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Une communauté Yvonne Rainer au Crac Occitanie avec Arlène Berceliot Courtin 

Yvonne Rainer, circa 1964. Photo attribuée à Robert Rauschenberg. Collection d’études. Fondation Robert Rauschenberg, New York.

Marie Cozette poursuit avec justesse une programmation exigeante au Crac Occitanie autour de la personnalité d’Yvonne Rainer, chorégraphe, réalisatrice, théoricienne de l’art pionnière dont l’engagement féministe et queer continue d’inspirer toute une communauté et génération d’artistes. C’est l’un des enjeux portés par Arlène Berceliot Courtin, curatrice, chercheuse, autrice, qui déconstruit et repense les codes de l’exposition avec « Yvonne Rainer: A Reader » à partir de ce terme anglo-saxon qui désigne à la fois une position active et passive et place la lecture au cœur de l’acte performatif. Si pour Rainer « Feelings Are Facts » ce manifeste s’inscrit dans les recherches de la commissaire autour de la place des affects dans le processus créatif, comme elle le proposait à l’occasion du 25ème Prix de la Fondation Ricard avec « All the messages are Emotional ».

Adoptant un prisme pluridisciplinaire (danse, cinéma, performance, archives..) le parcours qui se déroule dans l’ensemble du Crac transforme le positionnement intellectuel de Rainer en une archive vivante et située, incarnée par des performeur.euses et chercheur.euses depuis Babette Mangolte, Trisha Brown, Lucinda Childs (le groupe du Judson Dance Theater) jusqu’à Pauline Boudry et Renate Lorenz, Madison Bycroft, Jean-Charles de Quillacq… soulignant l’importance de la famille choisie selon Rainer qui a toujours refusé une norme, une autorité et l’idée même de fonder une compagnie, au profit d’une expérimentation en continu en réaction au masculinisme de l’avant-garde à New York des années 1960, aux privilèges sociaux, à l’impérialisme nord-américain, aux inégalités liées au genre…

Un engagement qui trouve de nombreuses résonnances actuelles et qui transparait dans les films d’Yvonne Rainer qui, après avoir initié le Judson Dance Theater, bascule vers la réalisation à partir de 1975. La première salle de l’exposition à partir du fonds d’archives « Yvonne Rainer papers » (affiches, programmes, photographies) retrace cette aventure de l’avant-garde chorégraphique, essentielle pour entrer dans son univers. On peut aussi faire le choix de commencer le parcours de l’autre côté, déjouant toute forme d’autorité, et partir des courts-métrages « Five Easy Pieces » (1966-69) qui sont selon l’artiste, des exercices chorégraphiques filmés, selon une approche nouvelle de la danse basée sur la juxtaposition à partir de la vision défendue par Susan Sontag « Happenings : An Art of Radical Juxtaposition », autre figure déterminante de cette avant-garde américaine. En dialogue la peinture inversée sur verre de l’artiste Nick Mauss revient sur la place charnière qu’occupe « Part of Some Sextets », d’Yvonne Rainer datant de 1965, dont l’artiste a participé à la reprise dans le cadre de la Biennale Performa en 2019. Cette danse pour 10 personnes et 2 matelas est une rupture qui pose les jalons à venir de Trio A, exécutée par des interprètes professionnels ou non tels que Robert Morris, Robert Rauschenberg : on remarque son polaroïd d’Yvonne Rainer en début de parcours, Sally Gross, Deborah Hay…juxtapose 31 actions ordinaires et volontairement ennuyeuses, liés à l’utilisation des matelas, court-circuitant les attentes du regardeur. 

Les matelas adoptent un rôle de performeurs à part entière dans cet éloge de la banalité et de l’insignifiant, du prosaïque. L’artiste contemporain Paul Maheke reprend cette idée du lit comme espace d’expérimentation dans l’installation sonore et textile « In spite of my own desire to see you disappear » qui invite chacun à écouter, rêver, méditer dans un état d’entre-deux et une vulnérabilité que l’artiste défend. L’œuvre vidéo d’Yvonne Rainer « After Many A Summer Dies the Swan : Hybrid » de 2002, produite par la Baryshnikov Dance Foundation mêle des citations d’Adolf Loos, de Ludwig Wittgenstein, d’Oskar Kokochka à des chorégraphies filmées et images d’archives. Cette œuvre marque son retour à la danse en 2000. 

Puis on fait escale dans la black box autour du cinéma expérimental d’Yvonne Rainer et son engagement autour du racisme, du féminisme, de l’anti-militarisme ou de la lutte contre le Sida avec le très beau témoignage de Gregg Bordowitz «Fast Trip Long Drop».

Le 1er étage du Crac est entièrement consacré à l’héritage de la pensée d’Yvonne Rainer aujourd’hui. L’installation et méta-récit de Josèfa Ntjam « Melas de Saturne » , la vidéo de Madison Bycroft en hommage à la poétesse activiste lesbienne Adrienne Rich et le fim de Jean-Charles de Quillacq tourné lors de sa résidence à la Villa Médicis « A Real Boy », à partir de son propre corps dans un profond endormissement soumis à différents états impudiques. Autant de prolongements queers et non-genrés, transformés, qui réactivent la pensée gender-fluid de Rainer.

Alors que le Palais de Tokyo va inaugurer une exposition sur les échanges entre les pensées francophones et l’art américain à partir des années 1970 Arlène Berceliot Courtin insiste sur l’erreur d’interprétation et l’amalgame autour du « french feminism ».  Néanmoins et comme elle le confie dans un entretien avec Jo-ey Tang, artiste et directeur de KADIST San Francisco, pour le magazine de la Villa Albertine, cela permet de mettre en avant le rôle joué par Monique Wittig. Yvonne Rainer dans sa pensée de la déconstruction est très inspirée des études féministes de la « french theory » souligne t-elle.

Imaginer une exposition à partir d’une recherche universitaire est toujours une gageure, pari réussi la commissaire qui, à l’issue de sa résidence en Californie (dispositif ¡Viva Villa !)
a su explorer et mettre en avant non seulement New York mais aussi les liens fertiles entre la côte Est et la côte Ouest des Etats-unis et la danse postmoderne. 

S’il n’y a eu que peu d’occasions en France, d’aller à la rencontre d’Yvonne Rainer, depuis son unique participation au Festival d’Automne en 1972, la programmation à l’American Center de Paris par Marie-Claude Beaud, l’exposition de Julie Pellegrin à la Ferme du Buisson Live of Performers ou le colloque Nexus Rainer de Chantal Pontbriand … le Crac à travers cette initiative pose un jalon définitif dans l’évaluation de la place des avant-garde à l’aune de la création contemporaine.

L’exposition s’ accompagne d’une publication bilingue JRP/Editions soutenue par le Centre National des Arts plastiques et la Villa Albertine avec une série d’entretiens récents de Gregg Bordowitz, Boudry/Lorenz, Nick Mauss, Lynne Tillman et Yvonne Rainer.

Avec : Charles Atlas, Florencia Aliberti / Caterina Cuadros / Gala Hernández López, Gregg Bordowitz, Cécile Bouffard / Ruth Childs, Pauline L. Boulba / Lucie Brux / Aminata Labor, Pauline Boudry / Renate Lorenz, Madison Bycroft , Hélène Giannecchini, Lenio Kaklea, Nick Mauss, Paul Maheke, Babette Mangolte, Josèfa Ntjam, Ulrike Ottinger, Adam Pendleton, Jean-Charles de Quillacq, Yvonne Rainer, Robert Rauschenberg.

Infos pratiques :

Yvonne Rainer: A Reader

jusqu’au 15 février 2026

Crac Occitane

Entrée libre

Programmation associée : danse, rencontre, performance

https://crac.laregion.fr/Yvonne-Rainer-a-Reader

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