Pierre Soulages, Brou de noix sur papier 73,5 x 47 cm, 1946 Collection C.S. © Adagp Paris, 2025, Photo Vincent Cunillère
« Les outils ont une grande importance pour moi. J’en invente, j’en fabrique, j’en fais fabriquer, de toutes sortes et de toutes tailles… » Pierre Soulages
« Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre »…Pierre Soulages vit son moment entre les papiers exclusivement exposés pour la première fois à Paris au Musée du Luxembourg et l’hommage que lui rend son ami Michel Hilaire, directeur du Musée Fabre de Montpellier, institution qui lui est chère et en faveur de laquelle le peintre et son épouse Colette, ont fait plusieurs donations. En plus des rétrospectives du Centre Pompidou et du Louvre, l’ouverture du musée Fabre de Rodez en 2014 a marqué un temps fort avec un accrochage spécial autour des peintures sur papier, qui, fragiles, nécessitent certaines prérogatives. Cumulant 800 pièces, l’œuvre sur papier n’a rien de préparatoire, elle accompagne pleinement la démarche du peintre et représente un élément déclencheur à partir de 1946 avec l’apparition du brou de noix, souligne Alfred Pacquement, commissaire pour le musée du Luxembourg. Traditionnellement utilisé par les menuisiers il utilise cette pâte dont la teinte permet de jouer des effets de transparence avec des brosses et des couteaux, des outils de peintre en bâtiment comme les décrit l’artiste lui-même lui rappelant son enfance à Rodez, rue Combarel, et les artisans qu’il observe. Son père est fabricant d’hippomobiles (carrossier) et sa mère tient un magasin d’articles de pêche et de chasse. Un environnement qui va compter « le vieux bois, le goudron, le fer rouillé… ».
L’émotion qu’il ressent devant les statues-menhir du musée Fenaille à Rodez et sa participation à plusieurs chantiers archéologiques vont l’orienter vers l’art pariétal. Puis il y la révélation de Conques, autre pilier de la rigueur et de l’équation Soulages qui va devenir une signature souvent concentrée pour le public autour de l’outrenoir.
Pierre Soulages, Mine de plomb sur papier marouflé sur toile 75x 59 cm vers 1999-2000 Collection C.S. © Adagp Paris, 2025, Photo Vincent Cunillère
C’est justement tout l’intérêt de la démarche de Camille Morando (Centre Pompidou) et d’Alfred Pacquement de révéler toutes les facettes et expérimentations qu’offre le papier pour Soulages entre fusain, encre, gouache, lavis et toujours dans un renouvellement constant. L’encre noire joue du contraste avec le papier blanc, des signes groupés apparaissent, des effets de rythme. Une puissance graphique qui va faire sa renommée à partir de l’affiche choisie pour l’exposition itinérante an Allemagne de peintres abstraits français (1948-49). Peu à peu, les formats deviennent plus monumentaux avec de grands aplats noirs qui envahissent la surface. A certaines périodes 1973 et 77, l’artiste privilégie le papier au détriment de la toile poursuivant ses innovations entre noir, gris et la couleur bleue qui est introduite. A partir des années 1980 il est tout entièrement consacré à l’outrenoir, éclipsant quelque peu les œuvres sur papier. Il y revient au début des années 2000 dans une large palette de possibilités : bandes horizontales noire et blanches qui rappellent les travaux de son amie Pierrette Bloch exposée à des côtés au musée Fabre, raclages à la spatule, empreintes, tracés entrecroisés, mines de plomb sur fond noir dans certains polyptiques… Le brou de noix fait son retour avec une grande force, l’artiste âgé de 80 ans est toujours en quête de découvertes.
Comme une partition de l’aléatoire, vibrante et tumultueuse dont l’accrochage retrace avec brio toute l’inventivité. Une calligraphie du plein et du vide qui n’est pas sans rappeler les affinités de Soulages pour le Japon, pays où le papier domine. Un art de l’ascèse et de la lumière qui n’a pas fini de révéler tous ses secrets.
Infos pratiques :
-Soulages, une autre lumière
Jusqu’au 11 janvier 2026
Musée du Luxembourg
Production Grand PalaisRmn
https://museeduluxembourg.fr/fr/type-evenement/exposition
-Pierre Soulages, la rencontre
Musée Fabre de Montpellier
Jusqu’au 4 janvier 2026