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Une « brève histoire de fils » par Domitille d’Orgeval, Maison de l’Amérique latine

Olga de Amaral, Strata XII, 2008, lin, gesso,acrylique et feuille d’or, 205 x 180 cm, collection privée, Bruxelles. (D.R.)

Après MIRA, la stimulante foire d’art Latino à Paris, la Maison de l’Amérique latine accueille l’ambitieuse exposition proposée par Domitille d’Orgeval, commissaire, récemment interviewée autour de l’exposition Elles d’abord ! à l’Espace Art Absolument. Une histoire au féminin mais pas seulement de pratiques ancestrales qui combinées à des récits mythologiques puissants donnent libre cours à des techniques et dispositifs variés (tissage, nouage, teinture végétale) et à un regain d’intérêt actuel auprès des jeunes générations. Ce panorama témoigne de la vitalité de l’art sud-américain avec comme tête de file la colombienne Olga de Amaral qui bénéficie d’une exposition à la Fondation Cartier et fait partie de celles que l’on désigne comme les « Nouvelles Pénélopes » aux côtés de Sheila Hicks (exposée notamment à Art Basel Paris, entre autres) ou Magdalena Abakanowicz (Tate Modern..).

Le parcours dans une première partie au rez-de-chaussée revient sur les pionniers que sont les artistes vénézuéliens Gego et Jesus Rafael Soto. Gego, de son vrai nom Gertrud Goldsmith avait été exposée à la Maison de l’Amérique Latine en 2014, développe des œuvres environnements autour des réseaux métalliques arachnéens dans la lignée de Lygia Clark et de dessins en expansion nourris d’une réflexion sur la ligne. Jesus Rafael Soto, l’inventeur du cinétisme dans ses recherches autour de la vibration avec ces fils de fer posés à la surface du tableau, donne une place grandissante au spectateur aboutissant aux fameux Pénétrables. Moins connu, le chilien refugié à Paris, Ivàn Contreras Brunet sous l’influence de Soto, conçoit des grillages métalliques qui peints au pochoir, jouent d’effets de tactilité. Autre figure tutélaire, le péruvien Jorge Eielson qui est aussi écrivain et poète confronte le symbolisme des « quipus » interdits pendant la colonisation, à l’espace infini du monochrome. L’argentine récemment redécouverte, Inès Blumencweig dans une approche dynamique et vibratoire du ruban s’inscrit dans une lignée cynétique. A noter qu’elle avait bénéficié d’une exposition à la Maison de l’Amérique latine. Martha Le Parc qui n’est autre que l’épouse de Jeus Rafael (complètement occultée des radars !), selon les préceptes du Bahaus sa formation initiale, fait le lien entre l’artisanat et les maîtres de l’abstraction géométrique picturale dans de larges tapisseries qui intègrent de nombreuses bobines de ruban, son matériau de prédilection. 

Au sous-sol même si l’espace n’est pas optimal, le mélange des générations est très réussi. Parmi les œuvres commandées pour l’occasion, la création in situ du vénézuélien Milton Becerra, dans une vision cosmogonique et rituelle, défie les lois gravitationnelles. Il s’inscrit dans la mémoire indigène et dans la mouvance Anti Form. Les figures militantes de la chilienne Cecilia Vicuna et de la Brésilienne Anna Maria Maiolino, toutes deux récompensées à la Biennale de Venise, associent le fil à des manifestes politiques et idéologiques. Vicuna dans la vidéo Quipu Mapocho associe la mémoire de la vallée sacrée polluée à la résistance contre la privatisation de l’eau au Chili. Ses performances en pleine nature rejoignent celles de sa sœur d’arme la cubaine-américaine Ana Mendieta dans les grottes de Jaruco. Maiolino dans le film In-Out (Antropofogia) avec ces bouches avalant des fils comme empêchées suscite un certain malaise chez le regardeur. Comme un écho à la censure exercée par la dictature et à son statut d’exilée. 

Parmi les artistes contemporaines la guatémaltèque, Sandra Monterrosso se saisit des violences commises auprès des communautés indigènes de son pays et des dégradations des ressources naturelles dans de grandes compositions en laine inspirées des systèmes de pensées maya. 

La mexicaine Vanessa Enriquez à partir de bandes magnétiques VHS développe des réalisations in situ aux confins de l’architecture, du dessin et de la perception multisensorielle. 

Ancien ingénieur, Elias Crespin sensibilisé dans son enfance à la ligne au travers des œuvres de sa grand-mère Gego, mène une réflexion entre art et science à partir de mobiles électrocinétiques suivant des chorégraphies programmées par des algorithmes. Une danse sur le fil hypnotique qu’il a rejoué à l’occasion de l’exposition avec Danza de las catenarias II entre métal, laine et apesanteur. 

La franco-péruvienne Natalia Villanueva Linares (Beaux-arts de Paris) à partir de centaines bobines de fil récupérées et travaux d’aiguille mène une réflexion multiculturelle entre le Pérou, la France et les Etats-Unis où elle vit. L’accumulation et l’abondance, la mémoire et la transmission sont au cœur d’un récit en perpétuel construction. 

La franco-bolivienne Kenia Almaraz Murillo (Beaux-arts de Paris) a été initiée au tissage par Simone Prouvé. Dans ses tapisseries réalisées à partir de différentes sortes de fibres elle intègre des objets Pop lumineux (phares de camion, de scooters) à qui elle donne une seconde vie. Des associations atypiques entre savoir-faire traditionnel andin et l’art contemporain qui rencontrent un grand succès. 

La franco-péruvienne Laura Sanchez Filomeno que j’ai découverte à la Fondation Fiminco, dans la série Proliférations, développe un travail autour de la broderie et du cheveu à partir d’un incident personnel traumatique. Entre attirance et dégoût, naturel et artificiel, profane et sacré, ces cabinets de curiosité (doctorat en cours), ces hybridations, portent de nombreux questionnements en puissance. A noter que l’artiste fait partie du collectif Fiber Art Fever, plateforme d’artistes internationaux se revendiquant de cette sphère.

A l’ère de la dématérialisation il semble bien que le fil tout comme la céramique connaisse de beaux jours. Un attrait non démenti pour le faire qui prend chez ces artistes sud-américains souvent loin de leurs pays, des connotations singulières. Sans tomber dans le piège de l’essentialisation, cette exposition s’inscrit dans une relecture lumineuse des canons de l’histoire des avant-gardes autour du rôle joué par les femmes. Cela rejoint ma rencontre récente avec Gabriele Schor directrice, de la Verbund Collection et à l’origine du concept « d’avant-garde féministe ». Une visite s’impose à la Maison de l’Amérique latine. 

Liste des artistes : Kenia Almaraz Murillo, Olga de Amaral, Milton Becerra, Inés Blumencweig, Iván Contreras Brunet, Elias Crespin, Jorge Eielson, Vanessa Enríquez, Sidival Fila, Gego, Martha Le Parc, Anna Maria Maiolino, Sandra Monterosso, Laura Sánchez Filomeno, Jesús Rafael Soto, Cecilia Vicuña, Natalia Villanueva Linares.

Catalogue 110 pages, éditions Maison de l’Amérique latine, 15 euros, en vente à l’accueil 

Relire mon interview avec Domitille d’Orgeval à l’Espace Art Absolument (lien vers)

Infos pratiques :

Une brève histoire de fils 

(de 1960 à nos jours)

Jusqu’au 16 janvier 

Prochainement : Rencontre avec le critique et chercheur Itzhak Goldberg « L’art du tissage : une autre voie » le 25 novembre à 19h

https://www.mal217.org/fr/expositions?event

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