FOMO VOX

Palais de Tokyo : la création en situation d’urgence !

Bissane Al Charif, série « Pianola », 2022-2023, Courtesy de l’artiste, Collection
Claude et France Lemand (Paris)

L’exil, la santé mentale, l’aliénation sous toutes ses formes mais aussi la résilience et la réparation font partie des contextes de création singuliers explorés par la nouvelle saison du Palais de Tokyo. Des « tensions fécondes et des utopies qui déchirent des ciels encombrés » selon les termes de Guillaume Désanges qui défend une écologie des pratiques et un programme exigeant en écho avec l’état du monde. Entre Mohamed Bourouissa  et son rapport intime à son village natal de Blida (Algérie) où le psychiatre et écrivain Frantz Fanon a développé une analyse de l’aliénation mentale à l’époque coloniale et le collectif d’artistes HAWAF qui cherche à rendre visible le travail d’artistes palestinien.nes, « Dislocations » conçue avec le réseau Portes ouvertes sur l’art autour d’artistes en situation d’exil ou de déplacement, « Passé inquiet : Musées, exil et solidarité » qui retrace le récit de 4 musées transcontinentaux et itinérants imaginés en réponse au luttes en Palestine, au Nicaragua, au Chili et en Afrique du Sud et « Toucher l’insensé » autour de pratiques de psychologie institutionnelles s’appuyant sur le collectif et la création artistique dans les années 1960 et 1970, ces expositions ne choisissent pas la voie de la facilité et du mainstream, ce qui est courageux et salutaire.

Mohamed Bourouissa « Signal »

L’espace conçu comme un jardin sonore avec des mimosas autour de la figure de Bouriem Mohamed que l’artiste a rencontré à l’hôpital psychiatrique de Blida, un espace de sensation selon les paroles de Mohamed Bourouissa qui abrite le collectif HAWAF et le musée virtuel SAHAB pour rendre visible les artistes palestinien.nes. Une œuvre immersive autour d’un tigre, allégorie d’un zoo qui a existé à Gaza, comme le fantôme d’un musée. Toute cette partition de l’intime se joue également avec le nouveau film conçu pour l’exposition Généalogie de la violence autour de la dépossession de soi et de la masculinité à partir d’une scène d’arrestation. Des zones de tension et de renversements.

Catalogue publié à l’occasion, coédition Dilecta & LaM, 160 pages, 28 €

« Dislocations »

Sous le commissariat de Marie-Laure Bernadac et Daria de Beauvais, l’exposition s’inscrit dans le cadre d’un partenariat entre le Palais de Tokyo et l’association Portes ouvertes sur l’art qui fait un travail remarquable auprès d’artistes en situation d’exil. Le parcours réunit 15 artistes dont une majorité de femmes. Elles viennent d’Afghanistan, d’Irak, Iran, Liban, Libye, Myanmar, Palestine, Syrie, Ukraine. La violence, l’arrachement, les brisures, la ruine mais aussi la réparation font partie des tensions à l’œuvre transposées dans des mediums variés. Le journal intime chez Sara Kontar qui mêle l’écriture et la photographie, le tissage ou la couture avec les torchons brodés de Maha Yammine, les voiles de bateau cousues par Cathryn Boch ou les borderies de Majd Abdel Hamid que Guillaume Désanges avait d’ailleurs mis en avant dans une exposition personnelle à la Verrière Hermès Bruxelles font partie des stratégies de témoignages et de résistances face à certains contextes géopolitiques. Des histoires intimes qui tendent à l’universel. La robe de l’artiste afghane Raba Akbar intitulée Survivor and Advocate, rend hommage à Shakila Zareen, mariée de force adolescente à un homme plus âgé, qui lui tira en plein visage lorsqu’elle tenta de s’enfuir et aujourd’hui réfugiée au Canada est un peu le symbole de l’exposition. L’emblème du phénix traduit cette renaissance possible.  

Les artistes : Majd Abdel Hamid, Rada Akbar, Bissane Al Charif, Ali Arkady, Cathryn Boch, Tirdad Hashemi, Fati Khademi, Sara Kontar, Nge Lay, Randa Maddah, May Murad, Armineh Negahdari, Hadi Rahnaward, Maha Yammine, Misha Zavalniy.

L’exposition a reçu le soutien de la Fondation Antoine de Galbert.

« Passé inquiet »

A partir des recherches des curatrices Kristine Khouri et Rasha Salti, l’exposition sous la forme d’une enquête démarre en 2008. Malgré sa forme très documentaire qui peut rebuter au départ est très riche. Elle fait écho à l’exposition du MoCo « Musées en exil » conçue par Vincent Honoré en 2022.

Les deux chercheuses sont partie de « L’Exposition internationale d’art pour la Palestine » qui a eu lieu en 1978 à Beyrouth et qui présentait une collection destinée à un futur « musée en solidarité. Face au manque d’archives institutionnelles, elles se sont tournées vers des archives privées et ont aussi créé des archives orales, en enregistrant et filmant une cinquantaine d’entretiens avec des personnes impliquées. Au fil de leurs voyages au fil de voyages en Jordanie, Syrie, Maroc, Egypte, Italie, France, Suède, Allemagne, Pologne, Hongrie, Afrique du Sud et au Japon, dessinent des réseaux croisés liant artistes, militant·es, et collectifs autour d’interventions, de manifestations, d’expositions et de collections extraordinaires qui ont voyagé dans le monde.

« Toucher l’insensé »

Une exposition d’une grande audace autour de l’émancipation et de dynamiques collectives face au trouble mental. Elle présente notamment les films de François Pain, qui a documenté la vie de la clinique de La Borde et la parole d’importants praticiens de la psychothérapie institutionnelle (François Tosquelles, Jean Oury, Félix Guattari), et rassemble des artistes, mais aussi des soignant·es et des éducateur·ices, qui ont initié des pratiques artistiques collectives dans diverses structures liées au soin de la santé mentale (hôpitaux psychiatriques, centres d’accueil, classes Ulis, instituts médicoéducatifs, etc.). Des contextes de gravité où l’humour et l’autodérision entrent en jeu dans des expériences pilotes d’inclusion plutôt que de mise à l’écart. Rassemblant de nombreuses archives et documents elle convoque aussi des artistes comme Michel François qui a travaillé dans une institution néerlandaise auprès de détenus-patients et Jules Lagrange, Agathe Boulanger et Signe Frederiksen auteurs de l’ouvrage en hommage à Laurence Rassel, directrice de l’Ecole de Recherche Graphique de Bruxelles très influente dans le champ de la psychothérapie institutionnelle déployée dans le champ des arts plastiques. Une exposition aride et pleine d’espoir conçue par François Piron qui avait signé en 2023 avec Elisabeth Lebovici « EXPOSÉ·ES » autour du virus VIH/sida.

Infos pratiques :

MOHAMED BOUROUISSA
SIGNAL

DISLOCATIONS

PAST DISQUIET

TOUCHER L’INSENSÉ

Jusqu’au 30 juin 2024

Le Palais de Tokyo est ouvert tous les jours,

sauf le mardi

De 12H à 22H

Nocturne le jeudi jusqu’à 00h00

Palais de Tokyo

Quitter la version mobile