Kirille Zdanevich, Sketch for the play Maelstrom, 1924 © Art Palace of Georgia-Museum of Cultural History, Tbilisi
Cap à Buxelles en cette fin d’année, ville toujours chaleureuse qui offre de nombreux plaisirs d’hiver comme sur la place Sainte Catherine avec son marché traditionnel mais aussi une programmation culturelle toujours pointue que ce soit en galeries ou dans les institutions.
Un chapitre oublié de l’histoire de l‘Avant-garde à BOZAR
L’exposition « L’Avant-garde en Géorgie (1900-1936) » ouvre le festival Europalia qui se tourne vers le Caucause pour cette édition après avoir abordé le train comme espace de modernité en 2022 avec « Trains & Tracks ». Ce focus présenté pour la première fois en Europe s’appuie sur plus de 150 œuvres, comprenant notamment des dessins, peintures, photographies, éditions d’artistes, etc. provenant principalement du Musée des Beaux-arts de Géorgie, du musée Art Palace de Tbilissi, de la Fondation David Kakabadze, du Centre Pompidou, de la bibliothèque Kandinsky, de la Bibliothèque Nationale de France et de collections privées. C’est à la suite de la chute de l’empire russe et de la révolution d’Octobre, dans un contexte mondial tourmenté, qu’en 1918 la Géorgie proclama son indépendance. Parenthèse enchantée de courte durée jusqu’à l’invasion soviétique de 1921, elle permit néanmoins à une foisonnante et inspirante création d’avant-garde de se déployer pleinement.
Tbilissi, capitale de l’éveil cosmopolite
C’est notamment au sein des nombreuses tavernes et cafés artistiques à Tbilissi, la capitale, que les artistes se rencontrent, se regroupent, et y organisent des événements multidisciplinaires donnant corps à de nouvelles pratiques artistiques qui redéfinissent une attitude générale par rapport à la vie. Les nombreuses collaborations et interactions prendront de multiples formes et mélangeront traditions géorgiennes et influences d’orient et d’occident. Elles se répondront au sein de peintures, dessins, écrits, films, photographies, performances, recherches typographiques, éditions de livres et pièces, décors et costumes de théâtre. Des mouvements aussi divers que le (néo-)symbolisme, le futurisme, le dadaïsme, le zaoum, le toutisme, l’expressionnisme, le cubisme, le cubo-futurisme y cohabiteront dans une effervescence créatrice inédite.
Niko Pirosmanashvili (Pirosmani),The Feast of the Four Citizens© Sh. Amiranashvili State Museum ofFine Arts / Georgian National Museum, Tbilisi
Paris
Dès la fin des années 1910, les artistes géorgiens sont aussi présents à Paris, autre centre majeur des mouvements d’avant-garde, David Kakabadze, Ilia et Kirile Zdanevich, Lado Goudiashvili et Elene Akhvlediani y côtoient les artistes internationaux de l’époque et y découvrent les cercles d’avant-garde de l’ouest.
Quand l’histoire se répète…
En 1921, la parenthèse se referme en Géorgie suite à l’envahissement soviétique et l’annexation à l’URSS en 1922. Le pouvoir soviétique exerce des pressions sur les artistes, leur imposant les principes esthétiques du réalisme socialiste. Afin de contourner ces injonctions, des artistes de l’avant-garde comme Irakli Gamrekeli, Petre Otskheli, Elene Akhvlediani, Kirile Zdanevitch et David Kakabadze continuent leur pratique en créant des scénographies, des costumes et des décors pour le théâtre et le cinéma, domaines dans lesquels les idées de l’avant-garde peuvent encore se développer pendant un temps. La production cinématographique est prolifique et l’on découvre les films de Nutsa Ghoghoberidze, Mikhaïl Kalatozishvili et Kote Mikaberidze entre autres.
Parallèlement, certaines pratiques individuelles perdurent mais les artistes se voient de plus en plus contraints de s’adapter aux canons soviétiques. Certains, comme David Kakabadze, s’y essaieront, sans grand succès. L’année 1936 marque le début des grandes purges ordonnées par Staline et le régime soviétique, elle sonne le glas de toute liberté de création et de nombreux artistes sont déportés ou exécutés tandis que d’autres émigrent, se suicident ou adaptent leurs activités sous la pression politique.
Survivance
De nombreux projets sont avortés mais les idées de l’avant-garde, bien que censurées, perdureront à travers les générations et connaitront une résurgence chez les artistes d’art non-officiel à partir des années 1970. L’artiste Ilia Zdanévitch (aussi connu sous le nom d’Iliazd) ne reviendra pas en Géorgie et continuera ses multiples activités à Paris, organisant des bals artistiques et collaborant avec, entre autres, Sonia Delaunay et Coco Chanel pour lesquelles il créera des tissus. Il réalisera par ailleurs avec sa maison d’édition 41° des livres d’artistes considérés comme les plus beaux du XXe siècle pour lesquels il collabora avec entre autres Picasso et Max Ernst.
Installation cinématographique de Meggy Rustamova Adeishvili au seuil de l’exposition
Meggy Rustamova Adeishvili présente l’installation cinématographique Deda Ena, dans laquelle elle explore les relations qui s’enchevêtrent entre souvenirs et événements individuels et collectifs. Dans sa réflexion à propos des notions de déplacement et d’appartenance, le film prend comme point de départ les déportations forcées de minorités ethniques qui se sont produites sous le régime soviétique, dont celle des Assyriens qui s’étaient installés en Géorgie après le Sayfo. En disséquant le passé, Rustamova Adeishvili interroge les migrations actuelles et celles qui sont peut-être à venir. Guidée par la langue géorgienne, que Rustamova Adeishvili parlait lorsqu’elle était enfant mais qu’elle a oubliée depuis, Deda Ena – qui signifie “langue maternelle” – propose un récit polyphonique qui explore la manière dont les traumatismes personnels et partagés se transmettent et impriment leur marque à travers les générations.
Commissaires :
Nana Kipiani, Irine Jorjadze et Tea Tabatadze, en collaboration avec l’équipe d’europalia
Catalogue
L’Avant-garde en Géorgie (1900 – 1936), édité par Hannibal en collaboration avec europalia, design par Sara de Bondt. Disponible à la librairie de BOZAR.
Infos pratiques :
« L’Avant-garde en Géorgie (1900-1936) »
BOZAR/Palais des Beaux-Arts
Rue Ravenstein 23 BRUXELLES
Programmation culturelle associée
Jusqu’au 14 janvier
europalia georgia | Bozar Bruxelles
Thea Djordjadze, Untitled, 2016. Glass, paint, 100 x 92 x 27 cm. Courtesy the artist and SprüthMagers. © Thea Djordjadze / VG Bild-Kunst, Bonn. Photo: Timo Ohler
The ceiling of the courtyard, Thea Djordjadze
En parallèle l’exposition de l’artiste germano-géorgienne Thea Djordjadze au WIELS. En réponse à l’architecture post-industrielle du lieu, l’artiste imagine un nouveau corpus d’œuvres, examinant et questionnant par ce biais tant les qualités formelles et matérielles du bâtiment que sa fonction institutionnelle. Des images et des idées issues de la littérature, du design, de la peinture, de l’architecture – notamment, mais pas exclusivement, associées au modernisme – irriguent aussi souvent le travail de Djordjadze, laissant une empreinte subtile, comme un témoignage, ou l’écho, de leur rencontre avec l’artiste. Des images latentes sont révélées et des énergies activées alors que le titre sème le doute quant à sa traduction. Où s’arrête ce plafond ? L’artiste nous tend un piège au cœur de la dynamique de perception de l’espace.
Si nous avions découvert l’artiste au MAMC+ Saint Etienne dans une très ambitieuse exposition en 2022, ce nouveau chapitre bruxellois active un réel potentiel.
Infos pratiques :
The ceiling of a courtyard, Thea Djordjadze
Jusqu’au 7 janvier
WIELS
WIELS | the ceiling of a courtyard
Commissaire : Dirk Snauwaert
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