Anna Meschiari vue de l’exposition « Les dormeur.euse.x.s » Mrac Occitanie, Sérignan 2025 photo Aurélien Mole
Lauréate du Prix Occitanie Médicis 2024, la proposition d’Anna Meschiari est l’exposition qui ressort de la nouvelle saison du Mrac Occitanie. Elle transforme l’espace du rez-de-chaussée du Mrac en un espace de projection immersif à partir de la pensée de l’architecte italienne féministe Marta Lonzi dans le prolongement de sa résidence à la Villa Médicis. A cette occasion, elle mêle des explorations dans le champ de l’art décoratif, de l’art étrusque, de l’ornement, qui se trouvent condensées par ce dispositif spatial inédit entre transparence et opacité, apparition et disparition, intérieur et extérieur, piège et leurre. L’artiste revient sur l’opportunité que représentait ce prix et sa réponse à l’in situ. Elle a répondu à mes questions.
Lauréate du Prix Occitanie Médicis 2024 : Comment avez-vous accueilli cette opportunité d’exposition au MRAC ?
C’est avec beaucoup de joie que j’ai accueilli cette opportunité à la suite d’une candidature auprès de la région Occitanie, ce qui demande un certain engagement. J’ai eu la réponse à un moment où j’étais en résidence à la Chaux-de-Fonds, au Club 44. Cela a donné lieu à un moment de joie partagée avec l’équipe du club. Ensuite, il y a eu un grand espace de liberté, puisque Clément Nouet, le directeur du Mrac, m’a mis à l’aise par rapportà une certaine appréhension que je ressentais. Une fois que je suis arrivée à la Villa Médicis, il y a eu un vrai moment d’engagement pour imaginer la conception des pièces qui sont exposées au Mrac. Donc, il y a eu plusieurs temps successifs.
L’ensemble des pièces est financé et produit à cette occasion. Comment s’est déroulée la chronologie ?
Oui et l’ensemble des œuvres date de 2025, la résidence ayant eu lieu entre octobre 2024 et janvier 2025. En réalité c’était plus pour moi une résidence de recherche. C’est quand je suis rentrée à l’atelier, là où j’habite, que les pièces ont surgi, petit à petit.
Le titre de l’exposition « Les dormeur.euse.x.s » reprend aussi celui des œuvres des canapés peints. Qu’est-ce que vous vouliez suggérer ?
Oui tout à fait. J’avais envie que les gens puissent s’asseoir sur quelque chose. Et petit à petit, est surgie cette idée de recouvrir avec une toile peinte par mes soins des canapés chinés sur le site du Bon Coin, pour ne rien vous cacher ! Ces fauteuils ont la forme d’un canapé méridienne. Et selon l’encyclopédie des termes d’architecture d’intérieur ou d’ameublement, le terme est une dormeuse. Dès lors je trouvais cela intéressant d’aller vers quelque chose d’inclusif avec un titre un peu sculptural. Il y a ce X qui se balade et qui ouvre un certain questionnement auquel je suis sensible. Au moment de trouver le titre de l’exposition, ça m’a été assez naturel de partir de ce concept de convivialité, de relations, de moments de partage à partir de ces potentiels canapés, si je reprends l’origine, le point de départ a été un hommage à ces femmes architectes italiennes Marta Lonzi et Plautilla Bricci. Des personnalités qui habitent l’espace en quelque sorte.
De potentielles dormeuses !
Anna Meschiari vue de l’exposition « Les dormeur.euse.x.s » Mrac Occitanie, Sérignan 2025 photo Aurélien Mole
Comment ces artistes pionnières ont-elle influencé votre réponse à l’espace ?
J’ai une façon de travailler un peu boulimique, dans le sens où si le prétexte était aller sur les pas de Marta Lonzi, architecte italienne active dans les années 70 au sein du mouvement féministe Rivolta Femminile qui a beaucoup travaillé en architecture d’intérieur autour du principe d’interactions, mes recherches m’ont conduite à des ruines et différentes stratifications architecturales et historiques. J’ai une façon de travailler un peu organique comme si je remplissais un sac imaginaire d’informations, de liens, de rencontres que j’ai pu avoir sur place…dans l’idée d’emmagasiner le plus possible. Des choses qui se répètent ou imaginaires. Des motifs qui surgissent.
A cela s’est ajoutée la visite de la nécropole étrusque et la question de la femme à la période étrusque qui s’est ouverte.
Une fois arrivée à l’atelier, il faut trier, ordonner, un exercice pas obligatoirement cartésien et qui offre une liberté de réflexion et de récit.
Que représente Plautilla Bricci pour vous ?
A partir de mon intérêt pour Marta Lonzi, je suis remontée le plus loin possible pour savoir qui était la première femme architecte italienne. Il se trouve que Plautilla Bricci (1616-1705) était aussi peintre et a travaillé au même moment que les deux architectes représentants majeurs du Baroque, Francesco Borromini et le Bernin. Autant de noms célèbres alors que Plautilla est relativement restée dans l’ombre. Une exposition à la Galerie Corsini à Rome en 2022 l’a enfin remise en avant. J’ai pu consulter le catalogue de cette exposition à la Bibliothèque de la Villa Médicis qui est très fournie et faire de nombreuses recherches autour de ce personnage qui bien que fictif, reste ancré dans une histoire architecturale de l’époque baroque. Il y a quelque chose d’extrêmement baroque dans ce que je fais, notamment dans les peintures, et la façon d’occuper l’espace, de prendre le pouvoir sur l’architecture comme dans une église à Rome où il ne reste pas un seul espace vierge de décoration.
Quelle réponse avez-vous souhaité donner à cet espace assez complexe ?
L’espace d’une totalité de 450 mètres carrés a un plafond assez bas (trois mètres de hauteur) et pas d’éclairage naturel. Des contraintes qui font partie du lieu. Mon objectif était de le ramener à des proportions plus acceptables, c’est-à-dire avoir un peu la sensation de rentrer dans une grotte, mais sans se sentir écrasé. L’envie de séparer l’espace d’exposition est venue assez rapidement, même si ce sont les quatre colonnes qui soutiennent le plafond qui m’ont amené à dessiner ce troisième espace entre une première partie plus sombre, dédiée à l’espace vidéo et la partie plus colorée, plus décorative où se trouvent les canapés.
Mon inspiration est venue de Marta Lonzi qui a créé plusieurs verrières pour séparer les espaces à commencer dans son appartement à Rome autour d’une relation entre vie personnelle et professionnelle. Je considère sa démarche comme une installation.
Le prétexte de mon séjour à Rome, était d’aller à la recherche de cet espace de séparation, mais qui n’en est pas complètement un, de part la transparence.
Anna Meschiari vue de l’exposition « Les dormeur.euse.x.s » Mrac Occitanie, Sérignan 2025 photo Aurélien Mole
Maintenant, pour aller vers les vidéos. Comment ça a-t-il été tourné ?
J’ai tourné cette vidéo en iPhone basique comme une amatrice qui ferait un voyage, ce volet du projet autour de l’art étrusque n’étant pas prévu au départ. Je me suis rendue compte qu’il y avait un certain potentiel dans ces images. La lumière artificielle créait aussi toute une ambiance qui venait me souffler des couleurs que j’ai pu extraire des vidéos et les utiliser pour le travail sur toile.
En ce qui concerne les peintures à la fois sur les parois et le plafond, quel est le processus de création ? comment choisissez-vous cette gamme chromatique ?
Les couleurs, sont venues du visionnage des vidéos. Des couleurs un peu acidulées, un peu pastels. Il y a quelque chose qui les rassemble. Comme une famille. En termes de procédé, ces toiles ont été réalisées au sol, sur une bâche de plastique, avec une peinture acrylique très diluée. Au séchage, l’air forme des plis révélant des compositions vibrantes et non contrôlées. Cette série de neuf peintures sur toile est inspirée de panneaux de marbre présents dans les églises romaines. L’installation « Plafond » complète le dispositif avec des toiles disposées à l’horizontal.
À la villa Médicis, vous avez rencontré une autre résidente, Sarah Rosa ce qui a donné lieu à une collaboration autour de la rédaction du texte de l’exposition et d’un banquet : comment est né ce dialogue ?
Sarah était dans une résidence liée à de l’art culinaire. Elle travaille autour de la nourriture À Rome, elle effectuait des recherches autour de la cuisine pauvre (cucina povera). On l’a invitée, suite au séjour romain, de manière assez naturelle, à faire un banquet lors d’une soirée que l’on a organisée à RIGA en septembre dernier.
Pendant que l’on travaillait sur cette idée de banquet, elle est venue nous voir sur place. Cela m’a semblé alors tout à fait cohérent de l’inviter à écrire un texte pour mon exposition. Elle l’a imaginé autour d’une trilogie géographique entre Rome-Marseille-RIGA très pertinente. Elle habite à Marseille et est co-fondatrice de Gufo. J’ai trouvé cela intéressant d’avoir ce regard extérieur sur le processus et le travail.
Pour finir pouvez-vous nous présenter la résidence, RIGA que vous avez fondé dans le Tarn. Comment fonctionne-t-elle ? Comment faites-vous le choix des invité.es ?
Nous avons créé RIGA en 2021 : une association qui s’occupe de réaliser plusieurs fois par an des résidences d’artistes, de commissaires ou d’écrivain.es. Elle se situe dans un ancien hôtel des années 50, endroit où l’on vit, au premier étage. Le deuxième étage de cet hôtel est dédié à un appartement pour accueillir nos invité.es. La spécificité de cette résidence, est de partager avec nos invité.es notre bibliothèque située à l’étage du bas au rez-de-chaussée, espace qui était avant un restaurant, une salle de bal et une boulangerie. L’idée est vraiment d’accueillir les personnes et de leur donner du temps pour faire de la recherche qui peut se prolonger par des projets d’éditions. Nous en sommes à la neuvième publication autour de l’écrivaine et poétesse Amélie Durand qui est venue en résidence au mois d’avril dernier. Le Centre d’art Le Lait nous accompagne dans ce projet dans une coproduction.
A découvrir également lors de votre visite :
Armelle Caron. « Le ressac des cahiers jaunes »
Infos pratiques :
Anna Meschiari « Les dormeur.euse.x.s »
Jusqu’au 22 mars 2026
Mrac Occitanie