Poursuite de la Biennale au macLYON qui fête ses 40 ans (relire mon interview avec Isabelle Bertolotti) et offre un panorama saisissant d’une quarantaine d’artistes. Comme le revers de ce qui est déroulé aux Grandes Locos, la face plus sombre de l’altérité surgit, selon le titre choisi par Alexia Fabre, commissaire invitée. Cette relation à soi symbolisée par l’œuvre en ouverture de Chantal Akerman « In the Miror », cette femme nue qui ausculte son reflet et s’affranchit des injonctions. Cette dérive au fémlnin par la réalisatrice Tohé Commaret (le Fresnoy, Beaux-Arts de Paris) prend des accents tragiques avec la vidéo (U) autour de la solitude et des croyances toxiques. Aglaé Bory avec la photo Autoportrait avec enfant réalisée au pied d’un immeuble HLM dans une zone périurbaine décrit ce quotidien solitaire et ingrat d’une mère qui élève seule un enfant. Le duo Elsa & Johanna rejoue avec la série Beyond the Shadows réalisée au Canada des scènes de vie ordinaire et genrées. Le cinéaste Omer Fast avec Continuity dans une boucle narrative sans fin interroge le lien au deuil d’un couple qui rejoue leurs retrouvailles avec leur fils soldat tué en Afghanistan. Une situation d’une grande ambiguïté. Robert Gabris, artiste rom et queer, avec l’œuvre immersive « Refuge, un poème d’agitation » nous plonge dans un univers cosmique de la métamorphose autour de la fluidité. Une ode à la différence très paisible. Jesper Just (exposé également aux Grandes Locos) avec No Man is an Island explore les notions de masculinité autour d’un groupe de buveurs qui improvisent dans un club de strip-tease, un chant a capella.
Les peintures et dessins de Tirade Hashemi et Soufia Erfanian réalisées à 4 mains disent l’urgence d’une situation troublée, celle de l’Iran et les rêves enfouis. Joséphine Berthou (Beaux-Arts de Paris) avec l’installation Gendarme et voleur explore les techniques d’intimidation, les phénomènes d’entreprise sur les réseaux sociaux. La philosophe et autrice-interprète (la Féline) Agnès Gayraud à travers son dispositif de studio musical propose à des musisicien.nes de tirer des cartes inspirées d’un jeu conçu pour trouver l’inspiration dans des chansons d’amour et de voir leur morceau interprété par des groupes de rock, folk et punk selon un protocole bien défini. Juliette Green (Beaux-Arts de Paris) à travers ses schémas fictionnels labyrinthiques dessinés A quoi ressemblent les vies amoureuses contemporaines ? décline une multiplicité de scénarios possibles. L’artiste palestinien réfugié en France Taysir Batniji retrace le chemin jusqu’à sa naturalisation et ses échanges avec des membres de sa familles restés à Gaza. L’on se souvient de sa très forte exposition au MacVal à l’invitation d’Alexia Fabre. Lorraine de Sagazan avec Monte di Pieta porte l’une des propositions phares du macLYON autour de souvenirs traumatiques et douloureux d’injustices subies. Les objets qui composent l’ensemble ont été collectés, étiquetés et consignés. Ils sont activés par des performances, comme un sanctuaire du chagrin. L’artiste trans-féminine Lyz Parayzo avec ses scies circulaires tranchantes libérées dans l’espace disent la résistance des communautés queer racisées. Cet étrange ballet devant la grande verrière brisée de Stéphane Thidet (donation collection Antoine de Galbert) prend une résonnance supérieure.
Enfin, Grace Ndiritu qui se voit confié le dernier étage poursuit son projet au long cours Healing The Museum, avec une nouvelle occurrence à Lyon où elle a mené des recherches dans l’ensemble des musées de la ville à partir des croyances et systèmes de représentation et de croyance liés au féminin. The Blue Room dans une architecture en forme de temple, embarque le visiteur aux confins de l’écologie, du chamanisme, de la contestation politique, « Tapis de protestation : grève des femmes » œuvre textile de l’artiste. Le SMAK de Gant a accueilli en 2023 une autre version du projet.
A l’IAC la Jeune Création internationale
Nous sommes accueillis par l’installation miroitante de Shirlay La Mutiple et son projet évolutif A la recherche du fruit ligneux, un conte initiatique au fil de différents fleuves (Congo, Sénégal, Casamance, Nil, Douro..) entre l’Afrique et l’Europe en quête des calebasses, réservoir à traditions. Une frise mêlée à une iconographie 2.0 autour du mythe de Narcisse se veut un hommage au fleuve. Hilary Galbreaith a étudié la notion d’hospitalité dans une ère néo-libérale standardisée. Une économie de l’échange où le client est roi dont les conditions de travail restent problématiques. Meri Karapetyan avec la sculpture barbelée monumentale,Untitled transpose la notion de frontière à partir des conflits survenus dans l’Artsakh, en Arménie, son pays d’origine. Ines Katamso inspirée des mythologies balinaises se penche sur la polution par le plastique à travers des techniques artisanales et matériaux recyclés proposant des paysages en expansion. Nadezda Kircanski avec l’installation intitulée nista spec 1.0 nothing special 1.0 auscule les espaces d’attentes médicaux d’une neutralité qui en devient anxiogène. Anastasia Sosunova – Saison de la Lituanie en France- reprend les motifs laissés par les amoureux sur les fenêtres d’une ancienne imprimerie gay à Vilnius et réactive la mémoire de ce lieu dissident. Matthias Odin avec l’installation Vortex AEra Player à partir d’objets abandonnés ou récupéré met en scène la précarité du logement de l’artiste sur 9 m2, surface réglementaire minimum en France.
Le soin à la Cité Internationale de la Gastronomie- Grand Hôtel Dieu
Changement de décor à la Cité Internationale de la Gastronomie-Grand Hôtel Dieu qui réunit 11 artistes sous la thématique du soin qui est bien illustrée. Delphine Balley dont j’avais vu l’exposition au macLYON, compose des petits théâtre en clair-obscur entre photographie et décors. A partir de la passion pour les tatouages de l’ancien chef du service sanitaire des prisons de Lyon, Jean Lacassagne et de dessins spirites publiés dans la revue d’Allan Kardec, fondateur du spiritisme à Lyon, Delphine Balley déroule la série L’arrière-monde autour de rituels de soin. Alix Boillot comme nous l’avait décrit Isabelle Bertolotti lors de son entretien au mac (lien vers) évoque la tradition des lacrymatoires vases destinés à recueillir des substances liées aux soins des défunts et non leurs larmes selon la croyance populaire, revisitées sous la forme de grandes perles en sel. Malo Chapuy procède à des télescopages temporels à partir de l’iconographie de la Renaissance dans des images objets au format d’icônes. Suzanne Husky interroge notre relation au vivant à travers des tapisseries pleines d’espièglerie entre des éoliennes et des oiseaux migrateurs. Spectaculaire installation de Guadalupe Maravilla artiste guérisseur, qui imagine des machines de soins pour personnes marginalisées. Les sculptures sont activées comme des gongs lors de cérémonies sonores d’immersion curative. Le dessin mural Tripa Chuca a été réalisé avec un habitant de la région lyonnaise qui partage comme l’artiste une expérience migratoire. Florian Mermin qui est également exposé dans le jardin du Musée des Beaux-arts, lors de sa résidence à l’occasion de la Biennale a découvert l’herbier du prince Roland Napoléon qui compte 3 millions de spécimens, a rencontré des responsables des serres du parc de la Tête d’Or et a exploré l’histoire de Vénissieux, capitale de la rose. Son œuvre réalisée à partir de pétales de violettes cristallisées renvoie aux vertus des fleurs et à l’ancienne apothicairerie de l’hôtel Dieu. Les sculptures de Hajar Satari (Beaux-arts de Paris) célèbrent la diversité du vivant à travers certaines plantes aux différentes propriétés come le pavot. A l’occasion de la biennale elle a réalisé une résidence dans les massifs des Ecrins pour observer les écosystèmes montagnards.
A noter que comparativement le budget de Lyon est de 8 M € (en baisse) alors que 8,9 M € pour Manifesta Barcelone qui étant plus éclatée n’a pas eu les mêmes défis.
Infos pratiques :
17ème Biennale de Lyon : Crossing the water
Jusqu’au 5 janvier 2025
1 pass à 20 € = 9 lieux d’exposition, 78 artistes, 280 œuvres