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Interview Muriel Enjalran : « Si les JO permettent un coup de projecteur à un instant T, c’est un travail de fond que nous souhaitons mener »

Portrait de Muriel Enjalran Crédit photo Marie José Burki

Parmi les 3 volets de la trilogie « Des Exploits des chefs d’œuvre » dont Muriel Enjalran directrice du Frac Sud est à l’origine avec le commissaire Jean Marc Huitorel, les occurrences du Frac et du [mac] se détachent, ce dernier avec son prisme pictural agissant. Au Frac, il est question de la gloire et ses présupposés avec dès l’entrée du parcours l’œuvre in situ de Gérard Deschamps : des structures gonflables qui dessinent un luna park flottant, tandis que Jean Bedez, présent tout au long des chapitres, rejoue le soft power des Jeux de Pékin en 2008 ou le duo Berdaguer & Péjus traduit en notation Laban (danseurs), le geste historique de protestation de Tommie Smith & John Carlos lors des Jeux de Mexico. Un gigantesque cyanotype de la taille exacte d’un filet de tennis de l’artiste Jeremy John Kaplan se veut un hommage à l’une des premières joueuse de tennis afro-américaines, Althea Gibson, alors que la grande tapisserie de Noel W. Anderson s’attaque à la représentation des corps racisés dans l’univers de la NBA. Une dimension politique et engagée qui rejoint un autre enjeu de ce projet ; le parallèle efficient entre la place et visibilité des sportives et des artistes femmes comme le souligne la chercheuse et historienne Marine Nédélec dans le catalogue. Une histoire d’émancipation qui va au-delà des représentations et stéréotypes, notamment dans l’univers de la boxe avec la vidéo de Sarah Trouche Je ne peux pas rester silencieuse, où de jeunes boxeuses se confrontent à des images de domination et de prédation dans la peinture classique, ainsi que le court métrage de Fiona McMonagle The Ring. Si la Fédération de boxe compte à présent 27% de licenciées, il reste du chemin à parcourir… La posture façon discobole de Lea Guldditte Hestelund qui reprend les canons du corps masculin glorieux et viril, ou le babyfoot de Bianca Argimon avec ces joueurs fatigués et perclus de douleur cherchent à dessiner de nouveau symboles et imaginaires, de même avec la performance d’Elina Brotherus et ce podium détourné de ses attributs. Vrai coup de cœur pour l’installation de Johanna Cartier qui détourne les codes du stade et du fan club avec cette imagerie de pacotille liée au footballer/prince charmant, Ce n’est pas forcément un but en soi. La question du genre est aussi abordée de façon directe ou implicite avec les impressionnantes sculptures en céramique de Louka Anargyros, des motards dont les combinaisons sont recouvertes d’insultes homophobes ou la série photographique d’Estelle Hanania du catcheur mexicain Cassandro el Exotico qui n’hésite pas à combattre en travesti. Ces dynamiques d’empowerment irriguent aussi plusieurs propositions du [mac], j’ai voulu revenir avec Muriel Enjalran sur les valeurs véhiculées par le sport dans ces récits individuels et collectifs entre hommage et détournements. Elle a répondu à mes questions.

Vue exposition Des exploits, des chefs d’oeuvre, L’Heure de gloire, Frac Sud photo Marc Domage

Marie de la Fresnaye. Vous nous annonciez cette ambitieuse exposition tripartite dans un interview en mai 2021  : quelles sont vos 1eres impressions et quelle est la réception du public ? 

Muriel Enjalran. Nous assistons à un joli démarrage pour cet ambitieux projet qui nous occupe au Frac Sud depuis plus de 3 ans. Pensé dans le temps il trouve aussi pour le Frac des ramifications hors les murs sur le territoire régional avec des projets éducatifs et culturels s’inscrivant dans l’olympiade culturelle. L’ambition était de rapprocher des publics amateurs art et sport par le biais de cette exposition en 3 volets « Des exploits, des chefs d’œuvre » agissant comme une sorte de point d’orgue à Marseille, Terre de Jeux. Nous bénéficions aussi de cet éclairage de l’arrivée de la flamme avec de très bons retours des premiers groupes et publics individuels venus depuis 3 semaines au Frac dans la joie et l’intérêt de découvrir l’art sous le prisme du sport et nous avons bon espoir que cela draine de nouveaux publics et de façon durable. 

MdF. En quoi votre rôle au sein du Comité d’experts pour les Olympiades culturelles a-t-il eu un effet de détonateur sur ce projet ?

ME. Si l’on remonte aux origines cet intérêt des relations art et sport m’est venu dès ma direction au CRP/ de Douchy-les-Mines où j’ai pu mesurer à quel point l’aspect sociétal du sport était un motif de rassemblement communautaire parmi les photographes de la collection et les artistes que nous pouvions accompagner sur le territoire. Dans une optique d’élargir les publics de la culture, le sport comme une entrée fédératrice à Marseille, faisait sens à mon arrivée. L’accélérateur s’est fait au moment où le COJO m’a appelé aux côtés d’autres professionnels culturels pour préfigurer les contours d’une politique pour les arts visuels à partir des Olympiades culturelles avec au départ l’ambition de se déployer 3 ans avant les Jeux Olympiques. Cette mission m’a permis de me pencher davantage sur cette question y compris dans ses ramifications historiques et théoriques. A mon arrivée au Frac j’ai souhaité, la région Sud étant un terreau très fort pour le sport avec de nombreuses communes labellisées Terre de Jeux accueillant des centres d’entrainement sportif, imaginer ce projet au départ pensé uniquement pour le Frac Sud en m’associant avec Jean-Marc Huitorel, théoricien, auteur de la Beauté du Geste et de L’art est un sport de combat. Peu à peu le projet a pris l’ampleur qu’on lui connait aujourd’hui avec d’abord Jean-François Chougnet puis Pierre Olivier Costa au Mucem qui ont accepté de rejoindre l’aventure et Stéphanie Airaud au mac pour construire une exposition d’envergure nationale, jamais encore envisagée autour de cette thématique. 

Vue exposition Des exploits, des chefs d’oeuvre, L’Heure de gloire, Frac Sud photo Marc Domage

MdF. Au-delà de l’exercice obligé : comment ces passerelles arts et sport fonctionnent- elles selon vous ? 

ME. Encore une fois, les Jeux Olympiques ont été un accélérateur et un moyen d’attirer une attention particulière même si le projet a démarré en amont sur le territoire avec 14 manifestations labellisées art et sport engageant des résidences dans des centres d’équipement sportif au sein de différents départements, des projets dans les écoles et les lycées et dès 2021 un axe d’acquisition d’œuvres explorant cette thématique pour la collection du Frac Sud pour à la fois nourrir ces projets hors les murs et au-delà si l’on reprend le terme d’héritage -cher à Paris 2024- et définir un axe à partir d’habitudes prises entre des licenciés et amateurs sportifs, des clubs, des artistes pour que le Frac Sud soit identifié autour de cette thématique dans une dynamique de prêts futurs, d’expositions thématiques collectives. Les JO permettent un coup de projecteur à un instant T mais c’est un travail de fond que nous souhaitons mener dans le temps avec pour ambition de rassembler des publics amateurs des deux champs d’expression.

 

Vue exposition Des exploits, des chefs d’oeuvre, L’Heure de gloire, Frac Sud photo Marc Domage

MdF. Comment avez-vous opéré avec le commissaire et les 2 autres institutions : le mucem et le mac en matière d’orientation du parcours et de choix des artistes ?

ME. Le commissaire général et scientifique de l’exposition Jean-Marc Huitorel a porté le projet et le choix des artistes avec le souhait de créer une articulation entre les 3 lieux autour d’artistes que l’on peut retrouver à plusieurs reprises comme dans certaines biennales. C’est la nature très différente des lieux et institutions qui ont aussi guidé aussi le commissariat Jean-Marc. Le mac avec ces grandes galeries d’exposition permettait le déploiement de formats tableaux et d’explorer la manière dont les peintres ou dessinateurs se sont emparés du sujet sportif, le Frac Sud dans une configuration plateau qui a permis de jouer des interactions sur le mode d’installations assez généreuses et monumentales et le Mucem (Fort Saint Jean) autour de l’objet vernaculaire du sport qui rejoint l’objet travaillé par l’artiste ou détourné.

Vue exposition Des exploits, des chefs d’oeuvre, L’Heure de gloire, Frac Sud photo Marc Domage

MdF. Un fil rouge se joue, à mon sens, autour d’un possible parallèle entre le parcours d’artistes femmes et de sportives autour des notions de visibilité et d’empowerment 

ME. Cela rejoint clairement une entrée politique et sociale qui parcourt l’ensemble de mon projet pour le Frac « Faire Société ». Dans le cadre généralisé de l’art nous avons un retard à combler dans la représentativité des artistes femmes par leurs œuvres dans nos collections. Une représentativité compliquée et qui a fait souvent l’objet d’un combat dans certaines disciplines sportives que ce soit au niveau des JO ou de certains domaines. Un combat qui allait naturellement se rejoindre et se retrouver dans le choix des artistes exposés avec le souci de montrer des artistes femmes de différentes générations, des plus jeunes qui vont porter un discours féministe différent de leur ainées. Nous n’avons pas réussi à atteindre la parité exacte sur les 3 lieux, le motif du sport n’ayant pas toujours été exploré par certaines générations. Cela a été plus le cas ces 10 dernières années notamment autour de la boxe. Nous avons tenu avec Jean-Marc à réécrire cette histoire au féminin.

MdF. A une époque de merchandising accru, quelles valeurs le sport peut-il encore véhiculer ?

ME. Les valeurs affichées par les JO tournent autour de l’inclusion et du partage pour faire apparaitre des traits d’union entre des communautés de plus en plus fracturées dans la société. Est-ce un vœu pieux ou le sport incarne-t-il toujours ces valeurs ? Je l’espère si l’on en juge l’effort qui a été fait en faveur de la parité et du handisport et dans l’aménagement d’un certain nombre de projets culturels dans le Grand Paris afin de dépasser une certaine ségrégation sociale. Il sera temps après la tenue des JO d’en mesurer la portée réelle et la pérennité.

Catalogue commun aux éditions Dilecta

Infos pratiques :

« Des exploits, des chefs d’œuvre »

Commissaires : Jean-Marc Huitorel et Muriel Enjalran

L’Heure de gloire, Frac Sud

jusqu’au 22 décembre 

https://fracsud.org/exposition-des-exploits-des-chefs-d-oeuvre

Tableaux d’une exposition,  [mac]

jusqu’au 8 septembre

https://musees.marseille.fr/musee-dart-contemporain-mac

Trophées et reliques, Mucem (Fort Saint Jean)

jusqu’au 8 septembre

https://www.mucem.org/programme/exposition-et-temps-forts/des-exploits-des-chefs-doeuvre

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