viennent à vous, est-ce que vous les fabriquez ? 

Tous ces objets, je les fabrique de A à Z à travers deux processus. D’une part un processus que je qualifierai de spirituel, métaphysique. Ce premier processus va me permettre de faire remonter des mémoires, des fragments de vie, de les capter via différentes strates de l’inconscient qu’il soit collectif, familial ou l’inconscient personnel. Je n’ai pas forcément une explication très précise là-dessus, néanmoins, ce que je sais, c’est que tout part d’un dialogue et d’une émotion à partir de la matière. L’autre processus est axé sur l’univers médiéval, je vais visualiser une scène de ce personnage dans ce contexte tout en apprenant avec les années, à dissocier ce qui m’appartient et ce qui ne m’appartient pas. 

Face à ces apparitions, je me considère comme quelqu’un qui fait le pont entre le visible et l’invisible. Une fois que ces choses de l’invisible surviennent sous différentes formes, je vais les canaliser, les mettre par écrit, les évoquer par le dessin, et de manière très spontanée.  Je vois mon univers comme un arbre, avec un tronc commun et différentes branches : une branche autour du thème de l’esclavage, des guerriers mongols, des samouraïs, etc. Il y a aussi les archétypes comme les pèlerins, les ermites, les transhumains, les nomades, etc. Je fais appel à ce qui est inhérent à l’homme, ce qui nous traverse depuis des millénaires et qui fait toujours partie de nous. Des personnages qui traversent le temps. Même à notre époque, il y a toujours des gens qui s’isolent ou qui prennent le parti de s’isoler pour aller chercher quelque chose de plus grand qu’eux. Ce qui m’intéresse dans mon travail, c’est d’aller chercher ce quelque chose de plus grand que moi.

Quelle est votre formation ? Comment êtes-vous venue à l’art ?

J’ai d’abord fait les Beaux-arts de Marseille pendant quatre ans et ensuite, je suis allée faire un CAP de tapisserie d’ameublement. J’ai appris de nombreuses techniques et me suis passionnée pour le textile. Après je me suis lancée en tant qu’autodidacte. A partir de 2017, j’ai commencé à travailler le vêtement. Mais tout s’est déroulé de manière assez instinctive en fait. Jusqu’au jour, où je me suis interrogée sur pourquoi j’avais cette obsession à raconter une histoire via le vêtement.

Quelle est, selon vous, la genèse de ce lien avec le vêtement ?

Je vois depuis toujours le vêtement comme une extension de l’être, comme quelque chose qui nous survit, un objet transitionnel et même nécessaire au deuil. D’aussi loin que je me souvienne, il faut remonter en 1997. J’ai 8 ans, ma grand-mère maternelle qui était couturière, décède et je me retrouve avec ma mère à ranger les vêtements de manière très solennelle. 

Et, un soir, elle s’arrête de ranger. On fait le tour dans le jardin et quand je lui fais remarquer qu’elle a de ranger le vêtement qui est suspendu à la porte, elle me répond que c’est volontaire car la dernière chose qu’elle a suspendue. Alors du haut de mes huit ans, j’ai regardé cette veste qui était une belle veste en laine, dont elle se servait pour le jardin. Tout a alors pris une autre dimension dans ma tête. Ce vêtement n’était plus simplement quelque chose d’utilitaire mais comme une sculpture, une relique de ma grand-mère. Une capsule temporelle.

Je pense que ce souvenir a été enfoui dans ma mémoire et qu’il m’a guidé pendant des années jusqu’à cette intuition de ce lien au textile et cet acharnement à travailler le vêtement en tant que survivant d’une mémoire.

Est-ce que des artistes comme Louise Bourgeois, sont des sources d’inspiration ? 

Oui, tout à fait, j’aime beaucoup Louise Bourgeois, de même que Christian Boltanski. 

Je citerais aussi Germaine Richier dans son rapport très instinctif à la matière. Elle n’avait pas peur de ciseler, de même pour moi, je n’ai pas peur d’user ni de détruire. Une fois que je finis une sculpture, elle est comme neuve, le plus important du travail étant l’usure que je vais apporter comme une cicatrice. C’est par ce geste que je raconte. Le vêtement usé va nous raconter, nous dire des choses sur l’environnement dans lequel il a transité, la personne qui l’a habité, la posture, les odeurs, les émotions… Et du coup, tout prend une autre dimension et on se trouve face à une œuvre. Je citerais alors l’artiste Christo et la notion d’empaquetage. Ce qui m’intéresse, c’est de travailler l’objet tout à fait commun, comme une couverture qui sort du monde profane pour arriver au monde sacré.

Pour revenir à la rencontre avec Constantin Chariot. Comment cela s’est fait ?

Je l’ai rencontré à Venise lors du vernissage de l’exposition « Per non perdere il filo » au moment de la Biennale internationale de Venise.

Il a beaucoup aimé mon travail, nous sommes restés en contact et il m’a proposé de participer à l’exposition inaugurale de sa galerie, Pareidolie, Et depuis, on continue à collaborer.

Que vous a permis le prix ? 

D’une part, il y a une très belle sculpture, quelque chose de pérenne et qui accompagne le prix. D’autre part et surtout le prix offrait la possibilité d’être exposée sur ce stand et de bénéficier d’un solo show à l’occasion de la foire dans une totale liberté. Quant à la somme de 2 000 €, je l’ai partagé avec Constantin puisque j’ai estimé que c’est lui qui avait pris le risque de participer à la foire.

Pour conclure, où êtes-vous basée ? Toujours à Marseille ?

Non, j’habite en Centre-Bretagne depuis fin 2016. Mon atelier est dans un petit village des Côtes d’Armor. 

Avec mon mari nous sommes tous les deux originaires de Marseille et avons décidé de partir par suite d’une opportunité à Tréguier.

On a pris notre chien sous le bras et on est partis ! Et depuis, on a acheté une maison et on est restés.

Infos pratiques :

ST-ART 29ème édition

Ouverture au public 

Du 14 novembre au 16 novembre 2025

PARC DES EXPOSITIONS

Halls 2 et 3

Avenue Herrenschmidt, STRASBOURG

https://www.st-art.com/fr/edition-2025

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