Josèfa Ntjam, ‘swell of spæc(i)es’, 2024. Installation view at Accademia di Belle Arti di Venezia as part of Collateral Event of the 60th International Art Exhibition – La Biennale di Venezia 2024. Commissioned by LAS Art Foundation. Courtesy the artist; LAS Art Foundation. © ADAGP, Paris, 2024. Photo: Andrea Rossetti
En plus du programme officiel, les évènements dans Venise sont l’occasion de pénétrer dans des lieux parfois fermés ou nouveaux comme avec la Fondation Berggruen qui investit le Palazzo Diego fraichement rénové, après avoir établit son siège à la Casa Tre Oci sur l’île de la Giudecca. Le thème « Strangers Everywhere » se fait parfois sentir. Coups de coeur :
James Lee Byars et Seung Taek Lee (Palazzo Loredan)
« Invisible Questions That Fill the Air » : un titre très métaphysique pour un dialogue tout en finesse entre l’artiste américain et l’artiste coréen Seung Taek Lee nés la même année, 1932, qui ne se sont jamais rencontrés, tout en partageant des approches conceptuelles liées à l’Arte Povera, le Minimalisme, DADA…
The Spirits of Maritime Crossing, Bangkok Art Biennale Foundation (Palazzo Smith Mangili Malmerane)
Réunissant des artistes du Cambodge, Malaisie, Philippines, Singapour, Indonesie, Laos.. et un large panel de médiums autour de perspectives post coloniales mêlées à des croyances et spiritualités de l’Asie du Sud Est autour de la place de la nature, ce panorama propose d’entendre d’autres voix soulignant l’impact de la colonisation sur ces régions.
Willem de Kooning Gallerie dell’Academia
Absolument incontournable, le parcours insiste sur l’influence supposée de l’Italie sur l’oeuvre de l’Américain, son séjour à Rome notamment et à Venise. Entre les peintures noir et blanc, les sculptures, les grandes toiles colorées c’est un défilé de séries peu montrées en Europe. Un vrai cadeau !
Berlinde De Bruyckere, San Giorgio Maggiore
« City of Refuge » est le 3ème opus d’une série d’expositions qui prend au sein de l’ancienne abbaye cistercienne du 16ème siècle un écho singulier. La figure de l’ange, archétype est confronté à des miroirs tandis que dans la sacristie un décor post apocalyptique est constitué d’arbres coulés dans de la cire. Dans d’autres parties du monastère des vitrines montrent de nouvelles oeuvres produites pour l’occasion. On se souvient de la très belle exposition de l’artiste flamande au MO.CO Montpellier.
Josèfa Ntjam Académie des Beaux-arts de Venise avec LAS Art Foundation
Un univers onirique et prospectif entre science-fiction et dérive poétique autour de la mythologie dogon et une vision cosmique. Des créatures marines, des sculptures en forme de méduses, des voix souterraines… »swell of spæc(i)es » titre de l’ensemble, relit le mythe de la création sous le prisme du plancton. Faisant appel à l’IA ou à l’animation 3D, l’artiste a cette capacité à vous entrainer dans une fable, celle de la divinité Amma, créatrice des étoiles. Le public est inviter à créer lui-même des créatures virtuelles de plancton hybride qui vont peupler tout un écosystème numérique en devenir.
Lee Bae, Fondation Willmotte
Si l’artiste chinois Zeng Fanzhi déçoit à la Scuola Grande de Santa Maria della Misericordia, bel édifice mais présentation « white cube » trop léchée, tout proche il ne faut pas manquer la Fondation Willmotte qui accueille les « voeux » de la nouvelle année de la coréenne Lee Bae. Selon une coutume centenaire, le rituel de daljip targui / brûler la maison de la lune l’artiste a recueilli des témoignages de cette expérience singulière qu’elle déroule sur du papier traditionnel dans l’élégant espace.
Helmut Newton, Elle (Paris, 1967) © Helmut Newton Foundation
Helmut Newton Legacy, Stanze della Fotografia
Sur l’île de San Giorgio Maggiore, ce nouvel espace dédié à la photographie retrace l’ample carrière du photographe culte avec un accrochage subtil tout en lévitation. Les séries iconiques défilent…dont les Big Nudes. L’Australie, les Etats-Unis, la France, Monte-Carlo et l’Italie avec Venise sont parmi ses destinations de choix. A l’étage le photographe Patrick Mimran offre une sorte de contrepoint en noir et blanc à partir du flou et de l’ambiguïté photographique avec Out of Focus.
Le Stanze della Fotografia dans les espaces réhabilités des Sale del Convitto est issu d’un projet culturel pluriennal dans le cadre d’un partenariat entre la Fondation Giorgio Cini et Marsilio Arte avec le soutien du Gran Teatro La Fenice.
Chu Teh-Chun, le Point du jour, huile sur toile Adagp 2023 Fondation CHU Teh-Chun
Chu Teh-Chun, Fondazione Giorgio Cini
Sous le commissariat de l’historien de l’art Matthieu Poirier, en partenariat avec la Fondazione Giorgio Cini, il s’agit de la plus grande exposition dédiée au peintre franco-chinois, acteur essentiel de l’abstraction gestuelle dont l’œuvre fait le lien entre Hans Hartung, Mark Rothko et Helen Frankenthaler. Le parcours non chronologique mène des grands formats récents aux petits formats les plus anciens. La scénographie déploie les œuvres de façon panoptique sur trois niveaux d’un site exceptionnel l’ancienne piscine Gandini dont l’exploration résonne avec l’espace incertain des « nébuleuses » picturales de Chu.
avec le soutien de la Fondation CHU Teh- Chun.
Maqbool Fida Husain, Magazzini del Sale
L’espace du Magazzini del Sale dans les Zattere est toujours un lieu de balade appréciable. L’artiste indien Maqbool Fida Husain, contraint à l’exil politique en 2006, est fortement marqué par le capital multiculturel de son pays. Peintre arpenteur il aimait se confronter aux gens et sortir de l’atelier. Adoptant un syncrétisme universel, il dessine des correspondances littéraires, culturelles, religieuses, sociales.
Rebecca Ackroyd, Mirror Stage, Fondaco Martello
Se regarder dans le miroir fait partie de l’apprentissage de l’âge adulte. Dans cette ancienne fabrique de tabac l’artiste rejoue les gestes du labeur et les présences fantomatiques de femmes. Des apparitions qui peuplent l’imaginaire et rejouent des configurations passées. Jouant sur l’altération de la perception, l’artiste sème des traces et des indices.
« From Ukraine : Daring to Dream » au Palazzo Contari Polignac, déjà cité
Très belle proposition réunissant 22 artistes originaires ou non d’Ukraine sous l’égide de la Victor Pinchuk Foundation. La résilience, la mémoire, la fragilité, les défis écologiques sont autant de thèmes investis. Avec : Kateryna Aliinyk, Allora & Calzadilla, Alex Baczyński-Jenkins, Fatma Bucak, David Claerbout, Shilpa Gupta, Oleg Holosiy, Nikita Kadan, Zhanna Kadyrova, Dana Kavelina, Nikolay Karabinovych, Lesia Khomenko, Yana Kononova, Kateryna Lysovenko, Otobong Nkanga, Wilfredo Prieto, Oleksiy Sai, Anton Saenko, Fedir Tetianych, Anna Zvyagintseva, Roman Khimei and Yarema Malashchuk, Daniil Revkovskiy and Andriy Rachinskiy.
Ewa Juszkiewicz, Palazzo Cavanis
« Locks with Leaves and Swelling Buds », titre reprenant un poème de Anna Laetitia Barbauld. La fascination de l’artiste pour la tradition du portrait de l’histoire occidentale rejoint ses préoccupations féministes. Comment les vêtements, coiffures, bijoux, postures, traduisent des conventions sociétales et des injonctions autour du corps de la femme et ses critères de représentation. Questionner les stéréotypes à travers des distorsions du regard est ce qui l’anime.
Collection Pinault : Julie Mehretu (Palazzo Grassi)
Un dialogue à plusieurs voix remarquable par Julie Mehretu qui a invité des amis artistes : Huma Bhabba, Nairy Baghramian, Tacita Dean, David Hammons, Paul Pfeiffer… une constellation agissante.
A contrario, Pierre Huyghe Liminal est moins convaincant avec des oeuvres déjà vues même si la Pointe de la Douane transformée en black box est un terrain de jeu fascinant.
« Your Ghosts are Mine. Expanded cinema. Amplified Voices« , Palazzo Franchetti
Films et vidéos d’artistes du Moyen Orient et d’Afrique autour de l’exil et du déplacement, la place des femmes, les frontières… parfaitement en phase avec la thématique de cette Biennale. Production Qatar Museums, commissaire le réalisateur Matthieu Orléan. Dans le dédale de cet ancien hôpital les propositions agissent comme des échos.
Andrzej Wróblewski, Procuratie Vecchie
Une très belle découverte de cet artiste polonais du XXème siècle mort prématurément d’un accident d’alpinisme à l’âge de 30 ans. A l’initiative de la Starak Family Foundation, l’une des collections privées polonaises les plus importantes, cette monographie est une traversée dans la vie et l’œuvre d’un artiste à la frontière entre abstraction et figuration, liberté et oppression sous l’ère communiste. Un hommage lui est rendu par le réalisateur et ami Andrzej Wajda.
Peter Hujar, Portraits in Life and Death, Santa Maria della Piéta
A partir de son livre éponyme, plongée dans toute la communauté d’amis et de proches de l’artiste du Lower East Side tels que William Burroughs, Susan Sontag, Fran Lebowitz avec sa série plus sombre sur les corps momifiés des catacombes de Palerme. A relier avec la tragédie alors en cours liée à l’épidémie du Sida/Aids.
Infos pratiques :
60ème Biennale d’art de Venise
Jusqu’au 24 novembre
Il est conseillé de réserver à l’avance ses entrées à l’Arsenale et aux Giardini
https://www.labiennale.org/en/news/biennale-arte-2024-stranieri-ovunque-foreigners-everywhere
Catalogue 90 euros, ou livret de visite à 20 euros disponibles dans les boutiques de la Biennale