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Annabelle Ténèze, musée du Louvre Lens : « Interroger l’histoire pour mieux éclairer notre temps contemporain »

Vue de l’exposition « Mondes souterrains : 20 000 lieux sous la terre », Louvre Lens photo Laurent Lamacz

Rencontre avec Annabelle Ténèze, directrice du musée du Louvre Lens à l’occasion de la fantastique exposition « Des mondes souterrains : 20 000 lieux sous la terre » autour du symbolisme des profondeurs qui fascine autant qu’il déroute les artistes de tous les temps. Annabelle Ténèze qui défend un musée inclusif, fédérateur et innovant engage une nouvelle décennie sous le signe du partage, inscrit dans l’ADN de l’institution des Hauts-de-France construite sur un ancien site minier. Eclairer le passé pour mieux révéler le présent, telle est la ligne de force qui anime ses principaux projets transversaux autour d’ambitieuses expositions : Exils, l’artiste et le vêtement, Gothiques, dont elle nous dévoile les contours, tandis que la Galerie du temps s’apprête à entrer dans une nouvelle ère. Annabelle Ténèze a répondu à mes questions. 

Marie de la Fresnaye. Revenons sur votre projet de « Louvre en Partage » quelle est la dominante de cette feuille de route ?

Annabelle Ténèze. Je suis partie d’un constat, à l’anniversaire des 10 ans du Louvre Lens que l’idée de départ  du « Louvre Autrement » avait largement tenu ses promesses. Si l’on regarde les résultats qualitatifs et quantitatifs, aujourd’hui la question ne se poserait pas de la faisabilité d’un Louvre Autrement à Lens. Il est bel et bien un musée accessible, ambitieux, inclusif et fédérateur au sein d’une dynamique de démocratisation culturelle qui a fait ses preuves.

Pour me projeter dans la seconde page ou décennie de ce Louvre Lens, j’ai réalisé que ce qui caractérisait particulièrement ce musée est le partage. « Le Louvre en partage » s’appuie sur des convictions qui m’animent tout au long de mon parcours professionnel.  

Les relations avec le public sont vraiment au cœur des actions du musée. Un musée qui s’enrichit du regard de toutes et de tous et qui doit permettre à chacun, chacune de venir avec ce qu’il est. Pour ce qui est de ma propre expérience à mon arrivée, j’ai eu plus l’impression que les gens ne disaient pas, merci de m’accueillir au musée mais plutôt bienvenue chez nous ! Ce musée est le leur.

Le musée pratique beaucoup dans ce sens les “ hors les murs”, des projets collaboratifs pour devenir une sorte de musée national des habitants.

C’est aussi l’un des rares lieux, ce qui implique aussi l’idée du renouvellement de la Galerie du Temps, où l’on partage à un tel niveau d’excellence les collections nationales. Une dimension très importante à mes yeux. 

Cratère Peinture à la colle CHRISTO 1960 Centre Pompidou, Paris © ADAGP, Paris 2023

MdF. Pour en venir à la nouvelle ère de la Galerie du temps, pouvez-nous en donner les contours ?

AT. Cela s’inscrit pleinement dans cette volonté de poursuivre cette idée présente dès la création du musée, d’un renouvellement régulier des œuvres de la Galerie du temps pour, non pas créer une collection comme un musée des beaux-arts classique mais partager les collections nationales. S’il y a eu des rotations partielles, il y avait aussi dans la promesse originelle, l’idée de rotations complètes. Ce qui caractérise cette nouvelle Galerie est une rotation complète avec 200 nouvelles œuvres, une grande transformation. 

En revanche, les principes fondateurs sont maintenus, à savoir : la libre déambulation à travers le temps, l’espace et les civilisations, l’absence de classification entre les médiums, l’absence de murs qui renvoie à l’architecture de SANAA, et dès le départ. Tout cela perdure.

Vue de l’exposition « Mondes souterrains : 20 000 lieux sous la terre », Louvre Lens photo Laurent Lamacz

MdF. En ce qui concerne l’exposition « Des mondes souterrains », en quoi cet imaginaire fascine autant et continue à nous parler ?

AT. Même si je ne suis pas à l’origine de cette exposition, je trouve qu’elle s’appuie à la fois sur l’histoire du musée et en même temps la dépasse. Nous sommes ici sur un ancien site d’extraction de charbon de 600 m de profondeur, ce qui veut dire que le Louvre de Lens a eu aussi une vie souterraine qui perdure encore avec la nature et les plantes environnantes. L’idée de l’exposition c’est de regarder à partir de ce constat de l’histoire souterraine du Louvre, comment les humains à travers le temps ont imaginé, fantasmé mais aussi exploré les mondes souterrains. J’ai coutume de dire sous forme d’une boutade mais pas tout à fait que le thème de l’exposition serait : des enfers de Virgile et de Dante jusqu’au métro en passant par les catacombes, les pierres précieuses extraites de la terre, les racines des arbres.. tout ce qui nourrit la terre. Le spectre va des fantasmes de l’imaginaire jusqu’à la véritable exploration et le déplacement sous terre, sans oublier des épisodes dramatiques comme les tranchées, la mine mais aussi le fait qu’aujourd’hui beaucoup de personnes sans s’en rendre compte passent une partie de leur vie sous terre tout simplement en prenant le métro.

La Caverne de Platon
Installation Huang YONG PING 2009
Collection Pinault
© Adagp, Paris, 2024 © Courtesy the artist and kamel mennour, Paris Photo Marc
Domage © Pinault Collection

MdF. La prochaine exposition Exils, comment se fait le choix des œuvres ? Quelles en sont les clés de lecture ?

AT. Exils est une exposition dont le commissariat est assuré par Dominique de Font-Réaulx, Conservatrice Générale au Musée du Louvre, Chargée de mission auprès de la Présidente et auparavant Conservatrice au Musée d’Orsay et directrice du Musée Delacroix. L’exposition s’inscrit dans la volonté de poursuivre ces grandes fresques comme avec les Monde Souterrains de l’art ancien jusqu’à la culture populaire et l’art contemporain. L’idée de Dominique de Font-Réaulx est de regarder ce que l’Exil fait à la création, ce que la création fait à l’exil sur le temps long, c’est à dire depuis les grands récits du monde européen que sont par exemple la Bible, l’Odyssée jusqu’aux artistes contemporains, sans oublier des figures dont on a parfois oubliées qu’elles sont des figures de l’exil, alors que ce sont des figures emblématiques françaises telles que Gustave Courbet ou Victor Hugo. Je précise que dans le cadre des projets participatifs liés à l’exposition, une collecte d’objets et de récits prendra place au sein du parcours en collaboration avec des associations du territoire.

Un mineur Carte postale Avant 1914 Centre Historique Minier, Lewarde © Centre Historique Minier

MdF. Pour aller vers 2025 et votre exposition « L’artiste et le vêtement », quelles sont vos motivations ?

AT. L’ensemble de ces projets que ce soit Mondes souterrains, Exils ou l’Artiste et le vêtement disent combien l’histoire de l’art nous est présente, comment l’histoire éclaire notre temps contemporain.

Ce projet part du constat que depuis les premiers autoportraits, il n’y a pas de vêtement qui soit anodin. Le vêtement est la première chose que l’on regarde et toute représentation d’artiste est un manifeste. L’exposition propose de décentrer le regard pour regarder l’histoire de l’art différemment à partir de l’histoire de la mode et du costume. Ce projet analyse l’histoire des représentations à partir des premiers autoportraits jusqu’à la question de l’affirmation de soi et du vêtement performance autour d’enjeu contemporains tels que le recyclage et la seconde main. Si dernièrement, les collaborations se sont multipliées entre designers, industrie de la mode et artistes, le couturier est considéré comme un artiste à part entière. Le vêtement touche chacun et chacune d’entre nous, c’est une forme d’identité. Quelle est notre identité derrière le choix de se conformer ou non à la mode de notre époque ?

Je partage le commissariat avec Olivier Gabet, directeur du département des Objets d’Arts au musée du Louvre et auparavant directeur du MAD, qui a un regard double très intéressant à la fois sur l’histoire de l’art et sur l’histoire de la mode. Nous espérons tous les deux que le visiteur se regardera et s’interrogera sur son habillement après avoir vécu cette expérience. 

MdF. Pour terminer avec l’exposition Gothiques, vous proposez de nouveau une lecture transhistorique ?

AT. Tout à fait. Le projet Gothiques s’étend du 12e au 21ème Siècle C’est un projet dont je suis commissaire avec Sophie Jugie, directrice du département des sculptures (musée du Louvre) et Pierre-Yves Le Pogam, conservateur en chef au département des sculptures (musée du Louvre). L’idée est de montrer comment ce mouvement ne s’est jamais arrêté depuis de la naissance du style Gothique en Ile le de France mais aussi autour de la Meuse et du Nord jusqu’au gothique rayonnant, flamboyant ou encore international qui se développe différemment des pays du Nord au Sud de l’Europe, faisant de ce style l’un des premiers mouvements européens.

Si l’on remonte à l’origine du mot, l’appellation Gothique apparait au 15ème siècle. Péjoratif au départ, il est célébré pour son inventivité à partir de la Renaissance jusqu’au 18ème, 19ème siècle avec un retournement de sens. Le style néo-gothique prend le relais au 18ème siècle en Angleterre puis en France plus tard au 19ème siècle tout comme en Allemagne.

Nous cherchons à interroger la persistance de ce mouvement dans l’époque contemporaine à travers la contre-culture et la musique punk et metal, l’heroic fantasy, les jeux vidéo et l’art contemporain. Comment est-ce qu’on arrive du mouvement Gothique au mouvement Gost ? Comment se fait-il que l’imaginaire Gothique soit encore si présent notamment auprès de la jeunesse ? 

En termes d’œuvres présentées l’approche sera volontairement transversale avec une pluralité de mediums. 

Catalogue « Des mondes souterrains » Coédition Lienart éditions musée du Louvre Lens, 392 pages, 39 €

(disponible à la librairie boutique du musée)

Infos pratiques :

MONDES SOUTERRAINS. 20 000 LIEUX SOUS LA TERRE

Jusqu’au 22 juillet 

A venir :

EXILS

Exposition : L’ARTISTE ET LE VÊTEMENT. S’HABILLER EN ARTISTE

GOTHIQUES 

Tarifs :

Musée et parc

Galerie du temps et Pavillon de verre :
Entrée libre et gratuite
Galerie d’exposition temporaire :
Tarif plein : 11€ / 18 – 25 ans : 6€ / – 18 ans : gratuit

Horaires 

Le musée est ouvert du mercredi au lundi : 10h – 18h

Le parc est ouvert tous les jours, y compris le mardi

Site officiel du musée du Louvre-Lens (louvrelens.fr)

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