Vue de l’exposition « Francisco Tropa, Paésine »Nouveau Musée National de Monaco – Villa Paloma 06.12.24-21.04.25 Francisco Tropa Pénélope, 2024 Bronze Courtesy de l’artiste et Galerie Jocelyn Wolff, Romainville Photo : NMNM/Andrea Rossetti, 2024
En collaboration avec la Fondation Serralves, à Porto, le Nouveau Musée National de Monaco, Villa Paloma, propose une exposition sur mesure à l’artiste portugais Francisco Tropa qui trouve de nombreux échos au patrimoine culturel monégasque et dans les collections du musée comme le souligne Célia Bernasconi, Conservatrice en chef au NMNM et commissaire de l’exposition. Associant une multiplicité de mediums (sculpture, dessin, gravure, performances) et de formes à un intérêt pour la préhistoire, la géologie, l’ingénierie mécanique, les dispositifs d’optique, la mystique et les phénomènes de croyance, l’artiste nous tend une série d’énigmes et de trompe-l’œil dans une mise en abyme des principes même de la muséographie, notamment la réalité empirique. Un cheminement ascensionnel est proposé au visiteur entre théâtre d’ombres et allégorie de la caverne platonicienne. Les salles et les volumes sont volontairement perturbés par l’artiste.
Autant de mécanismes illusionnistes que nous décrypte Célia Bernasconi. Elle nous livre également en avant-première les contours de l’exposition qui ouvrira en juin 2025 intitulée « les Années folles de Coco Chanel » et consacrée à l’influence de la Côte d’Azur et de Monaco sur le processus créatif de Gabrielle Chanel.
Marie de la Fresnaye. Quelle est l’origine de cette collaboration avec la Fondation Serralves ?
Célia Bernasconi. Le projet s’est monté assez naturellement étant donné les liens entre nos deux institutions, Philippe Vergne, directeur de la Fondation Serralves faisant partie de notre comité des acquisitions et nous partagions, de longue date, un intérêt commun pour l’œuvre de Francisco Tropa.
MdF. Quelles sont les particularités de chacune des expositions ?
CB. Elles sont liées aux contextes et architectures de chacun des lieux, très différents. La Fondation Serralves bénéficie de très grands espaces en regard de la Villa Paloma, il a donc été nécessaire d’imaginer cette rétrospective en répartissant les œuvres selon les choix de chaque commissaire. A la Fondation Serralves deux projets très importants sont exposés : L’Assemblée d’Euclide et l’Enigme de RM . De grande envergure et intégrant une dimension performative, ils nécessitaient de mobiliser deux grandes salles, ce qui n’aurait pas été possible ici. La Fondation Serralves présente également une dimension plus rétrospective, présentant avec un espace dédié aux première œuvres de Francisco, les « prototypes », des œuvres des années 1990 à 2000.
En revanche nous avons pu concevoir à la villa Paloma un parcours cousu main avec l’artiste, ce qui était un avantage et avons choisi les œuvres en fonction des espaces. Des pièces qui sont de plus, très liées au contexte monégasque. Des œuvres plus récentes aussi.
Les deux expositions sont très complémentaires entre Porto et Monaco. Elles donneront naissance à une publication monographique, la première d’envergure consacrée au travail de Francisco Tropa et nous en sommes très heureux.
Vue de l’exposition « Francisco Tropa, Paésine »Nouveau Musée National de Monaco – Villa Paloma 06.12.24-21.04.25 Francisco Tropa Che vuoi ?, 2024 Bronze, corde, fer, métal, bois, sérigraphie Courtesy de l’artiste et Galerie Jocelyn Wolff, Romainville Photo : NMNM/Andrea Rossetti, 2024
MdF. Quels échos et correspondances avec le contexte monégasque ?
CB. Au fur et à mesure des échanges et visites d’atelier, je me suis rendue compte que certains domaines de pensée qui traversaient toute la pratique de Francisco Tropa trouvaient un écho particulier à Monaco : l’archéologie, la culture classique, l’ethnographie mais aussi cet intérêt pour le paysage géologique qui environne la Villa Paloma notamment la grotte de l’Observatoire qui fut habitée à l’époque Paléolithique et qui a amené un fil conducteur autour de l’art préhistorique, des vénus, des mains négatives… et d’autre part ces pierres « paésine » qui se trouvent en Italie, toute proche, et qui ont donné le titre à l’exposition. Ce titre nous plonge directement dans les différentes strates du temps. Les drapeaux qui flottent au-dessus de la Villa Paloma comme un signal reprennent aussi le motif des agates, qui parcourt toute l’exposition.
Également, le goût de l’artiste pour les machines et les automates rejoint les collections du musée.
MdF. Le concept d’anarchéologie traverse l’ensemble de l’exposition : pouvez-vous nous en décrire les ressorts ?
L’exposition est pensée comme une sorte de grotte, de caverne platonicienne à rebours du discours muséographique rationnel. Un espace déconstruit, ni chronologique, ni thématique qui s’inscrit dans l’héritage de Foucault et du concept d’ « anarchéologie », soit une déclassification et déconstruction de l’histoire et de l’histoire de l’art. Il s’agit d’une recherche d’un passé qui se libérerait du pouvoir, du savoir, pour s’en remettre à l’artiste qui nous guide dans un espace d’expérimentation incertain, entre les figures tutélaires d’Edgar Alan Poe, Raymond Roussel ou Jorge Luis Borges.
MdF. La sculpture Pénélope, visible dès l’extérieur du musée, telle une vigie, ouvre sur l’un des champs d’expérimentation de l’artiste, comment cela se joue-t-il ?
CB. Cette sculpture installée devant le musée, traduit l’un des fils d’Ariane que nous avons voulu développer au sein du travail sculptural de l’artiste, de son choix de privilégier la représentation des stéréotypes féminins à travers les âges à partir de différentes figures classiques, canoniques, revues sous une approche expérimentale et artisanale de la matière. Ce que Georges Bataille appelait le bas matérialisme. Les sculptures de l’artistes sont nées du processus lui-même sous l’impact de la transformation des matériaux et du côté de l’informe plus que de la ressemblance. Elles reposent sur la dégradation graduelle du modèle initial à partir d’une technique de la fonte au sable.
MdF. Que lui permet cette technique de la fonte au sable ? En quoi consiste-t-elle ?
CB. Tropa n’est pas sculpteur de formation mais il s’est inspiré du travail des fondeurs. Le procédé de la fonte au sable le passionne particulièrement car il est très archaïque et ne repose que sur quelques éléments naturels non transformés : le sable, le bois, l’eau et le feu. De plus, cette technique permet une exactitude quasi parfaite dans le rendu d’une sculpture en bronze par rapport à son modèle. Ce qui l’a intéressé tout particulièrement dans le process est la découverte du noyau, créé à partir du moule, de la matrice, toujours en sable. Le noyau est aussi appelé le mâle dans cette dialectique importante pour l’artiste où le mâle ainsi altéré échappe à la ressemblance de la matrice. Le noyau est ce qui forme l’intérieur ou le vide de la sculpture en bronze, une partie qui est destinée à être jetée. Or le noyau est la forme qui l’intéresse le plus, puisqu’elle interroge les limites de la représentation : le modèle est défiguré jusqu’à ce qu’il perde sa ressemblance tout en conservant la reconnaissance du sujet. C’est ce qui aboutit à des figures comme Pénélope ou Oco , qui signifie « Creux ». En vis-à-vis de ces figures altérées, une petite vénus préhistorique est présentée en rotation, comme un automate avec en arrière-plan une reproduction d’une pierre paésine sous la forme d’une sérigraphie. La technique sérigraphique elle aussi fait écho à la formation géologique de cette image par sédimentation, imprégnation… Toutes ces couches de pigment qui viennent copier la pierre.
MdF. L’œuvre Che Vuoi ? [Que veux-tu ?] ouvre le parcours : les enjeux et la place du visiteur
CB. Ce mur de brique dressé dans la cage d’escalier, soutient une potence d’où est suspendu un seau rempli de charbon. Dans un clin d’œil à Magritte, il s’agit de ce que l’on croit voir mais en réalité et comme très souvent chez Francisco Tropa, tout est factice. Nous sommes face à d’un de ses nombreux trompe-l’œil. Le mur est constitué de briques sérigraphiées sur du bois, le sceau et le charbon sont en bronze. Le tout questionne ce point central de l’œuvre : l’illusion et le rapport à la réalité.
Jacques Lacan reprend la formule « Che Vuoi ?», issue du Diable Amoureux de Jacques Cazotte, dans son séminaire sur le désir. Dans le contexte de l’exposition, il s’agit d’illustre le rapport que l’on entretient avec l’œuvre d’art : l’artiste nous demande ce que l’on attend de l’art.
Vue de l’exposition « Francisco Tropa, Paésine »Nouveau Musée National de Monaco – Villa Paloma 06.12.24-21.04.25 Francisco Tropa TSAE (Site), 2013 Sérigraphies sur papier Untitled (Terra Platonica), 2013 Plaques de verre de Murano colorées, bois de larissa Agate, 2023 Lame d’agate, projecteur de diapositives Courtesy de l’artiste et Galerie Jocelyn Wolff, Romainville Photo : NMNM/Andrea Rossetti, 2024
MdF. Autre œuvre importante : Éclipse qui renvoie au projet de l’artiste pour la Biennale de Venise en 2011
CB. Dans ce qui ressemble à un cinéma proto historique, l’artiste détourne le principe d’une clepsydre, instrument de mesure du temps, avec l’image inversée d’une goutte d’eau qui se détache et apparait-disparait d’un écran, faisant du regardeur le témoin de ce moment suspendu, ce phénomène d’apparition. Les percées dans le mur réalisées par l’artiste avec ses projections d’agate qui sont des trous menant vers un espace autre, jouent également du principe de l’illusion du visible.
MdF. La sculpture en forme de momie Terra Platonica qui termine le parcours laisse un sentiment étrange CB. Il s’agit de la reproduction d’un squelette anatomique en position fœtale, liépar des cordes. Francisco Tropa s’est inspiré d’une photographie de l’ethnologue américain Edward Sheriff Curtis qui avait réalisé des enquêtes sur des peuples amérindiens au XIXème siècle. Le titre nous donne l’indice de ce qui se joue dans cette œuvre « Terra Platonica » qui rejoint la démarche de l’artiste autour des croyances humaines parfois très éloignées de la réalité empirique. « Terra Platonica » décrit une terre plate ou cubique selon les principes platoniciens. Un mythe qui croise celui de cet explorateur blanc qui, lors de ses campagnes photographiques imposait aux tribus son regard dans des mises en scène faisant parfois appel à des acteurs. Ces représentations sont parfois très éloignées de la réalité et de nouveau, ce qui intéresse l’artiste est la production d’un corps en bronze complètement désincarné. Ce qui se joue également est le rapport à l’au-delà comme avec l’ensemble des œuvres du 3èmeétage. C’est pourquoi cette sculpture est mise en relation avec le film sur la fabrication d’une boite par cette tribu amérindienne destinée à un rituel funéraire et intégrée à un grand totem ; il s’agit encore du devenir d’un corps après la mort et de la représentation de l’invisible.
MdF. Parmi les temps forts de 2025, l’exposition « Les années folles de Coco Chanel », dont vous êtes la commissaire, pouvez-vous nous en dévoiler les contours ?
CB. L’exposition ouvrira au mois de juin et retracera pour la première fois l’importance de la Côte d’Azur et de Monaco pour Gabrielle Chanel dans sa vie personnelle mais aussi son processus créatif. L’idée est de montrer comment le développement des stations balnéaires dans les années 1920 sur le littoral français : Deauville, Biarritz mais aussi la Côte d’Azur et tout particulièrement Monte Carlo vont lui permettre d’imaginer une nouvelle mode offrant aux femmes plus de liberté dans leurs mouvements, ce que l’on appelle aujourd’hui le sportswear, notamment par l’utilisation de certaines matières comme le jersey ou la transposition et reprise de modèles des marins dans le vestiaire féminin. Des vêtements de sport et d’extérieur qui permettent aux femmes de s’adonner aux loisirs en pleine expansion comme les bains de mer ou le golf et de s’affranchir des codes. Une véritable révolution influencée par ce mode de vie dans la Riviera. Monaco de manière plus personnelle a une grande importance dans son parcours. Elle y a beaucoup vécu et côtoyé de nombreux artistes liés aux Ballets Russes de Diaghilev qu’elle a soutenu et financé : Picasso, Cocteau, Stravinsky… On le sait peu, mais Gabrielle Chanel a créé une collection russe en 1922, que je souhaite rapprocher des travaux contemporains de Sonia Delaunay et Natalia Gontcharova, elles aussi couturières. De plus, Gabrielle Chanel va faire construire sa villa, « La Pausa » à Roquebrune Cap-Martin tout près de Monaco à partir de 1928. La Maison Chanel ayant racheté et entièrement restauré cette propriété ces dernières années, il nous semblait d’autant plus pertinent de célébrer ces années et ce territoire si particulier dans la création de Gabrielle Chanel.
Infos pratiques :
Francisco Tropa, Paésine
Jusqu’au 21/04/2025
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