Marta Bakowski, RAYS Applique murale (grand réflécteur) Disque PMMA et tissage fait main en fil de polyester ciré et tressé Diam 90 cm© Marta Bakowski
Saison estivale à l’eac avec pas moins de 4 expositions. Une place de choix pour le design avec un Francis Bacon méconnu qui commence sa carrière par de la création de mobilier, les jeunes designers du JAD (Jardin des métiers d’art et de design à Sèvres) en dialogue avec la collection, un focus géométrie et mathématiques qui rate sa cible par manque de cohérence (contrairement à Pascal Pique et ses « géométries de l’invisible » en 2020) et une quasi rétrospective d’herman de vries, mon vrai coup de cœur.
Des designers du JAD dialoguent avec la collection Albers-Honegger
A partir de la vision très ouverte et démocratique de Sybil Albers et Gottfried Honegger qui acquièrent un ensemble important de design et l’esprit d’hybridation fertile qui anime le JAD entre artisanat d’art et design, carte blanche leur est donnée par Fabienne Grasser-Fulchéri, directrice de l’eac.
Parmi les 5 designers, je commencerai par Baptiste Meyniel (ENSCI) et son projet sur le verre réalisé lors d’une résidence de deux ans au CIRVA de Marseille, avant d’être sélectionné pour l’Académie des Savoir-faire de la Fondation Hermès. Ses différentes recherches graphiques autour du geste et du protocole entrent en résonnance avec l’œuvre de Donald Judd.
Luce Couillet (ENSCI) à partir du tissage explore les limites entre sculpture et art cinétique à travers des totems/colonnes dont les contours s’estompent et jouent de notre regard. Le dialogue avec les toiles de Dadamaino ou Morellet et les rayures vestimentaires de Corinne Cobson fonctionne.
Cédric Breisacher dans son rapport au vivant et à l’éco-recyclage a choisi une céramique anonyme à la surface grumeleuse et une lampe d’allure minimale de Man Ray.
Marta Bakowski (Central Saint Martin et Royal College of Arts, Londres) a réalisé plusieurs résidences artistiques et oriente des recherches transversales autour du chromatique et de l’olfactif. Elle a créé son propre studio. Son univers entre en dialogue avec Claude Viallat, Sol LeWitt et un bouclier africain de la collection pour ses appliques SORCIER.
Luce Couillet , Bridget et Victor 03 LuceCouillet ©Geraldine Bruneel
Francis Bacon et l’Age d’or du design
En ce qui concerne Francis Bacon, Fabienne s’est associée à la Francis Bacon Mb Art Foundation (Monaco) et a invité la commissaire Elsa Boustany a ses côtés. Le point de départ est une carte de visite de Francis Bacon retrouvée au dos de la table circulaire de 1930 exposée dans son atelier londonien au 17 Queensberry Mews West. Il y détaille ses spécialisations : le recours au métal, verre et bois, la confection de tapis et de luminaires. Autre élément décisif, un article de la Revue The Studio de 1930 décrivant le talent du jeune designer Francis Bacon qui, autodidacte puise son inspiration moderniste à la suite de deux voyages fondateurs à Berlin et à Paris en 1927.
Aux côtés des créations de Bacon : Tapis, Table, Tabouret, Gouache, un élégant dialogue se noue avec les artistes et designers majeurs : Fernand Léger, Le Corbusier, Sonia Delaunay, Eileen Gray, André Lurçat, Charlotte Perriand.. entre cubisme, purisme, géométrisme. C’est avec le peintre australien Roy de Maistre que Bacon va trouver son mentor et développe un intérêt grandissant pour la peinture. Point de bascule de la carrière de l’artiste telle qu’on la connait.
herman de vries, « ma poésie est le monde »
Visite privilégiée avec Fabienne Grasser-Fulchéri dans la galerie du château
Organisation du parcours de visite :
« L’un des enjeux de l’exposition est de montrer l’importance du livre chez herman de vries et de l’écrit c’est pourquoi j’ai demandé à Anne Moeglin-Delcroix, spécialiste du livre d’art et professeur en philosophie de l’art d’en assurer le co-commissariat. herman de vries développe en parallèle de sa pratique de plasticien, une activité de créateur de livres d’art et d’éditeur.
La première partie du parcours concerne les années 1950 et 60 avec le groupe NUL dont il est le cofondateur en 1959 qui se développe d’abord en Allemagne puis peu à peu en Europe, Italie avec Manzoni et Hollande, son pays d’origine. herman de vries est souvent considéré comme un artiste allemand même s’il est hollandais. Il a collaboré avec des artistes comme Gunther Uecker autour de cette idée radicale du groupe ZERO et ce rapport avec le blanc à travers des œuvres faites dans une sorte d’économie de moyens : morceau de bois, du sable, du quartz pour donner une matérialité qui joue beaucoup sur le phénomène de l’ombre et de la lumière suggérant un mouvement de manière quasi cinétique. Nous exposons également le livre White entièrement blanc dans un focus autour de cette couleur.
Nous avons deux pièces de cette période dans la collection et une autre qui joue une orthogonalité plus classique bien que chaotique, le groupe ZERO ayant beaucoup travaillé cette idée de l’aléatoire et du hasard.
La 2ème partie du parcours s’attache à ce regard de l’artiste et ces voyages à partir des années 1970 autour de la philosophie et la littérature, revenant à ses premières amours de naturaliste et botaniste. L’art est pour lui le véhicule pour faire comprendre aux hommes la nature. Il ne se définit pas comme un artiste du land art, il fait rentrer la nature dans un lieu artistique pour éveiller nos sens et notre regard. Il y a souvent un malentendu car herman de vries fait aussi de l’art dans la nature sans pour autant rentrer dans la démarche du land art. Nous sommes heureux d’avoir une œuvre prêtée par le Centre Pompidou car nous avons peu d’œuvres en France de cette période dans nos collections publiques, la plupart des œuvres étant conservées en Hollande. L’œuvre 16dm² a été réalisée tout près de chez lui. Il a prélevé dans le terrain 16dm² de parcelle pour en cartographier chaque brin d’herbe, chaque plante, qui sont séchés, montés sur papier et photographiés pour être réunis dans un ouvrage présenté dans la dernière salle. Ce qui est intéressant est son choix de ne pas nommer de façon scientifique les plantes mais plutôt le numéro d’inventaire de la parcelle. L’idée est de ne pas avoir une connaissance scientifique mais d’une rencontre purement formelle avec la nature. Le parcours aboutit sur un tapis de lavande, odeur que l’on perçoit de façon inconsciente et qui s’impose tout d’un coup de façon visuelle. Cela fait écho pour moi à une œuvre de Jean Dupuis vue à la Villa Arson dans les années 1980 avec pour cartel « champ de lavande ».
herman de vries journal d’une visite à l’île sainte-marguerite, le 9 avril 1999, 1999 matériaux mixtes sur papier14 éléments — 25 x 35 cm chaque collection herman and susanne de vries ©crédit photo eac.©Adagp, Paris 2024
Le lien d’herman de vries avec Mouans-Sartoux
Quand Sybil Albers et Gottfried Honeger rencontrent l’artiste au début des années 1990 ils vont à la fois acquérir des pièces plus anciennes qui évoquent l’art concret tout en s’intéressant aussi à son travail sur la nature, le lien entre les deux n’étant pas immédiat même si le manifeste de l’art concret joue sur l’expérience directe et cette interdépendance.
A l’occasion de son exposition en 1991 à l’eac, herman de vries va réaliser le journal de Mouans-Sartoux en recueillant des échantillons de nature (plus de 220) et des frottages en y mêlant des noms de plantes locales, provençales et écrire son fameux poème ma poésie est le monde, traduit en plusieurs langues et qui donne le titre de l’exposition. Artiste hollandais, installé en Allemagne il s’exprime en anglais en général même s’il cherche à s’imprégner du langage du lieu qu’il traverse. Il joue beaucoup avec les mots, leur sonorité dans une approche très poétique de la langue. On retrouve à la fois cet aspect scientifique de l’art concret et de temps à autre des compositions plus aléatoires comme cette œuvre réalisée sous un pommier par l’effet des éléments.
Stagiaire lors de son exposition à l’eac en 1991, j’avais fait la mise sous pli des invitations et dans chaque invitation était glissée une feuille d’eucalyptus rouge. J’espère que les destinataires de l’époque les ont gardées ! Il s’inscrit dans cette idée déjà d’adjoindre un élément du paysage.
Le message
herman de vries n’est pas dans une démarche moralisatrice mais plus dans une lecture bouddhiste, fataliste sur le passage du temps, la dégradation inexorable et le destin du monde.
Il récolte les bois flottés en Irlande, Iles Canaries à la manière d’un Jean Dupuis dans une idée d’émerveillement pour tout ce qui l’entoure. La nature fait art en soi. herman de vries s’intéresse à toutes les plantes médicinales y compris les drogues, les psychotropes dans une quête de connaissance parfaite.
Les mots, le langage
L’importance des mots, de certains mantras est soulignée comme Joy, All, Alchimy inscrits dans une sorte de all-over. Un jeu d’analogies ou de contraires : l’unique, l’infini. Il développe un jeu de pliages et de superpositions, autour de l’art construit avec une évolution autour de l’esthétique des lettres et un intérêt prononcé autour du sanscrit suite à ses voyages en Inde. Il va lancer des inserts publicitaires dans différents journaux autour de poèmes. Il créé sa propre maison d’édition avec notamment le livre de 16dm². Au fil de projets photographiques, le rôle de sa femme Suzanne apparait. Pendant 1 an elle se promène avec un appareil photo pour le capter à un instant T dans toutes sortes d’activités. Sorte de journal intime dans un regard croisé.
« Le Sommet des philosophes »
Dans la dernière pièce est projeté le film réalisé à Digne « le sommet des philosophes » autour d’un territoire à flanc de montagne avec des pierres assez étonnantes sur lesquelles il a fait graver à la feuille d’or le nom de philosophes qui sont importants à ses yeux. Comme un panthéon qui éclaire sa démarche et son rapport au réel. Une femme fait partie de son choix c’est Janet Joplin qui a souligné lors d’un concert notre besoin de communion en l’instant T dans une sorte de cristallisation de son système de valeurs. Si Descartes déclare Je pense donc je suis, herman de vries préfère la citation de Gassendi : Je marche donc je suis. C’est dans le mouvement que l’on prend conscience de soi-même ».
Alors profitons des beaux jours pour partir sur les traces de l’arpenteur sur la route du sud dans le parc et ce centre d’art emblématique qui n’en finit pas de tisser des liens fertiles avec la création sous toutes ses formes.
Infos pratiques :
Francis Bacon et l’âge d’or du design
Jusqu’au 5 janvier 2025
Des designers du JAD dialoguent avec la collection Albers-Honegger
Jusqu’au 2 mars 2025
Point, ligne, surface de lumière
Jusqu’au 5 janviers 2025
herman de vries
ma poésie est le monde
Jusqu’au 5 janvier 2025
Espace de l’art concret
Centre d’art contemporain d’intérêt national
Donation Albers-Honegger
Château de Mouans, Mouans-Sartoux
Ouvert tous les jours de Juillet-Août de 11 à 19h