FOMO VOX

June Crespo au Crédac

Vue de l’exposition « ROSE TRRACTION » de June Crespo. Traction 3, 2025 ; Traction 2, 2025 ; Traction 1, 2025 Courtesy de l’artiste et des galeries Carreras Mugica, Bilbao, P420, Bologne et Ehrhardt Flórez, Madrid. © le Crédac — Photo : Marc Domage

A l’occasion de l’exposition June Crespo au Crédac, Claire Le Restif, directrice du lieu et commissaire invite Béatrice Gross, critique et commissaire qui avait révélé au public français l’artiste espagnole lors du festival Fata Morgana au Jeu de Paume qu’elle pilotait avec l’artiste Katinka Bock. Sa discussion intitulée très justement « Os, cavités et fossiles inversés, quelques corps-à-corps de June Crespo » revient sur les tensions à l’œuvre dans son travail : l’ornemental et le minimal abstrait, le vide et le plein, le cutané et le mécanique, la précarité et l’industriel, le sensuel et l’abject. A la densité technique de ces grands coffrages et appareillages monumentaux s’oppose des gestes de douceur et de déséquilibre engageant un imaginaire de la ruine post-romantique (fossile est le mot choisi par Béatrice Gross) et du corps instable et fragmenté. 

Béatrice Gross cite deux expositions fondamentales d’une part « Abstract Erotic » qui s’est tenue cet été au Courtauld Institute de Londres autour de Louise Bourgeois, Eva Hesse, Alice Adams, soulignant la part féministe de ces sculptrices pionnières qui engagent un dialogue viscéral avec la matière, le terme Abstract Erotic revenant à la critique et militante Lucy Lippard à l’origine d’une autre exposition majeure dans la généalogie de June Crespo, intitulée « Eccentric Abstraction » à la Fischbach Gallery, New York, en 1966 avec de nouveau Louise Bourgeois, Eva Hesse auxquelles on pourrait ajouter Alina Szapocznikow pour son traitement de l’informe, de la transgression érotique, de l’empreinte.  

Une communauté dont se réclame June Crespo comme le souligne Béatrice Gross. De plus le titre de l’exposition qui reprend celui d’une des œuvres du parcours « Rose Trraction » s’inscrit dans ce rose si présent dans l’art d’Alina Szapocznikow avec un contre-emploi dans cette traction, synonyme d’effort et de masculin. Celui de la chair dont les variations s’appuient sur le côté frivole et libertin attaché à cette couleur dont la sensualité reste trouble, tout comme chez June Crespo quand on sait que Rose Trraction est constitué d’un scan haute définition d’un des t-shirts encore marqué par des traces de rouge à lèvres. Ce morceau de textile est pris dans des conduits d’aération eux-mêmes voilés par de la toile de parachute et de la dentelle. Le contraste toujours. Le féminin, la béance de l’organe sexuel moulé chez Szapocznikow, celle des orifices, réceptacles de fluides avec No Osso (Occipital) directement creusé dans les anfractuosités d’une salle du Crédac, cette ancienne « Manufacture des œillets » dont l’ossature d’acier devient un corps ou une grande salle de dissection comme dans les hôpitaux du XIXème siècle avec ces brancards « Traction 1, 2, 3 », une série qui se base sur des tiges d’iris devenues des tubes. De même avec la fleur de paradis de « VASCULAR » et « Vieron sur casa hacerse campo », l’œuvre la plus troublante qui se détache de la première salle. Une sorte de prothèse, de morceau de jambe, sort littéralement du mur, sanglée par de grandes lanières de tissus orange. Moule en aluminium et revêtement céramique pour un effet dérangeant et presque monstrueux, abject pour rejoindre la pensée de Bataille. 

Avec Molar (molaire), anciennes selles d’équitation superposées, on peut aussi retrouver des morceaux de vêtement et des traces d’accidents dans cet acier de qualité inoxydable, tandis que Parentescos (lien de parenté) introduit une note plus intime et personnelle, ce sac de voyage moulé ayant appartenu à la grand-mère de l’artiste. Son ossature de cuir souple lui permettant de changer de forme. Des qualités intrinsèques qui ont séduit l’artiste et qu’elle transforme en une sorte de respiration. La vascularisation du récit se traduit aussi dans la vidéo « Core» , projetée au Crédakino avec les veines des mains filmées dans une sorte de chorégraphie. Autant d’hybridations et de polysémies en puissance. 

Après la grande exposition de l’artiste au musée Guggenheim de Bilbao, sa région d’origine, l’exposition du Crédac marque une étape importante dans la carrière de June Crespo avant celle prévue au MO.CO Montpellier en 2026. Une fois encore Claire Le Restif a su déceler tout le potentiel de cette sculptrice dans la poursuite des expérimentations de Liz Magor et d’Alexandra Bircken, toutes deux passées par le Crédac. 

Infos pratiques :

ROSE TRAACTION 

Jusqu’au 14 décembre 

Le Crédac

Centre d’art contemporain d’Ivry

https://credac.fr/en/artistic/rose-trraction

Quitter la version mobile