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Interview Joël Riff, « Esperluette » d’Hélène Bertin à La Verrière, Bruxelles Fondation d’entreprise Hermès

Vue de l’exposition l’Esperluette, Hélène Bertin, Fondation d’entreprise Hermès La Verrière photo Isabelle Arthuis

Première exposition d’Hélène Bertin à l’international à l’invitation de Joël Riff, « Esperluette » s’inscrit dans le prolongement de sa résidence à la Villa Médicis de Rome. Si l’artiste partage une communauté de pratiques avec de nombreuses complices, elle déplace le champ de l’atelier dans l’espace de  La Verrière Hermès autour d’une bibliothèque de signes à activer. Comme une chorégraphie en suspens, une procession de la nature et de ses bienfaits, une cosmogonie jubilatoire d’une grande justesse. Alors cueillons et dansons maintenant ! Joël Riff nous dit comment la ligature est ce lien qui fait sens.  Il a répondu à mes questions. 

Marie de la Fresnaye. Comment s’est décidé le choix du titre ?

Joël Riff. Esperluette est un terme de typographie qui associe deux noms dans un ensemble qui ne peut être distingué . Ce mot résonne particulièrement pour cette exposition d’Hélène Bertin sous la forme d’un solo  augmenté, un format qui continue à être  nourrissant. Cela rejoint aussi une  intuition que j’ai depuis un moment par rapport à ce programme. De plus, le solo  augmenté est la méthode employée par Hélène Bertin qui ne travaille pas seule et nous montre combien les formes plurielles sont intenses tout en restant proches de l’identité de chacun.e 

Vue de l’exposition l’Esperluette, Hélène Bertin, Fondation d’entreprise Hermès La Verrière photo Isabelle Arthuis

MdF. Ces collaborations concernent un certain nombre de pratiques au féminin (une charpentière marine, une potière…) quelle lecture en faîtes-vous ?

JR. A elles s’ajoutent une teinturière végétale, une cueilleuse de plantes et une musicienne. Ce sont 5 femmes avec  qui l’artiste collabore depuis un moment, des complices de sa pratique qu’elle tenait à voir exposer.  Ici, les solos  peuvent être augmentés de différentes manières au fil des conversations avec les artistes depuis 2 ans. C’est Hélène Bertin qui m’a fait rencontrer ces 5 personnes que je ne connaissais pas, des personnalités qui sont hors du champ de l’art et qui ont chacune  leurs propres habitudes. Il était fascinant de voir toutes ces strates se superposer. 

MdF. L’exposition donne lieu à un partenariat inédit avec la Villa Médicis : genèse et enjeux  

JF.  La Fondation d’entreprise Hermès et la Villa Médicis coproduisent en effet  la présentation des recherches d’Hélène Bertin à la suite de sa résidence en 2023/2024. Cela a été l’occasion d’une séance de travail d’une semaine au sein de la Villa . Hélène Bertin a orienté ses recherches autour d’une danse traditionnelle paysanne de semis et de cueillette dans les campagnes autour de Rome. Intitulée la tammurriata, cette danse de fertilité est performée entre la terre et le ciel. Autour de ce grand poteau de bois qui organise l’espace, un vaste plateau est disponible pour bouger, danser, vivre et c’est tout ce qui a guidé cette partition murale. Hélène Bertin est toujours très consciente des lieux qu’elle habite et sa manière d’investir cet ancien Palais qui avait en quelque sorte été  retiré à Rome, était de partager l’atelier qu’elle occupait avec des associations romaines de chant et de danse. Ainsi chaque semaine des personnes venaient y chanter et danser . Nous nous retrouvons devant toutes ces configurations issues de l’atelier et tous les éléments se trouvent accrochés, rien n’est au sol, le sol étant le plancher réservé pour la danse. Comme lorsque l’on fait sécher des plantes, on range des outils, on accroche des hamacs.

MdF on retrouve certains éléments autour des savoir-faire de la Maison Hermès 

JR. La citation serait plutôt fortuite  car Hélène n’a pas modifié sa production, même si l’on peut être surpris du nombre de résonances en termes de gestes, de gammes, de plis et de détails  dès lors que l’ on traverse la boutique pour arriver à l’espace de  La Verrière.

MdF. L’idée de la ligature et du cercle ouvrent sur une sorte de chorégraphie en suspens 

JR. Tout à fait, l’idée de la suspension parcourt toute la danse dans cette idée de se libérer du sol, et la ligature renvoie à la définition de l’esperluette en typographie. L’ensemble est donc parfaitement cohérent.

MdF. Les textiles sont très présents, quel est leur rôle ? 

JR.  Il s’agit de huit jupes , qui peuvent être portées à certaines occasions par Marion Cousin, musicienne qui interprète des chants, vêtue de  ce vêtement notamment lors du vernissage. 

MdF. Des objets qui dessinent un répertoire, une bibliothèque de gestes

JR. Oui une sorte d’alphabet. Nous voyons aussi ces signes avec les branchages réalisés à partir de  morceaux de bois ramassés . Le visuel choisi pour les supports de communication reprend ces figures de danseurs-cueilleurs esquissés sur les parois des grottes et qui seraient parmi les premières représentations de l’humanité. L’artiste a été très émue de réaliser que c’est en dansant et en cueillant que l’homme et la femme ont été originellement immortalisé.e.s.

MdF. Des cruches sont posées au sol ou fixées au mur : que représentent-elles ? 

JR. Ce sont des éléments de sculpture qui peuvent servir pour offrir un café ou un rafraîchissement. Ces sculptures font le lien aussi avec les poteries suspendues qui versent des sortes de tresses formant des corps dont elles  seraient les têtes. Nous avons 8 figures réalisées à partir d’herbes des marais pour compléter l’alphabet et augmenter la figuration et la manière dont on peut dessiner une silhouette. Ces silhouettes évoluent au mur, elles volent, dansent, chantent, nagent. 

Pour revenir à la céramique, ce sont des grès cuits au bois dans le périmètre de  La Borne, lieu mythique de poterie  

MdF. Nous avons aussi des échos avec l’exposition Valentine Schlegel au Crac de Sète et le livre (Presses du réel)

JR. Ce sont plutôt des outils agricoles, des serpes très proches en effet des couteaux de Valentine Schlegel. Ils agissent comme une porte d’accès au travail préalable d’Hélène Bertin exposé à Sète notamment. 

MdF. Des œuvres qui évoluent sous la marque du temps

JR.  Les herbes qui sèchent, les fleurs qui flétrissent, des teintures qui fanent… la question des saisons est aussi très importante dans un esprit cosmogonique, de constellation, de cycles avec des soleils, des lunes. 

Au-delà du temps de l’exposition, la pratique d’Hélène Bertin ne se reproduit pas, chaque séquence est unique et elle n’a sans doute elle-même pas encore idée de ce qu’elle va faire de ce qui a été réalisé ici. Certaines œuvres reviennent à d’autres personnes comme par exemple les grands bouquets muraux qui sont d’Aline Cado.

MdF. Comment se traduit la partition musicale ?

JR. Les chants composés pour l’exposition sont réunis dans la publication distribuée et exceptionnellement activés par Marion Cousin.

MdF. Y a-t-il des liens proposés avec certains lieux de la ville de Bruxelles comme lors des expositions précédentes ?

JR. En effet et j’y tiens particulièrement, la rubrique « Autour de La Verrière » est prévue dans ce sens. Elle invite à la promenade autour de La  Verrière. Cette fois avec Hélène Bertin on se promène à Rome, on déplace la focale pour un périmètre européen. Si le public des galeries de la Fondation d’entreprise Hermès à Séoul et à Tokyo où sont diffusées ces publications venait à voyager en Europe, il pourrait trouver qu’à son échelle, Rome se trouve bien « Autour de La Verrière ».

Joël Riff en écoute @FOMO_Podcast

Hélène Bertin Danseur-cueilleur 2020 courtesy l’artiste, Creux de l’Enfer photo Vincent Blesbois

Avec : Anne Blanès, Aline Cado, Marion Cousin, Caroline Nussbaumer, Lola Verstrepen 

Infos pratiques :

Hélène Bertin « Esperluette »

Jusqu’au 30 novembre 

La Verrière
Boulevard de Waterloo 50
1000 Bruxelles

Entrée libre
du mardi au samedi
de 12h00 à 18h00

https://www.fondationdentreprisehermes.org/fr/projet/exhibitions-verriere-hermes-bruxelles-2024