Vue d’exposition, « Éprouver l’inconnu. Saison Art et Science», MO.CO., Montpellier, 2025. © Joey Holder. Courtesy de l’artiste. Photo : Marc Dommage
Alexis Loisel-Montambaux est co-commissaire avec Pauline Faure et Anya Harrison, de la saison art & science du MO.CO. sous l’impulsion de Numa Hambursin, directeur. Articulée autour de l’exposition : « Éprouver l’inconnu » (MO.CO. principal) et complétée par les monographies d’Ivana Bašić et de Pierre Unal-Brunet, cette saison ambitieuse engage des regards croisés entre les artistes et un comité scientifique. Alexis revient sur les spécificités de cette démarche, la méthodologie employée et les œuvres co-conçues à cette occasion de manière inédite.
Plusieurs points de convergence se dessinent qu’il nous détaille autour de la place de l’aléatoire, de l’accident, de la sérendipité selon une vision spéculative et sensible à partir du riche patrimoine de l’Université de Montpellier en botanique, anatomie et pharmacie du Moyen-âge à nos jours. Il a répondu à mes questions.
Comment vous êtes-vous répartis les rôles entre commissaires et scientifiques ?
Numa Hambursin à l’origine de cette saison nous a donné carte blanche en tant que commissaires tandis qu’un comité scientifique a été constitué en parallèle, en partenariat avec l’Université de Montpellier et le CNRS. Dans un premier temps, nous avons prospecté parmi les nombreuses expositions et initiatives sur le sujet, les artistes qui nous semblaient intéressants ou qui n’avaient pas été valorisés sur le sujet ou peu montrés en France, laissant de côté certains perçus comme immanquables, tout en prenant en compte les spécificités de Montpellier. Cela nous a conduit notamment aux collections de l’Université et aux différents laboratoires de recherche dont certains sont représentés dans le comité. De cette première étape de prospection nous avons présenté au comité nos pistes de réflexion à la fois théoriques et esthétiques autour de différents champs d’expérimentation possibles. Nos échanges avec les membres du comité se sont construits autour de ce qu’il pouvait y avoir de commun et non de différent entre art & science et c’est ce qui nous distingue sans doute d’autres expositions. Parmi les artistes proposés au comité des goûts ou des sensibilités ont émergé, ce qui nous a conduit à mettre à disposition des artistes avec qui nous échangions la liste des membres du comité, des laboratoires et des ressources (herbier numérisé par exemple) afin qu’ils puissent se nourrir de cette histoire, notamment autour de nouvelles productions. Si l’on prend par exemple l’installation « Charybdis » de Joey Holder, Benoit Charlot, directeur de recherche au CNRS, (Institut d’Électronique et des Systèmes), a eu un coup de cœur autant d’un point de vue esthétique que des sujets abordés par l’artiste comme l’éthique à avoir en matière de prélèvements. Nous les avons alors mis en contact lors d’une visio conférence, ce qui a donné naissance au projet d’une nouvelle œuvre qui s’est concrétisée à partir de l’imagerie fournie par le laboratoire, des visites de l’artiste sur place pour élaborer tout le processus… Nous avons d’ailleurs eu le soutien de Fluxus Art Projects pour cette première installation de Joey Holder produite pour une institution française.
La particularité de cette saison transversale autour d’une même équipe curatoriale travaillant sur les deux lieux en simultanée représentait un vrai challenge mais permettait aussi d’ouvrir sur des sensibilités et des préoccupations communes et non d’imposer un ordre. De plus une diversité esthétique et plastique a été favorisée par notre profil intergénérationnel entre commissaires.
Isabelle Andriessen, Ghouls, 2024, courtesy de l’artiste. Vue d’exposition, « Éprouver l’inconnu. Saison Art et Science », MO.CO., Montpellier, 2025.
© Isabelle Andriessen. Courtesy de l’artiste. Photo : Marc Dommage
Quels points de convergence sont apparus entre les artistes et les scientifiques ?
Il se dégage tout d’abord une importance donnée au collectif autour de l’idée d’équipes, de laboratoires de recherche comme pour un certain nombre de collectifs ou d’artistes dans l’exposition dont les œuvres sont issues d’une collaboration.
Également et comme cela est suggéré par le titre de l’exposition « Éprouver l’inconnu » il y avait l’idée d’expérimenter, de mettre à l’épreuve, de ressentir selon cette part d’intuition et de subjectivité qui existe également dans les sciences. Un aspect assez peu mis en valeur et assumé comme l’ont souligné les membres du comité au nom d’une soit disant objectivité –souvent biaisée et valorisant un prisme occidental – qui s’impose au détriment de certains partis pris ou regards autour des sciences qu’elles soient dures ou humaines.
Artistes et scientifiques connectent des idées entre elles, transforment les hiérarchies et brouillent notre perception sensible. Ils vont chercher plus loin ou à côté, explorent ce que nous ne voyons pas (l’intérieur des organes, l’au-delà du ciel, le microscopique, l’olfactif), manipulent les éléments pour faire émerger ce à quoi nous n’avions pas pensé.
Autre croisement possible autour de l’aléa, de la sérendipité ou de l’accident étant donné la part de non-contrôle et d’échec sur laquelle on va pouvoir rebondir pour apporter de nouveaux résultats. Cela concerne la démarche de Morgan Courtois et ces parfums créés avec Isabelle Parrot, Professeur en chimie des parfums au sein du laboratoire de l’université.
Vue d’exposition, « Éprouver l’inconnu. Saison Art et Science », MO.CO., Montpellier, 2025. © Yunchul Kim. Courtesy Yunchul Kim / Studio Locus Solus. Photo : Marc Dommage
Une double lecture est proposée autour des cartels des salles
En effet nous avons travaillé avec le comité scientifique autour des cartels pour qu’ils offrent également un regard scientifique en permettant à certains chercheurs d’écrire autour de ces domaines croisés selon un travail d’identification que nous avons mené au préalable. Par exemple John de Vos, directeur du jardin botanique de Montpellier a écrit sur des œuvres incluant des plantes comme avec l’installation du collectif « Plant Sex Consultancy ». Ces textes scientifiques n’ont pas été modifiés en accord avec les artistes, ce qui veut dire que nos textes curatoriaux fonctionnement en miroir pour apporter un complément. On réalise d’ailleurs que certains textes des scientifiques sont très sensibles et fonctionnent comme des poèmes.
Ivana Bašić, Passion of Pneumatics, 2020-2024. Courtesy de l’artiste. Vue d’exposition, « Metempsychosis. Ivana Bašić », MO.CO. Panacée, Montpellier, 2025.
© Ivana Bašić. Courtesy de l’artiste. Photo : Marc Dommage
Pour l’exposition Metempsychosis d’Ivana Bašić, l’œuvre principale « Passion of Pneumatics » a-t-elle été créée pour l’exposition ?
L’installation « Passion of Pneumatics » qui est l’aboutissement de 4 ans de recherches, a d’abord été montrée lors de la première itération de son exposition au Schinkel Pavilion à Berlin. Elle se voit réadaptée et complétée à Montpellier par d’autres œuvres.
Sous quel angle se fait l’inspiration et le rapport à la Renaissance dans cette œuvre ?
Le cœur de la sculpture est constitué par ce morceau d’albâtre qui est percuté par un système de valves sous pression, de marteaux synchronisés. Des formes encapsulées qui renvoient à l’iconographie du Cœur Immaculé de la Vierge Marie que l’on trouve dans les reliquaires de la Renaissance italienne. Mises sous un verre arrondi, ces formes viennent rayonner. Une forme très allégorique qui est obtenue selon un processus très industriel et scientifique et un paradoxe lié à l’histoire des sciences et des croyances.
Le titre de l’exposition « Metempsychosis » suggère quelque chose d’assez immatériel
Toute cette matérialité qui se trouve sous nos yeux serait en fait le résultat d’un phénomène de l’ordre immatériel, en l’occurrence le souffle (« pneuma ») qui fait appel à de nombreuses cosmogonies et à cette idée d’un esprit divin qui par son souffle donne vie à une autre entité mais également de notre propre souffle. Ce titre incarne la théorie des âmes qui vont habiter plusieurs corps et circuler.
Vue d’exposition, « Prodrome. Pierre Unal-Brunet », MO.CO. Panacée, Montpellier, 2025. © Adagp, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste. Photo : Marc Dommage
Comment l’exposition de Pierre Unal-Brunet est-elle augmentée après une première version au CCCOD ?
Pour le MO.CO. Panacée nous sommes partis d’un corpus d’œuvres commun avec le CCCOD mais modifié de deux façons.
D’une part nous avons totalement réorganisé ces œuvres pour les penser sous forme de taxinomie sensible par gamme chromatique et ressenti plutôt que de procéder par classement d’espèces vivantes. Selon une hypersaturation graduelle, du plus minimal au plus maximal (bleu, violet, orange, vert et gris-noir final), chaque salle est marquée par une colorimétrie particulière à travers ces caissons lumineux conçus in situ par l’artiste qui réagissent au principe d’eutrophisation ou d’« asphyxie des milieux aquatiques. » Chaque signal révèle l’état de santé du biotope. Le clignotement des caissons lumineux augmente au fur et à mesure de chaque salle comme ces éclairages au lampion utilisés en pêche qui viennent attirer les espèces, une métaphore des réactions des écosystèmes avant leur extinction.
Que suggère le titre « Prodrome » ?
Cela signale un signal sur un changement d’état à venir selon un discours non pas pessimiste ou moralisateur construit sur une possible régénération après le déclin, selon une échelle de temps qui nous dépasse.
Quel est le rapport à la science de Pierre Unal-Brunet ?
L’artiste s’inspire de documentaires, d’articles scientifiques et a rencontré lors du processus de préparation Nicolas Mouquet, directeur du Cesab (Centre de Synthèse et d’Analyse sur la Biodiversité) et échangé autour de notre rapport au changement des écosystèmes et aux espères selon une idée d’empathie sélective. Pierre va partir d’espèces marines qui le fascine comme les pleuronectiformes qui donnent aussi le nom d’une de ses séries. Il s’intéresse à la fois à leur forme finale en tant qu’organisme adulte qu’à leur migration oculaire issue d’une transformation morphologique inédite. Une forme d’étrangeté du monde vivant qui lui sert de point de départ et dont il va faire une représentation plus sensible.
De la même manière chacune de ses toiles correspond à une espèce ou un phénomène comme les vessies natatoires des poissons par exemple. Il mélange des schémas ou des mèmes que l’on trouve sur le net qu’il compile. Une toile correspond à un dossier sur son ordinateur, un phénomène ou une espèce, que petit à petit, il détourne par strates pour en tisser un récit plus spéculatif ou poétique.
Vous avez rejoint l’équipe curatoriale du MO.CO. il y a 2 ans, qu’est-ce-qui vous a séduit dans cette opportunité ?
Plusieurs facteurs. D’une part l’inscription du MO.CO. au sein d’un modèle mixte assez unique en France, entre centre d’art, de recherche, école et collection. De plus c’est une institution qui fait le lien entre la mise en valeur d’artistes émergents, de la scène régionale et une programmation internationale selon un principe d’enrichissement mutuel. La pluralité de regards au sein de l’institution est également un facteur décisif pour moi. Numa Hambursin conçoit la programmation avec l’équipe curatoriale ce qui permet l’existence de plusieurs voix au sein de MO.CO. et ce qui en fait aussi sa force.
Autre particularité également autour de la prise de risque de l’institution et la place laissée à l’expérimentation, en termes de production d’œuvres selon l’envergure des expositions et de publications associées comme c’est le cas autour de Pierre Unal-Brunet et possiblement de l’exposition « Éprouver l’inconnu ».
Un travail d’édition qui est parfois laissé en marge dans un contexte de réduction des coûts alors qu’il contribue à valoriser un temps long.
Infos pratiques :
Saison art & science
Éprouver l’inconnu
MO.CO.
Pierre-Unal Brunet, Prodrome
Ivana Bašić, Metempsychosis
MO.CO. Panacée
Commissariat de la Saison : Pauline Faure, Anya Harrison, Alexis Loisel-Montambaux, Deniz Yoruc
Sous la direction artistique de Numa Hambursin
Jusqu’au 18 mai
Lire en complément : Interview Numa Hambursin (lien vers)
à venir :
Françoise Pétrovitch et Jean-Marie Appriou