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Suzanne Valadon au Centre Pompidou : audace et radicalité d’une féministe avant l’heure !

Suzanne VALADON La Chambre bleue, 1923 
Huile sur toile, 90 × 116 cm  Don Joseph Duveen, 1926 
Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, LUX.1506 P, en dépôt au musée des Beaux-Arts de LimogesCrédit Photo : Centre Pompidou, MNAM-CCI/Jacqueline Hyde/ Dist. GrandPalaisRmn

Autodidacte, Marie-Clémentine Valadon devenue Suzanne sous l’impulsion de Toulouse Lautrec, son amant, traverse le siècle des Ismes (Impressionnisme, Fauvisme..) tout en s’affranchissant des codes de la société et de la peinture. Son destin et sa modernité en font une personnalité à part que célèbre le Centre Pompidou Paris dans le sillage de l’institution messine, l’exposition étant itinérante. Si le musée d’art moderne a consacré un premier hommage dès 1948, cela peut paraître étonnant que ce soit le Centre Pompidou et non le musée d’Orsay qui consacre la peintre, même si son œuvre s’engage résolument du côté des avant-garde. 

Fille d’une blanchisseuse, Suzanne est acrobate puis modèle dès l’âge de 14 ans pour subvenir à ses besoins. Autodidacte, elle apprend auprès de ses maîtres : Renoir, Puvis de Chavannes jusqu’à ce que Degas la fasse rentrer dans sa collection et l’encourage à se lancer en voyant ses dessins. La Butte Montmartre est un carrefour artistique intense et Suzanne non bourgeoise, peu fréquenter les cafés, des lieux d’échanges et d’expérimentations. Sa rencontre avec André Utter, un ami de son fils de 20 ans son cadet qui devient son amant et mari, va être décisive. Elle va imposer cette relation adultérine et scandaleuse pour l’époque alors que son fils sombre dans l’alcoolisme et va révolutionner le nu masculin à travers celui qui devient une grande source d’inspiration. 

Vue de l’exposition Suzanne Valadon, Centre Pompidou Paris, Crédit photo Audrey Laurans

Si l’on prend l’œuvre à valeur de manifeste « Joie de vivre » de 1909, elle va à l’encontre des bacchanales classiques uniquement féminines en introduisant cet élément masculin qui détourne le voyeurisme. Ces femmes ne sont pas offertes au regard, elles se prélassent et jouissent de l’instant. Elles n’ont rien de passif, à rebours de ce que l’on appelle aujourd’hui le male gaze. Avec « Adam et Eve » de la même année, les conventions sociales et codifications esthétiques sont également mises à mal. Des corps de grande taille sont entièrement nus, le sexe de l’homme étant caché au dernier moment à la demande du Salon dont elle est la première femme à être admise. Le visage d’Eve est libéré du poids du péché de la tradition biblique, le serpent, symbole du mal est également absent. Nulle idéalisation des corps. L’on sent une osmose de ces amants et un érotisme sous-jacent dans cette nature en harmonie. Suzanne Valadon transgresse d’autant mieux qu’elle a connu cette expérience de modèle au sein des ateliers. Elle a surmonté les obstacles nécessaires à sa propre émancipation d’artiste femme. Le tableau va déclencher de nombreuses réactions violentes. 

Suzanne VALADON Adam et Eve, 1909 
Huile sur toile, 162 × 131 cm  Achat de l’État, 1937 
Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Inv. AM 2325 PCrédit Photo : Centre Pompidou, MNAM-CCI/Bertrand Prevost/ Dist. GrandPalaisRmn

Suzanne Valadon va apporter une véritable rupture dans la présentation du nu féminin. Son réalisme sans complaisance accompagne les différents states de beauté de la femme de la puberté avec les portraits au miroir jusqu’à « L’autoportrait aux seins nus » réalisé à l’âge 66 ans, frontal et sans concession. 

Suzanne VALADON
Autoportrait aux seins nus, 1931 
Huile sur toile, 46 × 38 cm 
Collection particulière, Suisse
Photo © Akg-images
 

Les attitudes et poses des femmes ne répondent pas aux attentes des hommes. Les sexes ne sont jamais épilés, grande audace pour l’époque qui renvoie au scandale de l’Origine du monde. Leurs regards fixent le spectateur comme avec la « Vénus noire » de 1919 qui reprend pour mieux les désamorcer les codes de l’Olympia de Manet sans tomber dans le piège de l’exotisme.

Si l’on s’arrête sur le chef d’œuvre que représente La chambre bleue (1923), Suzanne reprend de nouveau les conventions pour les retourner. L’Odalisque d’Ingres, nonchalante et oisive, est remplacée par une femme qui fume dans un lit en désordre, vêtue d’un simple pyjama avec un corps dont les rondeurs et les plis ne sont pas cachés. Son regard est résolument tourné vers elle-même, perdu dans une sorte de rêverie à la suite de sa lecture. Une vraie émancipation et « chambre à soi » pour paraphraser le titre choisi par Chiara Parisi, directrice du Centre Pompidou-Metz qui a été l’instigateur de cette mise en lumière.

Vue de l’exposition Suzanne Valadon, Centre Pompidou Paris, Crédit photo Audrey Laurans

Si Suzanne réalise au départ des portraits majoritairement de ses proches afin de ne pas avoir à rémunérer de modèles, elle répond, une fois célèbre, à de nombreuses commandes bourgeoises. Elle privilégie les portraits de femmes comme Nora Kars, l’épouse du peintre tchèque Georges Kars également représenté par la galeriste Berthe Weill qui va soutenir et lancer la carrière de Suzanne et devenir l’amie du couple. Elle leur rend visite dans le château qu’ils achètent dans le sud de la France. Le trio diabolique ou infernal qui défraie la chronique a chacun son atelier. 

Les périodes au château de Saint Bernard sont évoquées dans le parcours à travers paysages et natures mortes. Suzanne profite intensément de la nature. Elle regarde du côté de Cézanne dans une grande liberté. Les bouquets de fleurs vont prend plus de place à la fin de sa vie.

Quelques contemporaines sont présentées comme Marie Laurencin (1883-1956), Juliette Roche  (1884–1980) ou Jacqueline Marval (1866 – 1932) même si cela apporte peu à la lecture de l’ensemble. 

Dernière toile de l’exposition « Le lancement de filet » à valeur de testament si l’on peut dire. Elle se confronte à l’exercice considéré comme le plus noble des genres comme le souligne Xavier Rey, directeur du Centre Pompidou à travers le passionnant Podcast de l’exposition. Dans ce grand format, le corps d’Utter, athlétique et musclé, est représenté pour le désir en quelque sorte de Suzanne et du spectateur au milieu d’autres hommes. Elle opère un renversement complet. Le corps de l’homme est objectivé et l’on songe à Caillebotte et ses baigneurs érotiques.  Le sexe visible et frontal a été recouvert par un filet.  Toute la scène baigne dans une sorte d’hédonisme, les corps sont en mouvement annonçant le proto-cinéma et les travaux de Muybridge. D’une grande modernité.

Femme rebelle, Suzanne Valadon n’a de cesse de décider de sa vie et de sa peinture dans une époque marquée par les assignations et limitations faites aux femmes et créatrices. Son rôle de pionnière est enfin réévalué dans ce magistral parcours. 

A compléter par une visite à l’atelier-appartement de Suzanne au 12, rue Cortot à Paris, l’actuel musée de Montmartre. 

Il faut profiter du Centre Pompidou avant sa fermeture pour 5 ans à compter de septembre 2025 !

Infos pratiques :

Suzanne Valadon

jusqu’au 26 mai 2025

11h – 21h, tous les lundis, mercredis, vendredis, samedis, dimanches
11h – 23h, tous les jeudis

Billetterie

TN 17€ / TR 14€

https://billetterie.centrepompidou.fr/selection/

https://www.centrepompidou.fr/fr

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