Sumakshi Singh, UNTITLED (STAIRCASE), 2024 Thread & Lace Drawing (Installation) courtesy the artist, 193 Gallery
Alexandra Fain, fondatrice et directrice d’ASIA NOW, nous confiait lors de son interview vouloir mettre le projecteur sur les voix plurielles émergentes de l’Asie et élargir le spectre au Moyen Orient (Asie de l’Ouest) avec un certain nombre de nouveautés pour cette 11ème édition. Mission accomplie alors qu’une foule nombreuse se presse dans les différents espaces de la Monnaie de Paris investis par des installations, performances…
Quelques incontournables :
Rusudan Khizanishvi, The magician’s assistant courtesy de l’artiste & Galerie LJ
Galerie LJ (Paris) : Rusudan Khizanishvi
Ayant grandi dans la Géorgie post-soviétique, la mémoire personnelle de Rusudan reste marquée par l’histoire tourmentée de la région. Elle se sent pourtant tout aussi proche de la tradition picturale occidentale, à laquelle elle emprunte certains codes.
Ses peintures donnent naissance à des mondes oniriques, mystérieux et dissimulés, peuplés de créatures hybrides et chimériques. À travers ces univers, elle explore des thèmes tels que la mémoire culturelle, la quête de soi, la représentation du corps féminin ou encore les mythes anciens.
La figure féminine occupe une place centrale dans son travail, sans pour autant devenir une fixation. Son regard féministe s’enracine sans doute dans son propre vécu : élevée par une mère célibataire dans une société patriarcale, elle a construit sa carrière artistique en défiant les normes traditionnelles longtemps imposées aux femmes en Géorgie.
Vues du stand de Sabrina Amrani à Asia NOW 2025. Stand S03. Une présentation présentant les œuvres de :mentalKLINIK, Manal AlDowayan, Waqas Khan, Timo Nasseri, Jong Oh et Wardha Shabbir. Avec l’aimable autorisation des artistes et de Sabrina Amrani
Sabrina Amrani Gallery (Madrid) : Manal Al Dowayan et mentalKLINIK
L’artiste saoudienne met en scène des représentations de jambes féminines, émergeant partiellement, comme prêtes à bondir. Ces membres semblent sur le point de franchir une limite, d’effectuer un passage. À travers cette série, l’artiste explore la notion de transition : celle des femmes passant de la sphère privée à la sphère publique. Une démarche qui, sans surprise, révèle les tensions sous-jacentes au tissu de la société saoudienne, entre privé et public, tradition et modernité, communauté et ouverture au monde.
Dans un monde régi par la consommation guidée par les données et le désir capitaliste, mentalKLINIK capte le pouls scintillant de notre époque façonnée par l’iPhone — une ère d’écrans réfléchissants à l’infini, à travers lesquels nous observons et sommes observés. Leur œuvre saisit cette condition d’hyper-visibilité séduisante, où le reflet devient à la fois spectacle et illusion.
Chang Huyn Lee, Jupon courtesy de l’artiste & IAH Gallery
IAH Gallery (Seoul) : Chang Hyun Lee
La pratique de Chang Hyun Lee explore la manière dont les corps sont mesurés, fragmentés et reconstruits à travers les systèmes de patronage, les savoir-faire artisanaux et les dispositifs d’exposition. Ses œuvres prennent corps à partir de moulages du torse ou de l’épaule, avant d’être transformées en coques de papier mâché, réalisées à partir de patrons déchiquetés et d’épreuves mises au rebut. Ces formes, une fois ouvertes puis réassemblées, gardent les traces de leur fabrication : coutures visibles, marques de pression, grain du papier.
Ce procédé opère un renversement : là où l’industrie tend à réduire le corps à des patrons plats, Lee déconstruit d’abord ce langage pour retrouver une enveloppe corporelle sensible.
Ses silhouettes évoquent souvent la sculpture grecque, saisie dans l’instant qui précède l’action : figées, fragmentaires, animées plus par le souffle et la posture que par une fidélité anatomique, orientant ainsi la récupération vers une recherche formelle plutôt qu’un élan pathétique.
Hiromi Tango Great Wave, 2025 Courtesy de l’artiste & Culturi gallery
Culturi gallery (Singapour, Londres) : Hiromi Tango
La galerie pour son retour à Asia Now présente le travail de Hiromi Tango (b.1976, Japan/Australia) en solo show.
Au cœur de son œuvre se trouve le concept japonais de Ma, qui signifie pause, intervalle ou espace vide, ce temps et cet espace essentiels qui permettent à la vie de se développer. Cette philosophie est à la base de l’approche de Tango, où la retenue formelle devient un cadre propice à la transformation et au sens.
À l’occasion de Asia Now, Tango dévoile Healing Code, un ensemble d’œuvres interconnectées. Healing Poemrassemble des créations textiles aux allures calligraphiques, tandis que Heart Bridge propose des peintures et des installations murales intégrant des éléments sculpturaux réalisés à partir de tissus de kimonos et d’obis. En réutilisant ces matériaux sous forme organique, l’artiste interroge la manière dont le tangible et l’intangible peuvent être renouvelés et réinventés.
À travers Healing Code, la Cuturi Gallery met en lumière la recherche continue de Tango autour de la mémoire, de l’héritage et du besoin universel de guérison, offrant ainsi au public une méditation profonde sur la résilience et la transformation.
193 Gallery (Paris) : Sumakshi Singh
L’exposition Transience Monuments (nouvelle section : Third Space)
Des ruines effacées aux monuments en déclin, l’exposition se déploie à partir des archives intimes de l’artiste, mêlant héritage et imaginaire. Sumakshi Singh érige des escaliers grandeur nature, échos de sa maison ancestrale, et des colonnes inspirées du Qutub Minar du XIIIe siècle. À mesure que les formes solides s’effondrent et se délitent, elle invente des « monuments souples », empreints de mémoire et de perte. Par la délicatesse du geste artisanal, elle esquisse une voie de réparation, fondée sur le soin et la sensibilité.
Son travail tisse une méditation sur la matière et le temps, entre présence tangible et fragilité de l’éphémère. À travers le fil du dessin et de la broderie, elle fait émerger des récits intérieurs : souvenirs intimes, émotions suspendues, résonances métaphysiques.
Tara Kasenda, Rue Charlot, courtesy de l’artiste & Prima
Prima (Paris) : Tara Kasenda
À l’occasion de sa première participation à Asia Now, la Galerie Prima dévoile une exposition personnelle de l’artiste indonésienne Tara Kasenda. Installée à Paris, Kasenda explore une peinture délicate, à la croisée de la figuration et de l’abstraction, où lumière et couleur deviennent les vecteurs d’une perception à la fois flottante et introspective.
Depuis son arrivée à Paris, le ciel est devenu un motif récurrent dans son travail. L’usage du flou est au cœur de son langage visuel, comme une manière d’assumer les états de transition et d’ambiguïté.
Portée par une recherche approfondie autour de la théorie des couleurs, son œuvre ouvre un espace de transition, suspendu entre réalité et imaginaire. Cette exposition marque une étape clé dans son exploration des notions de beauté, d’éloignement, d’appartenance.
LooLooLook Gallery (Paris) : Wanbing Huang
L’exposition Shēng Dòng | 生动 L’homme, reflet de la nature (Third Place)
L’œuvre de Huang Wanbing puise son inspiration dans la nature et le riche héritage culturel chinois. Elle effectue des recherches de terrain pour approfondir sa compréhension de l’histoire entourant le Xiabu, un tissu traditionnel fabriqué à partir de ramie, une plante fibreuse. En s’appuyant sur le savoir-faire d’artisans expérimentés, elle apprend les techniques de tissage du Xiabu, reconnues comme patrimoine culturel immatériel. Faisant du tissage le cœur de sa pratique, elle façonne les fibres de ramie en une matière à la fois souple et résistante.
Trois Symboles est un triptyque d’installations circulaires, conçu comme trois miroirs reflétant l’univers. Dans la philosophie orientale, le terme Xiang (象) désigne à la fois les phénomènes naturels et la manifestation des lois cosmiques. Ces trois miroirs, disposés en cercle, se renvoient mutuellement leur image et forment un cycle continu, symbolisant trois dimensions fondamentales de l’univers : la résonance des vagues, le tourbillon de la transformation, et l’origine du chaos.
Trio Show, Vue du stand galerie Anne-Laure Buffard photo Wonwoo Kim
Galerie Anne-Laure Buffard (Paris) : Trio Show
À l’occasion de sa quatrième participation à Asia Now, la Galerie Anne-Laure Buffard présente le deuxième chapitre du Trio Show, réunissant les artistes et sœurs jumelles coréennes Park Chae Dalle et Park Chae Biole, ainsi que la céramiste japonaise de renom Yoshimi Futamura, installée en France.
Dans la cour d’honneur de la Monnaie de Paris, le stand propose un dialogue entre deux traditions textiles emblématiques d’Asie : le bojagi coréen et le furoshiki japonais. Hérités de gestes du quotidien et porteurs de riches symboliques, ces carrés de tissu, cousus ou noués, servent traditionnellement à envelopper des objets précieux lors d’un voyage, d’un don ou d’un déménagement. Ici, ils deviennent matière à une relecture contemporaine.
Cette thématique du bojagi prolonge l’exposition estivale des sœurs Park Chae au Château de la Borie, en Limousin. Leurs œuvres sont également mises en lumière en ce moment même Place Vendôme, dans l’appartement Piaget, dans le cadre d’une curation Asia Now, aux côtés de créations de Lee Ufan, Tadashi Kawamata, Rithika Merchant, entre autres. Cet accrochage est visible pendant toute la semaine de l’art à Paris.
Milaaya art gallery (Mumbai) : Ranbir Kaleka
Le stand est construit autour du thème des « récits brodés », la galerie mettant l’accent sur la promotion du Fiber art dans l’Asie du sud.
Parmi les 4 artistes réunis, Ranbir Kaleka se détache avec son univers cinématographique et potentiel narratif.
Ranbir Kaleka (né en 1953 à Patiala, Pendjab) est reconnu comme l’un des artistes contemporains indiens les plus novateurs, célèbre pour sa manière fluide d’entrelacer peinture, vidéo et installation. En plus de quarante-cinq ans de carrière, il a constitué un corpus d’œuvres dense et singulier, oscillant entre l’imaginaire fantastique et la réflexion existentielle. Son travail se distingue par une alliance de visions oniriques, de rigueur conceptuelle et de richesse sensorielle, offrant une perspective unique sur la condition humaine, les tensions entre nature et civilisation, et les troubles latents de la modernité.
Ses récits visuels s’articulent autour d’images symboliques en strates, de paysages éthérés et de détails minutieusement élaborés. En mêlant techniques traditionnelles et éléments multimédias, Kaleka compose des univers immersifs proches du rêve, invitant le spectateur à une réflexion profonde sur le temps, la mémoire et l’empreinte humaine sur le monde naturel.
Infos pratiques :
ASIA NOW 11ème édition
La Monnaie de Paris
11 quai de Conti