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Biennale de Venise 1/3 : Sud global, queerness et résistances post-coloniales 

Le Pavillon central, 60ème Biennale de Venise « Stranieri Ovunque, Foreigners Everywhere » photo MdF

Premier commissaire latino-américain à relever le défi de la Biennale de Venise, le brésilien Adriano Pedrosa, directeur du MASP (São Paulo) aime renverser les catégories en vigueur. Exit la vision eurocentrée de l’art, place aux minorités et artistes invisibilisé.es dans un contexte de luttes et de réécriture de l’histoire. Le slogan du collectif français Claire Fontaine  « Stranieri Ovunque, Foreigners Everywhere » n’a pas été choisi au hasard. Ainsi des peuples colonisés invités à investir certains pavillons : l’Espagne avec la péruvienne Sandra Gamarra Heshiki ou les Pays Bas avec le collectif basé à Lusanga du Cercle d’art des travailleurs de plantation congolaise lié au système d’usurpation mis en place par le roi des belges Léopold II autour du commerce de l’huile de palme par le conglomérat Lever Brothers, futur Unilever. Plus qu’un symbole. La Serbie enfonce le clou avec le Pavillon colonial plein d’humour d’Aleksandar Denic. La politique n’aura jamais été aussi présente avec l’échange de La Russie en faveur de la Bolivie pays producteur de lithium. Israël a décidé sur la suggestion de l’artiste invitée Ruth Patir de n’ouvrir que lorsqu’un accord de cessez-le-feu aura été trouvé. Le pavillon polonais accueille l’Ukraine avec le collectif Open Group qui invite les spectateurs à reproduire le son d’un bombardement, Repeat after me, dans une sorte d’indifférence générale. On retrouve l’Ukraine dans le Off en ville dans l’élégant Palazzo Contarini Polignac sous le titre Dare to Dream à l’initiative de La fondation Victor Pinchuk. Une allégorie poétique et sensible à la résilience réunissant 22 artistes dont des non ukrainiens.

Anna Maria Maiolino, Ao finito 1994, 2024 (To infinity) photo MdF Lion d’Or

Pavillon central, Giardini et Arsenale

Adriano Pedrosa qui se livre dans son musée à une programmation de focus intitulés  « Histoires féministes », « Histoires afro-atlantiques », « Histoires indigènes », « Histoires queer » se démarque par la présence de nombreux artistes autochtones/indigènes/natives et ce dès la façade par le collectif amazonien Mahku qui sort du white cube habituel. Dans le parcours nous avons par exemple le chaman André Taniki que l’on avait découvert à la Fondation Cartier, ou Joseca Mokahesi lié également à la cosmogonie Yanomani. La photographe Claudia Andujar a partagé le quotidien de ce peuple amazonien. L’artiste maya Rosa Elena Curruchich choisit des tableaux miniatures car faciles à transporter pendant les guerres, reprennant les traditions de sa communauté en insistant sur le rôle des femmes. Les frères haïtiens Philomé et Sénèque Obin revendiquent la culture Caraïbéenne comme le carnaval dans des scènes pleines de truculence et d’ironie. De même avec la peintre Paula Nicho Cumez autour de ses rêves et aspirations identitaires mayas. L’artiste Gabrielle Goliath rejette les schémas de violence patriarcal à partir de témoignages queer non binaires et trans dans des environnements immersifs et sonores. Elle a été exposée au Frac Bretagne. Les peintures de Louis Frattino se penchent sur les difficultés des liens familiaux pour les personnes LGBTQ +. De même avec Salma Toor, artiste pakistanais basé à New York dont les peintures décrivent la réalité de l’expérience queer et discriminations dans des scènes allégoriques urbaines autour du désir et de l’intime.

Les environnements de dessins, broderies, matières organiques de l’artiste coréen Kang Seung Lee rendent hommage à des figures centrales queer transhistoriques décédées du VIH ou invisibilisées. Il créé des contre-récits autour des notions de soin et d’effacement. Il a fait partie de l’exposition Hors de la nuit des normes, hors de l’énorme ennui au Palais de Tokyo en 2023.

La relecture du courant moderniste sous le prisme du Sud global est l’un des leitmotivs d’Adriano Pedrosa autour de la notion d’antropofagia développée par l’écrivan Oswald de Andrade et sujet de la Biennale de Sao Paulo de 1998. Ce Nucleo Storico se joue autour de l’abstraction géométrique et ses déclinaisons avec de nombreuses femmes : Olga de Amaral, Huguette Caland…Une section autour du portrait est moins convaincante et ne fait pas l’unanimité.Il faut chercher parmi cet accrochage all over les pépites comme Wilfredo Lam, Frida Kahlo,..l’idée est de souligner aussi la présence en Amérique latine de nombreux artistes contraints de fuir la dictature mussolinienne.

L’installation de l’artiste photographe Pablo Delano The Museum of the Old Colony autour d’archives sur l’histoire de Puerto Rico est également un temps fort du parcours. Sous le vernis vintage de l’exotisme, les images disent des liens de domination sous-jacents par les expatriés américaine et GI sur les natifs de l’île, le titre renvoyant ironiquement à une boisson très populaire.

Dans le pavillon central de l’Arsenale l’on remarque l’installation puissante de Bouchra Khalili the Mapping Journey Project qui a été présenté à Paris au Musée de l’immigration. Constitué de 8 vidéos et 8 sérigraphies, l’installation dessine une cartographie des trajets clandestins migratoires contemporains. Les photographies de Kiluanji Kia Henda (Luanda) et la sculpture autour du thème de la grille renvoie aux diasporas et enjeux de l’immigration.

Les performances de l’artiste Isaac Chong Wai ou l’art de la chute. Antonio José Guzman (Panama) et Iva Jankovic (Belgrade) et leur grande installation textile à partir du bleu indigo, Orbital Mechanics. Couleur liée à l’esclavage et au commerce, l’indigo est le sujet de recherche des artistes au long cours.

La Chola Poblete, série Virgines Chola,Mention spéciale photo MdF

La Chola Poblete, (section Nucleo contemporaneo) artiste et activiste argentine qui défend les droits LGBTQ+. Elle revendique son identité queer à l’aune des traditions religieuses indigènes et des luttes d’émancipation des femmes. Aller au delà des stigmatisations et des stéréotypes et comprendre les répercussions du colonialisme en Argentine.

Lion d’Argent du Jeune artiste prometteur : Karimah Ashadu pour son installation vidéo Machine Boys autour du commerce illégal de mototaxis à Lagos par de jeunes migrants venus du Nigéria. Elle impose son female gaze à partir des différents clichés véhiculés par ces amateurs de rodéos urbains.

Parmi les pavillons les plus en phase avec cette vision des outsiders : signalons les Etats-Unis avec le cherokee Jeffrey Gibson qui se dit en résistance face à la chromophobie de l’art contemporain et a entièrement recouvert le style classique dominant par des références Pop et amérindiennes. Haut en couleur ! et invitation à appréhender l’autre autrement : The space in which to place me.

Exilés, déracinés, diasporiques, réfugiés…comme le précise dès le départ le commissaire. Etrangers ils le sont, Etrangers nous le sommes.

Rappel des artistes primés :

Lion d’Or pour l’ensemble de la carrière : Anna Maria Maiolino/ Nil Yalter

Ces deux artistes revendiquent être autodidactes. Il faut aller derrière l’Arsenale pour trouver la maison investie par Anna Maria Maiolino, brésilienne née en Italie qui est récompensée à l’âge de 81 ans. Elle n’était jamais venue à Venise.

Nil Yalter se trouve dès le départ du circuit des Giardini avec sa yourte entourée d’affiches et de vidéos Exile is a hard job, à partir de témoignages de vies quotidiennes de personnes exilées en particulier les femmes. Le projet a été montré à Paris à la galerie de l’Atlas.

Lion d’Or meilleure participation : collectif de femmes maori Mataaho (Nouvelle Zélande)

Lion d’Or Pavillon : Australie, Archie Moore 

mention spéciale : Pavillon du Kosovo

Lion d’Argent artiste prometteur : Karimah Ashadu

Mentions spéciales :

Samia Halaby 

La Chola Poblete

A suivre : Les Pavillons Nationaux aux Giardini

Le Off

Infos pratiques :

60ème Biennale d’art de Venise

Jusqu’au 24 novembre

Il est conseillé de réserver à l’avance ses entrées à l’Arsenale et aux Giardini

https://www.labiennale.org/en/news/biennale-arte-2024-stranieri-ovunque-foreigners-everywhere

Catalogue 90 euros, ou livret de visite à 20 euros disponibles dans les boutiques de la Biennale

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