Elisa Verdier, Vue de l’installation « Corpographies », Exposition Double Trouble, Art Emergence Artagon © Elisa Verdier
Elisa Verdier fait partie des 42 jeunes artistes diplômé·es des écoles publiques d’art et de design françaises sélectionné.es pour l’exposition « Double Trouble » dans le cadre de l’appel à projets de la première édition d’Art Émergence par Artagon. Son installation « Corpographies » autour de l’expérimentation de l’image présentée dans la Chaufferie de Fiminco m’a interpellée et j’ai voulu en savoir plus sur une démarche aussi sensible que politique autour de l’intime, de l’identité queer et trans. Son mémoire de fin d’étude aux Beaux-arts de Nîmes a donné naissance à « TRANSCHRONIQUE », également visible dans l’exposition, un objet hybride entre journal, lectures, filiations littéraires et Polaroïds à partir de son expérience et parcours de transition.
Comment avez-vous entendu parler d’Art Émergence ?
J’en ai entendu parler sur les réseaux sociaux étant donné que je suivais Artagon pour leurs actions à Marseille et à Pantin, puis l’École des Beaux-arts de Nîmes nous a aussi relayé l’appel à candidature et j’ai pu ainsi candidater.
Elisa Verdier
Vous présentez plusieurs œuvres à cette occasion : TRANSCHRONIQUE, Testo balles et Corpographies, comment a été décidé la sélection et l’emplacement des œuvres en dialogue avec les commissaires ?
Les commissaires ont d’abord décidé du choix des pièces et leur emplacement. Etant donné que nous étions 42 artistes, il fallait orchestrer l’ensemble de la scénographie. Je suis arrivé 2 jours avant le vernissage et lespièces « TRANSCHRONIQUE » et « Testo balles » étaient déjà installées, j’ai en validé la disposition et pour« Corpographies » j’ai finalisé l’installation des câbles en réajustant si nécessaire. J’étais agréablement surpris par le résultat et la scénographie qui fonctionnait plutôt bien.
Elisa Verdier, vue de l’installation « Testo balles » Exposition Double Trouble, Art Emergence Artagon © Elisa Verdier
Connaissiez-vous d’autres artistes de la sélection ? Des points de convergence se sont-ils amorcés entre vous ?
Je ne les connaissais pas, ce qui est assez normal car nous sommes tous·tes récemment diplômé·es. C’était aussi l’occasion en ces 3 jours de rencontrer beaucoup de personnes et malgré cela on s’est tous·tes rendu compte via notre groupe WhatsApp que l’on n’avait pas eu le temps de vraiment échanger même si les réseaux sociaux peuvent permettre cela. Nous étions tous·tes pris par nos montages, ce qui ne laissait pas trop de place aux rencontres. Il se trouve que l’artiste exposée à côté de Corpographies, Emeline Amétis partage certaines convergences en termes de médium avec ce plaid en cyanotype et en termes de parcours : elle est diplômée de l’École de la photographie d’Arles, une école qui m’a toujours intéressé. Tous les travaux ont à la fois leur singularité avec des convergences éventuelles autour de certaines thématiques proposées par les commissaires.
Elisa Verdier, vue de l’installation Corpographies, chapelle des Jésuites, Nîmes Exposition des diplômé.es ESBA Nîmes © Elisa Verdier
Corpographies a d’abord été présentée à la chapelle des Jésuites de Nîmes : pouvez-vous nous en décrire les enjeux ?
L’installation qui se veut immersive, reste adaptable selon le contexte d’exposition allant de 7 écrans d’origine pour Nîmes à 5 pour Romainville avec ces très nombreux câbles qui dessinent sur le sol des sortes de rhizomes, de réseaux qui connectent l’installation au lieu mais aussi au public.
Sur les écrans, 14 photographies sont diffusées en boucle sous forme d’un diaporama. Ce sont à l’origine des photographies Polaroïd de fragments de mon corps prises il y a quelques années selon une approche expérimentale de la photographie que je défends autour de détournements de moyens analogiques associés à un intérêt pour les effets de matière et de texture. J’ai été altérer ces Polaroïds chimiquement et thermiquement. Ils se sont mis à brûler, à fondre ou à changer de couleur à certains endroits. Je les ai ensuite passé de l’argentique au numérique en les scannant pour en conserver une trace. Je me suis alors rendu compte que je pouvais zoomer à l’intérieur un peu comme un microscope et j’ai pu observer de nouveaux paysages, loin des photographies originelles. Une sorte de cartographie sensible s’est dessinée sous mes yeux avec l’impression d’un nuancier de matières, de couleurs, de formes et des images très picturales. Une sorte d’ambiguïté se fait et l’on ne sait pas exactement ce que l’on regarde, comme si c’était fait par l’IA ou de l’ordre de la science-fiction, une dimension qui revenait aussi beaucoup dans ce lieu aussi fort qu’une chapelle. Le choix du titre Corpographies a une terminaison qui renvoie aux techniques d’explorations médicales du corps : radiographie, écographie… Une installation que je vois un peu comme un monstre aussi parfois, très impressionnante, ce qui m’angoisse toujours au moment de l’installation.
Ces images ont également été présentées à Arles à l’occasion du festival Off et prix Révélation : comment avez-vous accueilli cela ?
C’était une belle reconnaissance et opportunité dans le cadre de ce prix avec la Kabine et la SAIF. J’ai réalisé que mes images pouvaient être montrées seules et pas uniquement dans le cadre de l’installation.
Elisa Verdier, TRANSCHRONIQUE courtesy de l’artiste
Votre démarche a une large part autobiographique, intime et personnelle, diriez-vous que votre travail est politique ?
Mon travail est politique que je le veuille ou non. Il est même politico-poétique. Même si je suis quelqu’un d’assez calme, on m’a un jour fait la réflexion que je foutais le bordel dans les espaces d’expositions mais avec douceur, ce que je trouve assez juste ! J’aime beaucoup cette expression et cette idée de bousculer les codes, bousculer l’espace, avec des visiteur·euses qui ne sont pas forcément sensibles aux théories queer et aux corps trans. C’est pour ça aussi que d’exposer Corpographies dans un lieu aussi chargé que la chapelle des Jésuites à Nîmes, même désacralisée, était un acte très fort.
Pour revenir à TRANSCHRONIQUE : quelle est la vocation de ce projet ?
C’était l’objet de mon mémoire de fin d’étude aux Beaux-arts qui prenait la forme d’un journal que j’ai écrit de janvier à juillet 2023 pour retracer mon parcours de transition médicale par le prisme de ma mammectomie, (ablation de la poitrine pour avoir un torse plat) et tout ce que j’ai pu vivre à travers cette expérience avec ma famille qui agissait comme une micro-société en première ligne avec moi. J’ai eu cette chance d’être très accompagné par mes proches car il convient de souligner que très peu de personnes queer et trans sont accompagnées par leur famille. Je convoque aussi ma pratique artistique, mes ami·es et la société de façon globale à travers ce qu’il se passe sur les réseaux sociaux. Étant suivi sur Instagram et TikTok par toute une communauté, j’ai voulu retranscrire tout ce que je vivais à cette période-là, en y entremêlant des voix d’artistes et d’auteur·ices queer mais pas que, découvertes lors de mes recherches et lectures avant l’écriture du mémoire et qui m’ont soutenu et accompagné. Pendant cette phase préparatoire, je surlignais dans les livres les extraits marquants, et notamment chez Paul Preciado qui s’est révélé très important pour moi et que l’on retrouve beaucoup. Ces extraits de lecture apparaissent un peu comme des fantômes sous la forme d’encadrés en pointillé avec un appel de notes. Les extraits sont repris sur la jaquette qui entoure le livre, chacune des citations étant prédécoupée, ce qui permet de les détacher et les remettre à leur place dans le journal. C’est un livre qui se veut transformable en lui-même pour offrir une expérience autant de contenu que de contenant sous une forme plastique aboutie. Je cherche à présent à le faire éditer, ce qui est assez complexe si l’on veut maintenir et trouver le bon équilibre entre le fond et la forme.
Elisa Verdier en écoute FOMO_Podcast 🎧
Elisa Verdier, vue de l’installation Corpographies (détail).
Instagram de l’artiste :
https ://www.instagram.com/elisa.verdier/
Infos pratiques :
Art Émergence
L’exposition Double trouble
Jusqu’au 2 novembre
Chaufferie de la Fondation Fiminco & Réserves du Frac Île-de-France
43 Rue de la Commune de Paris, Romainville
Entrée libre et gratuite
Festival / Maison des métallos
Parcours / 30 ateliers, collectifs d’artistes