Vue de l’exposition « Le Verre », La Grande Place (Saint-Louis-lès-Bitche), 2023 © Olivier H Dancy / Fondation d’entreprise Hermès
« Le cœur, la tête, la main » est le titre du programme d’engagement solidaire réservé aux collaborateurs de la Maison Hermès (H³), c’est aussi ce qui caractérise la démarche de Laurent Pejoux, directeur de la Fondation d’entreprise Hermès et de l’Action Culturelle et Solidaire auprès d’Olivier Fournier, Président. Deux volets autour d’un mécénat et d’un geste philanthropique en forte croissance autour du pouvoir transformateur des savoir-faire et de la valorisation du vivant. Parmi les priorités que se fixe la Fondation pour ce nouveau mandat : la volonté d’aller vers de nouveaux publics, de révéler de nouveaux talents et de favoriser plus de décentralisation, à l’échelle de l’hexagone et au-delà. En termes de nouveautés, le programme de soutien international à la photographie « Latitudes » dont Laurent Pejoux nous dévoile les contours et les résidences d’artistes au sein des manufactures de la Maison orchestrées désormais par une commissaire, l’historienne de l’art Emmanuelle Luciani pour la période 2024-2025.
Si la transmission lui tient particulièrement à cœur de par son expérience et son parcours, Laurent Pejoux se réjouit de l’impact toujours plus grand des programmes de sensibilisation des scolaires (Manufacto, Manuterra) et du soutien des artistes de la scène en devenir (Transforme, Artistes dans la Cité). Il s’est entouré dans son bureau d’une photographie bouleversante de Mathieu Pernot prise en Syrie, de souvenirs liés à l’opéra et à l’Italie, autant d’indices révélateurs. Il a répondu à mes questions.
Titulaire d’un CAPEPS et d’un Master de Management des politiques publiques (Sciences Po), Laurent Pejoux a commencé sa carrière dans l’enseignement. De 2006 à 2012, il est responsable du programme pédagogique « Dix mois d’École et d’Opéra » à l’Opéra national de Paris. Il est nommé en 2013 directeur adjoint du cabinet du recteur de l’académie de Paris. En septembre 2018, il devient conseiller auprès de ce dernier ainsi que délégué académique aux Arts et à la Culture pour l’académie de Paris. Il rejoint la Fondation d’entreprise Hermès en mars 2020.
Marie de la Fresnaye. La Fondation d’entreprise Hermès lance un nouveau programme de soutien international à la photographie « Latitudes » aux côtés de la Fondation Henri Cartier-Bresson et de l’International Center of Photography, élargissant son spectre géographique avec la Côte d’Ivoire, premier pays à être mis en avant avec le photographe François-Xavier Gbré, pouvez-vous nous présenter son projet ?
Laurent Pejoux. La Fondation d’entreprise d’Hermès est très engagée dans le domaine des arts visuels, comme vous le savez, et notamment la photographie. Nous sommes le mécène principal de la Fondation Henri Cartier-Bresson. De plus, la photographie est très présente dans l’univers d’Hermès qui dispose de sa propre collection de photographies contemporaines, dont les oeuvres sont présentées au sein de nos magasins à travers le monde. Nous avions un espace dédié à la photographie dans notre magasin de Madison à Manhattan, sur le même modèle de galerie qu’à Bruxelles, Séoul ou Tokyo. Après la fermeture de cet espace new-yorkais, nous avons décidé en 2014 de créer le programme de commande photographique franco-américain « Immersion » dédié alternativement à un photographe français ou américain, pour la production d’une nouvelle série photographique, l’exposition de ce travail en France et aux Etats Unis et de l’édition d’un livre. Ce programme a duré 10 ans et a bénéficié à 6 lauréats. Dans le cadre de la mandature actuelle (2023-2028), nous avons décidé d’amplifier notre geste généreux à destination de la communauté photographique et ne plus se limiter à une relation bilatérale France-Etats-Unis avec une ouverture de ce prix au monde, en commençant par le continent africain et plus précisément la Côte d’Ivoire. Nous nous réservons aussi la possibilité d’aller sur d’autres continents, ce programme étant devenu une bourse de soutien à la photographie internationale. Nous opérons à trois avec nos partenaires historiques : la Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris et l’international Center of Photography, New York, dans un pays identifié ensemble et avons sélectionné déjà les deux premiers lauréats dont François-Xavier Gbré. L’intérêt est de déplacer la résidence non plus dans le pays commanditaire mais de faire confiance au photographe pour réaliser un projet dans son pays. François-Xavier Gbré, qui vit entre la France et la Côte d’Ivoire et a prévu de mener un projet autour de la ligne de chemin de fer Abidjan-Ouagadougou. Le long de ces rails, l’artiste nous propose d’embarquer avec lui dans un récit visuel le long de cette ligne de train, qui raconte de nombreuses d’histoires autant intimes qu’historiques ou politiques.
© François-Xavier Gbré
Outre deux expositions à la Fondation Henri Cartier-Bresson (Paris) en 2025 et à l’ICP (New York) en 2026, il est prévu un projet en cours d’élaboration en lien avec la scène artistique ivoirienne, et la publication d’un ouvrage coédité par l’Atelier EXB et la Fondation d’entreprise Hermès.
Rei Naito, matrix, 2010, Teshima Art Museum, © Ken’ichi Suzuki
MdF. Quels autres leviers la Fondation compte-elle mettre en œuvre pour favoriser cette politique d’expansion ?
LP. Il convient de préciser que nous bénéficions d’un double budget, à la fois d’Hermès Sellier et d’Hermès International. Ce budget a été en forte augmentation entre la 3 et 4èmemandature, passant de 40 à 60M d’euros, gage de la confiance renouvelée de la maison. L’important pour moi à mon arrivée était tout d’abord de saluer ces quatre gestes : un geste de création, de transmission, un geste solidaire et un geste protecteur de l’environnement. À la faveur de mes différentes rencontres avec les partenaires, les bénéficiaires, les administrateurs de la Fondation, j’ai trouvé important que l’on approfondisse ces quatre sillons en les amplifiant.
En matière de création nous avons évoqué le programme « Latitudes », nous sommes également un grand mécène du spectacle vivant en France dans l’aide à la création et production des œuvres. Au fil de mes échanges avec nos différentes partenaires, j’ai senti un besoin supplémentaire, suite au Covid, de soutenir les créateurs dans la diffusion de leurs œuvres. Il faut savoir qu’en moyenne une œuvre chorégraphique se limite souvent à 7 représentations. La maison Hermès est présente sur tout le territoire à travers 50 manufactures et il nous semblait intéressant avec Olivier Fournier, président de la Fondation, que ce geste généreux ne soit pas limité à Paris et sa région mais se déploie à cette échelle. C’est pourquoi nous avons décidé à travers le programme anciennement « New Settings », aujourd’hui « Transforme », d’accompagner les créateurs et de permettre la circulation de leurs œuvres. En plus du Théâtre de la Cité internationale à Paris, nous ont rejoint trois autres théâtres : les SUBS à Lyon, la Comédie de Clermont-Ferrand et le TNB à Rennes. Nous avons monté un comité de pilotage avec les directeurs, directrices de ces institutions pour décider ensemble une programmation qui favorise la diffusion des œuvres.
Dans le domaine de la transmission, nous menons deux programmes éducatifs ; d’une part « Manufacto la Frabrique des savoir-faire », et d’autre part « Manuterra, apprendre du vivant ». Dans les deux cas, il s’agit de sensibiliser les élèves sur le temps scolaire accompagnés des équipes pédagogiques et d’un artisan ou d’un jardinier à la réalisation d’un objet ou d’un jardin. Nous avons commencé Manufacto avec 3 académie en 2017 (Paris, Créteil, Nice) pour regrouper aujourd’hui 19 académies partenaires sur la quasi-totalité du territoire, avec une extension Outre-mer.
Manuterra connait également une véritable montée en puissance.
Les Compagnons du Devoir et du Tour de France sont le partenaire privilégié pour la mise en œuvre de Manufacto et Manuterra.
Nous pensons avoir répondu à un véritable besoin au sein de l’école : promouvoir les savoir-faire, l’artisanat et les gestes protecteurs de l’environnement.
Dans le domaine de la solidarité nous souhaitons être de plus en présents étant donné les problèmes croissants rencontrés.
MdF. Comment cela se traduit-il ?
LP. A travers deux directions. D’une part à travers le programme H³, « Heart, Head, Hand » qui permet à des collaborateurs d’identifier et de proposer des causes ou initiatives qu’ils souhaitent voir soutenues. Le programme n’est pas réservé aux 20 000 collaborateurs en France mais est ouvert à l’ensemble des collaborateurs monde. Si la proposition rentre dans les lignes directrices dont nous parlons depuis le début de cet entretien, que ce soit dans le domaine de la création, de la transmission, la protection de l’environnement ou de la solidarité, ce qui laisse beaucoup d’espace, nous allouons un budget qui se complète d’un mécénat de compétence qui peut être exercé auprès de l’association ou de la cause identifiée.
D’autre part, nous explorons l’opportunité de ne pas réserver à l’avenir nos programmes éducatifs uniquement au scolaire mais également aux acteurs du champ social.
MdF. Des artistes sont accueillis en résidences dans les différentes manufactures de la Maison, avec comme marraine 2024-2025, Emmanuelle Luciani, directrice artistique : quel est son rôle ? en quoi son profil rejoint-il vos missions ?
LP. Emmanuelle Luciani est historienne de l’art, commissaire d’exposition et fondatrice du Pavillon Southway à Marseille. Son profil incarne une évolution récente dans le choix des artistes qui participent aux résidences puisque auparavant les artistes étaient parrainés/marrainés par d’autres artistes qui jouaient le rôle de mentor. Nous avons décidé depuis 3 ans, de confier à un commissaire ce choix. Emmanuelle Luciani s’inscrit dans la continuité de Gaël Charbau. Pour cette première édition, elle a proposé l’artiste Jenna Kaës (ESAD de Strasbourg) pour la Maroquinerie La Tardoire à Montbron (Charente) et Mounir Ayache (Beaux-arts de Paris) au sein de la holding Textile HTH dans la région lyonnaise. Son rôle est d’identifier des artistes dont elle pressent que leur travail va pouvoir être alimenté par les savoir-faire de nos sites de production et vice et versa. Emmanuelle Luciani joue des tensions entre différentes temporalités passées et futures et favorise les métissages entre les techniques et les approches, l’art et l’artisanat.
C’est ce faisceau d’intérêts et de motivations qui nous a beaucoup plu et que sommes allés chercher.
En termes d’impact, un moment de célébration est toujours proposé pour que l’artiste puisse partager sa réalisation à l’ensemble de la communauté de la Manufacture.
De plus, nous avons décidé depuis 2 ans d’ouvrir et non plus de se limiter au site de production pour que la production de l’artiste fasse partie d’une exposition avec un commissaire dans une institution culturelle locale.
MdF. La Verrière, l’une des galeries d’exposition à Bruxelles sous la direction artistique de Joël Riff, est devenue une référence en art contemporain : comment se caractérise son visitorat ?
LP. Nous avons un public de fidèles depuis les 24 ans de l’existence de la Verrière et le rôle des différents commissaires : Alice Morgaine puis Guillaume Désanges et à présent Joël Riff contribuant à faire de La Verrière une référence.
Notre public est plutôt jeune et amateur de la scène artistique. Il peut s’agir aussi de clients de la boutique, curieux d’en savoir plus.
Nous avons à cœur de développer des actions en faveur d’autres publics également que ce soient des scolaires ou des associations du champ social.
MdF. Parmi les valeurs défendues par la Fondation il y a notamment la protection de la biodiversité à travers « Manuterra » : pouvez-vous nous en définir les contours ?
LP. Nous étions à un moment de croissance de « Manufacto » à la 5ème édition du programme alors que le confinement est apparu avec une urgence à agir autour des enjeux liés à la protection de l’environnement et de la biodiversité. C’est lors d’un séminaire d’équipe à la Saline royale d’Arc-et-Senans, à la frontière du Jura et Doubs, que nous avons imaginé ce dispositif pédagogique de sensibilisation des plus jeunes au monde vivant. Ce moment marque un bel exemple de décentralisation. Nous avons modélisé à partir du même concept de 12 séances de 2 heures, réparties cette fois sur une année entière, la temporalité d’un jardin n’étant pas la même que celle d’un objet. Cette initiation à la permaculture commence en septembre pour arriver jusqu’à la récolte des premiers légumes ou la floraison des fleurs.
Nous étions déjà engagés dans cette sensibilisation des plus jeunes à la préservation du vivant à travers le programme de sciences participatives « Vigie-Nature école » en partenariat avec le Muséum national d’histoire naturelle. Suivant des protocoles précis, les élèves ont récolté des données (plantes sauvages, oiseaux…) que les chercheurs du Museum ont ensuite exploitées. Ce projet s’inscrit plus largement dans le programme « Biodiversité & Écosystèmes » de la Fondation.
Pélagie Gbaguidi, Chaîne humaine, 2022, pastels gras et crayons de couleur sur papier, 55 × 36,5 cm, courtesy de l’artiste, collection Kunstmuseum Basel © Peter Cox – Exposition à la Verrière, Bruxelles
MdF. Sur quels critères mesurez-vous l’impact de vos actions ?
Etant directement opérateurs auprès de nos bénéficiaires ou partenaires, nous pouvons mesurer l’impact de nos programmes et si l’action que nous proposons est transformante et répond à un besoin. Si l’on prend par exemple Manufacto, l’un des indicateurs est l’augmentation des demandes, or ce sont les Académies qui nous ont directement contactées en connaissant l’existence du programme pilote à Paris. Des indicateurs importants qui sont complétés par du chiffrage quantitatif. C’est pourquoi nous avons monté une convention nationale avec le Ministère de l’Education nationale et depuis l’année dernière, une convention-chapeau qui encadre tous les programmes éducatifs. Dans le cadre de cette convention nous avons demandé à avoir une évaluation quantitative du programme autour de son impact potentiel dans la scolarité et les choix d’orientation future. Cette étude est en cours sur 3 ans.
En ce qui concerne les arts de la scène, si l’on considère les 3 éditions de « Transforme », nous sommes passés de 11000 spectateurs en 2021 à 18 000 en 2023, soit un bond quantitatif de 7000 spectateurs en s’adjoignant l’action de plusieurs partenaires. L’on voit bien que dès lors que l’on identifie un besoin, un nouveau déploiement ou une nouvelle orientation de nos programmes, cela a des résultats.
MdF. Quel est selon vous un mécénat qui a du sens ?
LP. Comme je l’ai évoqué précédemment, nous sommes une fondation opératrice, dans le sens où nous créons et inventons des programmes menés de toute pièce et avons à cœur, dans une maison d’artisanat comme la nôtre, d’être dans le faire du geste philanthropique, généreux et solidaire pour répondre à un besoin et avoir un pouvoir transformant.
Portrait de Constance Guisset © Vincent Leroux – « l’Académie des savoir-faire »
MdF. Et de façon plus personnelle, si vous deviez ne retenir qu’une des actions de la Fondation : laquelle choisiriez-vous ?
LP. Il s’agit avant tout de la transmission car c’est de là d’où je viens étant enseignant d’origine. J’ai encore de nombreux contacts dans ce domaine, notamment d’anciens élèves. L’une d’entre elle m’a d’ailleurs retrouvé chez Hermès. Ce pilier de la transmission me parle particulièrement à travers deux programmes, d’une part « l’Académie des savoir-faire », un programme d’intelligence collective qui réunit des designers, des artisans et des ingénieurs autour d’une matière universelle dans une transversalité des pratiques et un partage des connaissances. Le groupe d’académiciens sélectionnés est placé sous la direction d’un designer ou architecte reconnu. Des conférences sont proposées ouvertes également au public, complétées pour les académiciens d’un workshop et de visites. L’autre programme est « Manufacto, la fabrique des savoir-faire » que nous avons abordé en détail précédemment.
MdF. Vous avez choisi pour votre bureau une photo très forte, qu’est-ce qu’elle révèle ?
LP. C’est sans doute l’état du monde, complexe, dur, que ce soit dans certaines parties du globe mais également en France. Il reste beaucoup à faire. Cette photo même si elle est empreinte de gravité avec ce paysage de ruine et de conflit, comporte une part de possible reconstruction et donc d’espoir. Mathieu Pernot, lauréat du prix de la Fondation Henri Cartier-Bresson 2019 que soutient notre Fondation, est retourné sur les traces de son histoire familiale entre le Liban, la Syrie et l’Irak. L’exposition « La ruine de sa demeure » dont est issue la photographie s’est tenue à la Fondation Henri Cartier Bresson en 2022.
Les actualités de la Fondation d’entreprise Hermès :
Septième édition de l’Académie des savoir-faire dédiée au papier. Conférences ouvertes au public réparties sur cinq samedis du premier semestre 2025
Exposition de Gretel Weyer à La Grande Place, musée Saint-Louis
Mai à octobre 2025
Exposition de Jenna Kaës au musée d’art contemporain de la Haute Vienne (Chateau de Rochechouart), dans le cadre du programme Résidences d’artistes.
1er mars au 6 juin
Exposition de Mounir Ayache au MACLyondans le cadre du programme Résidences d’artistes.
19 avril au 11 mai
Prochainement : Pélagie Gbaguidi, « Antre »,
La Verrière Bruxelles
15 janvier au 29 mars
https://www.fondationdentreprisehermes.org/fr/projet/exhibitions-verriere-hermes-bruxelles-2024
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