Korakrit Arunanondchai, nostalgia for unity, 2024 courtesy Bangkok Kunsthalle
Dans le prolongement de la Palme d’Or au festival de Cannes pour Apichatpong Weerasethaku, le Consortium Museum poursuit son soutien à la scène asiatique avec l’artiste et cinéaste thaïlandais Korakrit Arunanondchai à l’invitation de Franck Gautherot et Seungduk Kim, co-directeurs. Cette installation immersive et sonore hors norme produite pour l’occasion, a été financée par une fondation privée dans le cadre du nouveau programme Asia Pacific Society lancé à Singapour par le Consortium. Ce projet qui s’inscrit à la croisée de la sculpture, de la performance, de la peinture, a été imaginé par l’artiste lors de sa résidence à Paris à la Cité internationale des arts (Art Explora). Un « ghost cinema » selon les rituels animistes d’Asie du Sud Est dont la persistance fascine l’artiste qui les transpose en expérience, les corps humains de ce paysage sonore devenant le réceptacle d’une énergie en combustion. Une première occurrence ayant eu lieu à la Bangkok Kunsthalle, centre d’art situé dans une ancienne imprimerie détruite par le feu, l’artiste est parti de ces cendres, qui, mélangées avec de la terre de Dijon, donnent naissance à « The blood of earth ». Sur un sol craquelé en une croute noire caramélisée, le visiteur est invité à déambuler au sein même des vibrations et des prières inscrites en caractères néo-gothiques tout le long de la surface : « The Ghost takes us by the hand/Decompose/The Boold of the earth Connects us all… » Comme une litanie psalmodiée incantatoire et réparatrice. Systèmes de croyance et récits sont au centre des préoccupations de l’artiste, les performances chamaniques étant selon lui une voie de résistance et de réparation à la colonisation des imaginaires et des architectures. Si le public français a fait une incursion dans son œuvre au Palais de Tokyo et à Lafayette Anticipations, cet opus dépasse les limites. Franck Gautherot et Seungduk Kim reviennent sur le modèle de financement innovant mis en place auprès de nouveaux collectionneurs asiatiques, alors qu’un catalogue sort pour l’occasion. Ils signent également une exposition monographique de l’artiste chinois Chen Fei, toujours avec le soutien de la M Art Foundation qui revisite l’art de la nature morte sous un angle très politique.
Marie de la Fresnaye. Quel est le contexte de ce projet conçu avec la M Art Foundation ?
Franck Gautherot. Aujourd’hui le financement des lieux culturels est un réel défi d’autant plus que le Consortium Museum est soumis à des contraintes climatiques qui font que le bâtiment nécessite d’être entièrement rénové. L’argent public diminuant de plus en plus il nous faut trouver d’autres solutions, comme l’argent privé. Il demande à être recherché là où il se trouve. L’Asie réunit un certain nombre de circonstances en ce sens. Or il se trouve que la région Asie Pacifique (Chine continentale, Malaisie, Indonésie, Singapour, La Corée…) se développe beaucoup avec des collectionneurs, artistes, institutions et lors de nos rencontres et échanges avec un certain nombre d’acteurs dans cette région, ils ont réalisé l’intérêt que représentait le soutien d’un lieu comme le Consortium. Tous ces mécènes sont déjà membres des trustee du MoMa, de la Tate mais mal identifiés parmi d’autres alors qu’ici ils en termes d’image, c’est très intéressant.
Seungduk Kim. Il y a plusieurs facteurs. Beaucoup de jeunes milliardaires de la région d’Asie sont liés à la net économie et plus connectés à des lieux comme le Consortium grâce aux réseaux sociaux. C’est un espace plus expérimental qui est devenu une marque en quelque sorte. Les jeunes collectionneurs veulent avoir un « musée du dimanche », ils se tournent plus volontiers vers des espaces qui défendent de nouveaux concepts. Ces collectionneurs millionnaires sont venus vers nous et ont trouvé notre proposition pertinente.
Korakrit Arunanondchai. La fondation privée et fondée par un créateur lié à l’industrie du jeu vidéo. Chaque fondation en Chine est privée ce qui est différent d’avec la France.
MdF. Qu’est-ce-que le programme Asia Pacific Society for Consortium Museum ?
SK & FG. Nous avons lancé l’année dernière à Singapour le programme Asia Pacific Society for Consortium Museum. Ces mécènes demandent des contreparties rapides autour d’un positionnement en faveur d’artistes de la région Asie mais avec déjà une visibilité internationale, ce qui est le cas de Korakrit. Pour résumer, ce programme réunit plusieurs mécènes et soutiens privés selon un modèle avant-gardiste pour la France.
MdF. Quels sont les liens de l’artiste avec le Consortium Museum ?
SK & FG. Nous avons déjà une belle histoire avec Apichatpong Weerasethaku co-produit par Anna Sanders Films, qui a obtenu la Palme d’Or à Cannes en 2010. Korakrit travaille avec plusieurs de ses collaborateurs comme son chef opérateur et sound designer qui sont venus pour imaginer l’environnement.
De plus la vocation première du Consortium était de produire de nouvelles œuvres, des véritables projets. Le monde ayant changé et la peinture ayant pris le dessus, le concept d’origine a évolué. Nous voulions remettre notre bleu de travail il y a 20/30 ans et faire de nouvelles productions mais les conditions ne sont plus les mêmes. Ce n’est plus Fred Sandback qui vient avec ses pelotes de laine dans ses poches ! c’est toute une équipe qui se déplace de Bangkok avec des salaires… ce qui demande un réel investissement financier. Pour amortir notre engagement nous allons garder cette installation pendant un an, ce qui donnera l’occasion de réinviter l’artiste et d’animer l’œuvre autour de performances, de créations musicales, toute une série d’évènements…
KA. Je dois souligner que ce projet n’aurait pas pu être imaginé ailleurs. Même s’il y a eu une première occurrence à Bangkok fondation également privée, le bâtiment était abandonné. Le monde de l’art devenant de plus en plus conservateur, il est difficile de pouvoir imaginer une exposition de type uniquement expérimentale et immersive. Si le format immersif a envahi les salles d’exposition, le contenu n’a plus aucune valeur. L’objectif est uniquement de faire de l’argent.
SK. C’est pourquoi nous devons relever le défi dans le champ de l’art et proposer d’autres approches.
MdF. Combien de personnes ont travaillé sur le projet ?
KA. L’équipe se compose de trois musiciens et un programmateur lumière. Mais la partie musicale que vous entendez a été conçue par moi et 15 performeurs.
MdF. Quelles sont les sources d’inspiration du projet ?
KA. Je travaille autour de l’idée métaphorique de fantôme et d’invisibilité et leur régime d’apparition interstitiel. Je cherche à retranscrire la pensée animiste à l’architecture, notamment en ce qui concerne les ruines coloniales pour penser le bâtiment comme un corps autour de rituels non religieux.
C’est pourquoi quand vous vous déplacez à l’intérieur de l’œuvre le son vous entoure mais il n’est pas digital. C’est un processus spécial comme une capsule, un sonar. Cela dépasse l’expérience qui est devenue quelque chose de galvaudé. Chaque fois que la lumière s’arrête, c’est comme un fantôme de Godard.
Il s’agit à travers ce sol craquelé et caramélisé de reconnecter la terre au ciel à travers les cendres solidifiées. Le sol contient une mémoire et une potentialité d’éveil comme un Phoenix qui renait de ses cendres.
J’ai conçu l’ensemble du projet lors de ma résidence Art Explora à Montmartre il y a un an où j’ai fréquenté de nombreuses églises comme lors de mon enfance, ce qui représentait alors une forme d’oppression. Imaginer cette œuvre a été une manière pour moi d’accueillir certains aspects de ces sentiments refoulés dans le sillage d’Edouard Glissant et de Simon Weil dont la pensée m’habite.
L’idée est pour moi de trouver une spiritualité dans le versant négatif et inversé de l’existence.
MdF. Abordons à présent l’artiste Chen Fei : le contexte du projet
SK & FG. C’est également un projet soutenu par M Art Foundation. C’est un artiste chinois que nous avons découvert à l’occasion de l’exposition collective du Centre Pompidou de la jeune scène chinoise. Même s’il est formé à l’Académie du film de Pékin, nous avons sélectionné principalement des peintures de natures mortes. L’artiste n’a pas fait d’étude à l’étranger. Au-delà d’un aspect décoratif, l’univers nous semblait intéressant. C’est une peinture très figurative même si nous le soupçonnions d’être plus malin et inventif. Cela s’est vérifié car s’il connait très bien l’histoire de l’art et vient du manga, qu’il collectionne, de même que Korarkrit. Ses références sont donc très codées à la fois dans le symbolisme chinois mais aussi dans les références à la nature morte hollandaise et flamande.
Il faut vraiment s’approcher de près pour découvrir toutes les implications politiques, ce que l’on ne réalise pas du premier coup d’œil. Tous les détails ont une signification.
Il convient de préciser qu’en Chine, les artistes sont issus soit du prolétariat soit de milieux très aisés. Il n’y a pas de classe moyenne. Il vient d’une famille très aisée qui travaille proche du gouvernent, ce qui est contradictoire et très intéressant. C’est pourquoi certaines de ses peintures impliquant de la nudité par exemple n’ont jamais été montrées en public. Le plat de grenades qui représente la carte de la Chine est un sujet très complexe car répondant à des codifications strictes. Il ne pourra pas rentrer dans le pays. La scène avec les bouddhas avec la figure du Dalaï- lama a été masquée lors de son exposition. C’était comme les peintres de la fin de l’Union soviétique qui challengeait le réalisme socialiste à travers des codes twistés, ce qui nous échappait complétement. Les natures mortes aux fruits sont à l’image de la Scène du Christ dont il a enlevé les personnages. C’est plus sarcastique qu’il n’y parait. Nous allons faire un catalogue à l’occasion de l’exposition qui sera assez original avec les propres commentaires de l’artiste autour des codes et des symboles, confrontés à une lecture plus occidentale et un relevé fait par un botaniste de tous les fruits et légumes avec le nom de chaque espèce, décliné en chinois anglais et latin. Comme une sorte d’inventaire à l’intérieur du tableau. Cela nous intéressait de donner au-delà d’un contexte, d’autres pistes de lecture et d’interprétation. Le catalogue sera lancé au moment de la prochaine édition d’Art Basel.
MdF. Jean-Marie Appriou remplace Sarah Lucas dans la cour du Consortium, une autre histoire de liens
FG. Sa sculpture Crystal Moon (Orbital Vision) s’inscrit dans la série des « enfants astronautes » Nous avons proposé en 2019 sa première exposition en France. De plus, étant membre du jury 1% de l’École Normale Supérieure à Saclay j’ai proposé les candidatures de Tobias Pils, Jean-Marie Appriou, Charles Meaux et Matali Crasset. Les sculptures de Jean-Marie sont installées sur des bassins du jardin central de l’école, ce qui est tout à fait fascinant.
Infos pratiques :
Nouvelle saison
Korakrit The Blood of the Earth
Commissariat : Franck Gautherot et Seungduk Kim
Chen Fei, Grand Lobby
Commissariat : Franck Gautherot et Seungduk Kim
Andreas Schulze,
Commissariat : Éric Troncy
Genesis Tramaine, Facing Giants
Commissariat : Éric Troncy
Jusqu’au 2 novembre 2025
Œuvres de la collection : I Walk the Line
Consortium Museum
Académie Conti
Galerie Sardine
« Ternura y Fuerza »
Commissariat : Valentina Akerman
Domaine de la Romanée-Conti