FOMO VOX

« Sourdre » Claudine Monchaussé à la Verrière, Bruxelles. Interview Nicolas Bourthoumieux

Vue de l’exposition de Claudine Monchaussé « Sourdre », La Verrière 2025 © Adagp, Paris, 2025 

© Isabelle Arthuis / Fondation d’entreprise Hermès

Joël Riff depuis son arrivée à la Verrière, Fondation d’entreprise Hermès, défend le principe du solo-show augmenté constituant un subtil réseau de correspondances et d’affiliations particulièrement opérant autour de la sculptrice Claudine Monchaussé ayant fait de La Borne sa terre d’élection dans les années 1960. Le titre de l’exposition « Sourdre » qui signifie aussi bien « naître, surgir » que « se lever, se dresser » traduit ce face à face avec ces silhouettes stoïques dont les scarifications croisent symboles de fertilité, art africain et statues-menhirs du musée de Fenaille (Rodez) comme le souligne Renaud Régnier, son ami et assistant, partie prenante dans la reconnaissance de cette artiste du grès et des flammes, tenace et sans concession. Dans la composition imaginée par Joël qui se déroule de façon magistrale dans l’espace de la Verrière, figure à ses côtés la céramiste pionnière Marie Talbot, l’artiste Germaine Richier, et du côté des contemporains : le duo montaincutters et les sculpteursNicolas Bourthoumieux et Damien Fragnon.

Nicolas Bourthoumieux qui a été invité à réaliser une série de photographies de l’atelier berrichon de Claudine, orchestre une déambulation dans l’espace à partir de dispositifs hybrides à la fois fonctionnels et artistiques, qui accueillent les créations de la céramiste. Il revient sur le défi que représentait cette commande, les échos et correspondances qui se font et la longue discussion entamée avec Joël depuis une résidence à Molly Sabata en 2021. Établi à Bruxelles dans l’emblématique espace des Brasseries de l’Atlas dont l’architecture brutaliste renvoie au passé industriel du début XXeme et à la tradition brassicole, Nicolas a fondé avec Julien Dumond le duo Noir Métal, exposé à la Verrière en 2023 (Cristof Yvoré). La persistance des formes dans l’histoire de l’art, le rapport à l’éphémère et à l’absence, les phénomènes invisibles du cosmos, traversent sa pratique, entre sculpture et photographie, rétive à toute forme de catégorisation. Il a répondu à mes questions dans le grand atelier du quartier d’Anderlecht. 

Marie de la Fresnaye. Comment avez-vous accueilli l’invitation de Joël Riff ?

Nicolas Bourthoumieux. J’avais découvert le travail de Claudine Monchaussé à l’occasion de son exposition à la galerie Camoufleur à Lille en 2022. J’étais assez impressionné de pouvoir exposer mon travail aux côtés de sa démarche. Depuis la découverte de ses céramiques, cela était resté ancré dans ma rétine, la rigueur, la puissance des formes, l’honnêteté de l’engagement… Les enjeux étaient forts et surtout d’ordre émotionnel. 

MdF. Comment avez-vous cherché à investir l’espace même de la Verrière et susciter une déambulation des corps et des regards ? 

NB. Cela a été un travail conjoint avec Joël Riff. Je lui ai proposé les formes avec une envie de gris et d’une sensation que l’on pourrait trouver dans un temple ou une architecture sacrée, assez orthogonale. Ensuite j’ai voulu prendre en compte la course du soleil pour que les pièces de Claudine Monchaussé soient dans la lumière directe. A partir de là, Joël est venu faire quelques ajustements et a organisé l’agencement des sculptures sur mes pièces. L’accrochage favorise des multiples points de vue avec des phénomènes d’éclipse, de moirage. Si l’on commence dans le blanc, on ressort avec une gamme plus colorée, les pièces de Claudine ayant des couleurs très vives. Cela nécessite de s’en approcher et d’avoir une relation intime avec elles. 

Vue de l’exposition de Claudine Monchaussé « Sourdre », La Verrière 2025 © Adagp, Paris, 2025 

© Isabelle Arthuis / Fondation d’entreprise Hermès

MdF. « Toile de fond » est l’œuvre qui nous accueille : quels en sont les enjeux ? 

NB. C’est une œuvre réalisée à deux avec ma compagne Lily Sato, designeuse textile et costumière et qui menait des recherches sur les teintures naturelles au moment de la genèse du projet. 

Je ne souhaitais pas que l’exposition se livre en un seul regard dès l’arrivée dans l’espace et lors de mes recherches je suis tombé sur ce que l’on appelle des draps d’honneur dans les tableaux de la Renaissance (Giotto notamment). Un dispositif scénique utilisé pour situer les saints, la Vierge et tout le cortège non plus sur un fond abstrait de feuilles d’or comme au moyen age et de motifs mais désormais dans un paysage situé. Il fallait isoler ces personnages divins du paysage et des éléments terrestres. Cela faisait sens avec le travail de Claudine d’isoler cette pièce de la même manière que la Vierge l’était dans les tableaux du Quattrocento tout en restant dans une forme très simple et une structure qui rappelle le format de la porte d’entrée de la Verrière. Lily connaissant aussi bien l’espace de la Verrière que la démarche de Claudine, a proposé un tissu à base d’étamine, filtre utilisé dans l’alimentaire, qu’elle a très légèrement teinté avec du choux rouge pour arriver à une teinture non pas blanche ni grise mais très légèrement bleue venant répondre au sol et à la charpente métallique du lieu. Le résultat fonctionne car lorsque l’on arrive dans la boutique, l’étamine filtre mais révèle en creux la sculpture située derrière. C’est une adresse lancée au regardeur. 

MdF. Qu’est ce qui se joue avec « Of Course I still Love You » ? 

NB. Cette sculpture rejoint les recherches que je mène sur les premières formes connues de représentation symbolique comme le zig zag, la dent de scie ou la ligne brisée qui sont apparues très tôt. Des formes qui perdurent à toutes les époques. Le point de départ est une gravure sur  le fossile de coquillage de Trinil, une île en Indonésie, qui remonte à 450 000 ans avant notre ère (Homo erectus) et dont la découverte n’a été attestée que récemment à partir de recherches pendant l’inventaire de la collection du musée de Leiden aux Pays Bas. C’est au moment de la prise de vue photographique que certains aspects se sont révélés attestant de son origine. J’ai eu l’opportunité dans le cadre d’un projet de contacter la scientifique à l’origine de cette découverte : Josephine Joordens, co-autrice d’un article dans la revue Nature. Un motif qui tient à la fois d’un élément architectural que d’éléments plus spontanés de l’ordre du gribouillage pendant une conversation téléphonique. Une forme récurrente que j’ai mise en volume et par extrapolation, j’en suis venu à faire des variations rejoignant des éléments préexistants aussi bien dans l’histoire de l’art avec la colonne sans fin de Brancusi ou le Broken Obelisk de Barnett Newman…A partir de simples variations ou changements de technique on peut ainsi aboutir à une forme nouvelle qui s’inscrit dans une lignée préexistante. 

MdF. Le titre induit un effet déceptif ?

NB. Oui dans sa répétition dans un rapport au couple, à la dualité. C’est une sculpture qui bégaie, elle est deux fois-là !

MdF. Allons vers la pièce « Sunset »

NB. Je tiens à préciser que les titres en anglais s’expliquent par un contexte de monstration à l’international. 

Sunset induit un jeu de mot avec cette sphère dorée très simple qui peut renvoyer à James Lee Bayer ou d’autres artistes du courant Minimal qui est maintenue au mur simplement par la tension du câble. C’est la relation physique des forces en présence qui permet l’installation. En anglais setting signifie l’accrochage, celui du soleil par le biais d’un outil souvent présent dans l’espace de l’atelier ou la sphère domestique, le câble ou le tendeur. 

Vue de l’exposition de Claudine Monchaussé « Sourdre », La Verrière 2025 © Adagp, Paris, 2025 

© Isabelle Arthuis / Fondation d’entreprise Hermès

MdF. Votre travail pose la question du statut de l’œuvre : comment le définiriez-vous ?

NB. C’est un travail impur, à la fois fonctionnel et au-delà. Faut-il parler de socle pour autant ? Je n’en suis pas sûr. Cela reste indéfini et même une fois que les éléments sont réunis comme des couples, il est encore possible d’imaginer une nouvelle version. Des superpositions, des juxtapositions comme celles que vous avez vu à l’atelier. Il s’agit plutôt d’ajouter que de retirer. 

MdF. Quelles sont vos méthodes d’investigation et de recherche ?

NB. Je procède un peu par rêverie ou divagation autour de questions de physique ou d’astrophysique, des phénomènes pas forcément visibles. Lorsque je créé une sculpture, je m’intéresse à la matière et comment elle se comporte dans l’espace qui peut être celui de la paume de la main ou celui du cosmos. Petit à petit et en prenant du recul, on se retrouve confronté à des questions macro ou microscopiques. Ce sont des va et vient permanents. 

MdF. En ce qui concerne la série de photographies argentiques réalisées sur place à l’atelier de Claudine Monchaussé : comment avez-vous procédé ?

NB. En effet la photographie est une pratique qui remonte au tout début de mon travail et dès mon adolescence. C’est Joël et la fondationqui a ont  suggéré cette rencontre avec Claudine à la Borne. Cela permettait d’échanger aussi autour de mon projet de sculptures. J’avais une complète carte blanche. Cette rencontre au départ assez impressionnante a très vite été une évidence comme si l’on se connaissait depuis longtemps. Si l’atelier est très photogénique à l’image d’une grotte, l’enjeu était de ne pas refaire les mêmes images que celles réalisées par Anthony Girardi pour le livre/ publication aux éditions Sylvain Courbois. J’ai alors regardé autour de l’atelier : son jardin, la cheminée extérieure de son four qu’elle partage avec Claude, son compagnon et aussi une cabane de Jeannou la fille de son assistant Renaud, dans la forêt tout proche. Pour donner un effet très graphique, j’ai choisi une pellicule très contrastée, presque comme une gravure comme c’est le cas avec celle de Germaine Richier.

MdF. Autre objet : « Le prototype de fauteuil suspendu »

NB. C’était une volonté de Joël qui connait également mon travail assez proche du design. Ce fauteuil est conçu à partir de rebuts de l’exposition qui m’avait été consacrée au CWB en 2021. Avec ces restes de production, j’ai construit une assise suspendue ce qui créé un effet de balancement. Elle est à la fois très dure dans la forme mais également légère et confortable. 

MdF. Vous disposez à l’atelier d’une matériauthèque dans cette idée de recyclage des formes 

NB. Ce sont des éléments qui sont là aussi pour faire travailler le regard. C’est comme une présence. Au final, ce ne sera pas obligatoirement l’objet qui sera incarné dans une exposition mais sa sensation qui va conduire à une sculpture ou une installation. 

MdF. Vous privilégiez le temps long photographique en choisissant l’argentique 

NB. La photographie argentique suggère en effet l’idée de revenants avec une attente, un délai pour que l’image apparaisse. Un décalage temporel qui est déjà significatif. Il y a toujours dans mes photos des préoccupations de sculpture et inversement dans mes sculptures, des préoccupations de photos avec entre les deux des liens de cadrage, de doubles, de négatif, de temps d’exposition, de lumière… 

Avec les sculptures et installations il s’agit de mettre en volume ce qui n’est pas visible à l’image alors qu’en photographie il s’agit de croquis pris sur le vif.

Si c’est exceptionnel pour ce projet car il s’agissait d’une commande d’images je vais en général chercher dans mes archives quel type d’images peut faire sens ou conduire à un autre point de vue que celui de l’installation.

MdF. Les Brasseries Atlas : à quand remonte les débuts de l’aventure ? 

NB. C’est lors de mes cours de vidéo à la Cambre que j’ai rencontré un certain nombre d’artistes installés à la Brasserie qui m’ont proposé de les rejoindre dans ce lieu unique.

MdF. Quelle philosophie habite les membres ?

NB. Nous ne sommes pas un collectif. Nous n’avons pas d’identité et fonctionnons de manière organique voire anarchique. C’est la responsabilité de chacun.e qui est engagée en tant qu’individu et non un groupe. Cela tient un peu du miracle !

MdF. Comment est née la collaboration avec Julien Dumond et le duo Noir Métal ?

NB. Nous travaillons avec Julien depuis 2020 au départ dans une visée alimentaire. Nous avons mis notre savoir-faire de ferronnier à disposition d’autres artistes en matière de soclage, de cadre ou de sculpture. Nous avions de plus, le réseau et l’habitude des enjeux d’une exposition et les multiples détails auxquels sont confrontés les artistes. Nous avons très vite eu de nombreuses commandes Un accompagnement du croquis jusqu’à la pièce finale, que permet la taille de notre atelier. Avec les surplus de matériel pour la production de ces commandes, nous avons commencé à réaliser notre mobilier et nos éléments de scénographie. Petit à petit on nous a demandé en plus de production artisanale de penser à des espaces et de réaliser des scénographies, notamment à la Verrière. C’est comme cela que Noir Métal est né. 

MdF. Comment Joël Riff a-t-il découvert Noir métal ? 

NB. Noir métal a eu une première exposition en 2023 dans un artist run space à Bruxelles intitulé Plagiarama c’est là que que Joël a découvert notre travail. Il nous a ensuite demandé de réaliser la scénographie pour l’exposition « Coi » de Christof Yvoré en 2023. 

MdF. Quels sont vos autres projets-actualités ?

NB. Avec Noir métal nous participons à l’exposition collective chez DS Galerie à Paris autour des peintures de Peter Marcasiano, Joël ayant contribué aux textes du catalogue. On reste en famille !

De plus nous ouvrons une exposition à la galerie Claire Gastaud à Clermont Ferrand en duo avec Milène Sanchez que nous avions rencontré à la Verrière lors de l’exposition de CristofYvoré. 

De mon côté je participe en octobre à la Biennale SILLON (Drôme) qui réunit 160 artistes à partir du 11 octobre, à l’invitation de Michel François et Léane Lloret, commissaires. Je fais partie de l’exposition « Nage Libre » à la piscine de Dieulefit. 

MdF. Bruxelles / Berlin : même vision ? 

NB. C’est toujours surprenant car la grande majorité des gens ne savent pas pourquoi ils ont atterri à Bruxelles et ni pourquoi ils y restent ! Si l’on compare avec la ville de Berlin où j’ai vécu à la fin au milieu des années 2000 il y a un truc à Bruxelles très réaliste plus que surréaliste qui colle souvent à la capitale belge. Nous sommes directement confrontés au réel avec tout son cortège de problèmes concrets, à l’opposé d’une ville qui est en représentation comme peut l’être Berlin, presque comme un personnage de théâtre. J’ai pu voyager au Mexique qui partage certaines correspondances, le climat mis à part autour de trouvailles dans la rue, dans les poubelles. Un côté bricolage que l’on retrouve chez le belge Francis Alÿs. Pour résumer je dirais que Bruxelles a plus l’esprit Dada qu’onirique.

Infos pratiques :

« Sourdre », Claudine Monchaussé

Jusqu’au 13 décembre 2025 

La Verrière 

Fondation d’entreprise Hermès 


Boulevard de Waterloo 50
1000 Bruxelles

Entrée libre
du mardi au samedi
de 12 heures à 18 heures

https://www.fondationdentreprisehermes.org/fr/projet/sourdre-la-verriere

Quitter la version mobile