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Et Coco Chanel invente le style Riviera, ses « années folles » au Nouveau Musée National de Monaco 


Vues in situ de l’exposition «Les Années folles de Coco Chanel » au Nouveau Musée National de Monaco Crédit NMNM-Andrea Rossetti/Héctor Chico

Si Deauville sert de toile de fond à Gabrielle Chanel pour ouvrir sa première boutique, c’est sur la Riviera à Monte-Carlo notamment, qu’elle cristallise ce qui va devenir un véritable manifeste lors d’une décennie décisive sur laquelle se penche Célia Bernasconi au Musée National de Monaco alors que la Villa La Pausa (Roquebrune-Cap-Martin) vient d’être restaurée par la Maison Chanel. Avec « Les années folles de Coco Chanel » il est question d’émancipation sur fond de loisirs et d’imaginaire lié aux stations balnéaires, le vêtement devenant prétexte à une posture et ligne simplifiée qu’immortalise Kees Van Dongen (« Femme debout aux courses ») Chanel devenant son propre modèle, prônant une vie saine et active et empruntant au vestiaire masculin les pièces qui lui manquent, comme le souligne la commissaire.

Au même moment la Principauté sous le règne du Prince Albert Ier est synonyme de sport et de modernité avec l’organisation des premières Olympiades féminines et une passion pour les sports mécaniques comme en témoigne le photographe Jacques-Henri Lartigue, tandis que l’Opera accueille les Ballets Russes de Diaghilev pour plusieurs saisons. Inaugurant une deuxième boutique au luxueux Hôtel Hermitage en 1914, Chanel perçoit le potentiel de cette station huppée où elle va mettre à profit ces principes pionniers bientôt adoptés par une riche clientèle en villégiature éprise de mouvement et de vitesse, qui pratique volontiers le golf, le tennis ou l’équitation.

Baigneurs profitant des beaux jours, 1920. Photographie sur plaque de verre, 13 × 18 cm. Archives Monte-Carlo SBM © MONTE-CARLO Société des Bains de Mer

La marinière en jersey empruntée aux marins britanniques, la blouse pour être les mains dans les poches, le canotier orné d’un ruban noir de nouveau inspiré par l’uniforme marin tout comme les rayures bleu marine, le pantalon ample et fluide : son style croisière s’assortit de bijoux fantaisie, autre rupture et d’une peau bronzée qui s’accompagne du lancement des premières gammes de beauté pour le sport et lotions de bronzage. C’est également en 1921 que Chanel lance son parfum, le célèbre Numéro 5, encouragée par le grand-duc Dimitri Pavlovitch Romanov de Russie qui lui présente Ernest Beaux parfumeur français né à Moscou.


Vues in situ de l’exposition «Les Années folles de Coco Chanel » au Nouveau Musée National de Monaco Crédit NMNM-Andrea Rossetti/Héctor Chico

Dans le passionnant chapitre de « la scène » l’on découvre Chanel dans le rôle de mécène auprès de toute une scène russe et slave exilée qui sera une grande source d’inspiration dans sa vie et ses créations. 

A l’occasion de la présentation du Train Bleu, opérette sans paroles de Cocteau qui parodie les liens entre le style de vie mondain, le sport et la danse, Chanel est invitée à imaginer les costumes des danseurs. Présentés dans l’exposition ces maillots de bain en laine tricotée sont une révélation. Le Train Bleu, chorégraphié par Bronislava Nijinska est joué à Monte-Carlo à l’ouverture de la saison 1925, aux côtés du ballet Les Biches, dont Marie Laurencin a conçu le rideau, les décors et les costumes. La toile de Picasso, les Baigneuses, peinte à Biarritz en 1918 à l’occasion de son voyage de noces avec la danseuse des Ballets russes Olga Khokhlova, témoigne de ces correspondances fécondes entre arts, danse et mode. 

Gabrielle Chanel à Biarritz, vers 1920 © CHANEL – Collection Bernstein – Grüber

La fascination entretenue par Chanel pour les Ballets Russes se manifeste également avec sa collaboration avec la maison Kitmir, créée à Paris par la grande duchesse Marie Pavlovna Romanova, brodeuse de talent. Chanel va jusqu’à lancer une « collection russe » en 1922 à partir d’une relecture du folklore salve traditionnel. Ce faisceau d’influences est nourri par une convergence transdisciplinaire autour d’artistes de la diaspora tels que Natalia Gontcharova Sonia Delaunay ou Natalia Gontcharova. Cette intense créativité donne lieu à une 2ème collection russe alors que le futuriste géorgien Iliazd est engagé en tant que designer textile puis en charge de la création de l’usine des Tricots Chanel à Asnières-sur-Seine. Il va imposer sa vision géométrique et imaginer avec Sonia Delaunay les « robes-poèmes » et « tissus simultanés ». S’il n’est pas attesté que Gabrielle Chanel et Sonia Delaunay se soient rencontrées, elles anticipent toutes deux les jalons esthétiques de l’avant-garde. Ce dialogue est l’une des découvertes les plus fascinantes du parcours.

Madame d’Ora, La créatrice de mode Coco Chanel, avant 1923, Photographie gélatino-argentique, 21,8 x 16 cm. Museum für Kunst und Gewerbe Hamburg, © Estate of Madame d’Ora, Museum für Kunst und Gewerbe Hamburg

Petit détour en Grande-Bretagne et dans les Highlands écossaises sur l’impulsion du Duc de Westminster où Chanel réinvente et s’approprie le tweed, habituellement réservé aux gentlemen farmers qu’elle déleste de sa raideur. L’affiche du catalogue la représente photographiée par Madame d’Ora (studio découvert lors de la remarquable exposition du Pavillon Populaire de Montpellier) arborant un gilet reprenant les motifs du tweed.  

Focus sur ce qui va devenir un best seller, la petite robe noire créé en 1926 et déclinée à l’infini. Confectionné en satin, en crêpe de Chine ou en jersey, le modèle sera bientôt immortalisée par les héroïnes du » Jazz Age » de Scott Fitzgerald, un adepte de la Riviera.

Edward Steichen, Ina Claire portant une robe sans manche à décolleté profond en V brodé de perles et de paillettes argentées, conçue par Chanel. Vogue américain, 15 octobre 1924 © Condé Nast

C’est à la Pausa que Coco mène une vie simple et heureuse au milieu de sa colonie bohème aux côtés de : Salvador Dali et sa femme Gala, Winston Churchill, Misia Sert, Serge Lifar, Cocteau déjà installé dans le pavillon des invités.  Aidée par le duc de Westminster alors son amant, elle se décide pour ce domaine qui surplombe la baie de Monaco. Conçue au départ comme une résidence pour écrivains par le couple Alice et Charles Williamson, Chanel lance d’importants travaux supervisés par la Maison Jansen. Un reportage du Vogue Américain et des photographies prises par Roger Schall attestent de son style chic et impertinent, résolument intemporel.


Vues in situ de l’exposition «Les Années folles de Coco Chanel » au Nouveau Musée National de Monaco Crédit NMNM-Andrea Rossetti/Héctor Chico

Un prolongement du processus de réinvention constant du corps par Chanel est proposé avec l’invitation à l’artiste Chloé Royer qui pratique une sculpture hybride entre assemblages et ready-made. L’imaginaire associé au féminin est fortement questionné dans une ambivalence assumée des codes et des usages. L’immense collier de perles suspendu de la dernière salle est un clin d’œil agissant à la question du faux à l’œuvre chez Chanel. Une exposition dont la rigueur et l’élégance se fondent avec le décor panoramique de la Villa Paloma. Un immanquable de l’été !

Catalogue  « Les Années folles de Coco Chanel » publié par Hatje Cantz (Berlin), 224 pages, français, 48 €.

(disponible à la librairie-boutique de la Villa Paloma)

Infos pratiques :

« Les années folles de Coco Chanel » 

Nouveau Musée National de Monaco, 

Villa Paloma 

Jusqu’au 5/10/2025 

Exposition ouverte tous les jours de 11h à 19h

https://www.nmnm.mc/expositions/les-annees-folles-de-coco-chanel

A découvrir également au Nouveau Musée National de Monaco :

CACTUS, villa Sauber 

Jusqu’au 11 janvier 2026

https://www.nmnm.mc/expositions/cactus

Et au Grimaldi Forum :

Couleurs ! Chefs d’oeuvre du Centre Pompidou

https://www.grimaldiforum.com/fr/agenda-manifestations-monaco/exposition-couleurs-chefs-d-oeuvre-du-centre-pompidou

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